Aqueducs ruraux de Colombie Comment un référendum populaire consacrant le droit humain à l’eau et sa nature de bien commun a renforcé un système local de gestion de l’eau

, par  María Alejandra Villada Ríos

En 2005, en Colombie, un mouvement national a émergé en opposition à la privatisation de l’eau et en faveur d’un référendum national pour la définir comme droit humain et comme bien commun. Cette campagne a connu des réussites et des échecs, mais de manière plus inattendue, elle a aussi permis de consolider un réseau décentralisé de fournisseurs d’eau communautaires. Voici l’histoire d’un réseau d’aqueducs communautaires contrôlés localement qui a continué à se développer malgré un soutien très ambivalent de l’État.

Cet article, publié initialement en anglais, a été traduit par Justine Visconti.

Des organisations environnementales et sociales se sont unies en 2005 afin de s’opposer au mouvement de privatisation des services d’eau et des eaux usées en Colombie (y compris les concessions à long terme). Un projet de loi était alors en cours d’adoption qui visait à la création d’un Conseil national de l’eau, chargé de superviser des services privatisés, et à abolir les mécanismes de participation citoyenne existants, tels que les audiences publiques. La mobilisation populaire a permis de faire barrage à cette nouvelle loi, mais la privatisation du secteur de l’eau se poursuit à travers des politiques nationales qui favorisent les opérations public-privé et négligent les réseaux d’eau municipaux et communautaires.

Cette mobilisation fut l’occasion d’une rencontre et d’un dialogue national sans précédent en Colombie pour discuter des conflits environnementaux liés à la gestion et à la conservation de l’eau. Ces conflits étaient nombreux. Citons, entre autres, la multiplication des mégaprojets, surtout dans l’industrie minière et hydroélectrique ; les plantations de l’agribusiness, en majorité destinées aux biocarburants ; la pollution des sources d’eau ; la privatisation et ses conséquences sur l’accès à l’eau dans les zones rurales et urbaines, notamment les déconnections du réseau qui constituent un déni du droit à l’eau. La campagne pour un référendum « L’eau, un bien public » a été lancée le 27 avril 2005 avec trois phases successives : recherche, diffusion et organisation, mobilisation.

Le référendum proposait un amendement constitutionnel qui garantirait la protection de l’eau en tant que bien commun et bien public ; reconnaîtrait l’accès à l’eau potable comme un droit humain fondamental, et toutes les eaux du pays – dont les bassins versants et les plages – comme patrimoine national, tout en préservant le contrôle autonome des communautés indigènes sur leurs ressources en eau ; obligerait l’État à protéger les écosystèmes, assurance d’un cycle de l’eau préservé ; et garantirait que les services de l’eau potable et des eaux usées demeureront un service public géré directement par l’État ou par des communautés organisées, sans but lucratif.

Plus de deux millions de Colombiens ont signé des pétitions en faveur de ce référendum, mais de nombreux éléments cruciaux du projet (dont la reconnaissance du droit à l’eau) ont été retirés du texte par l’Assemblée Nationale. Cependant, le mouvement survit, et continue à s’amplifier en prenant des formes différentes.

La défense des aqueducs communautaires a été un aspect décisif de l’effort de collecte de signatures pour le référendum. Et les organisations liées à ces aqueducs communautaires y ont joué un rôle clé. Dans le département d’Antioquia a ainsi été formé un « comité de défense de l’eau et de la vie », rassemblant des organisations environnementales, des fournisseurs d’eau communautaires et de jeunes femmes agricultrices, entre autres.

En septembre 2006, le réseau des aqueducs communautaires a tenu son premier rassemblement national à Bogota, attirant plus de 200 représentants de tout le pays. Certains réseaux d’eau gérés par les communautés rurales existent depuis 50 ans, d’autres depuis un siècle, mais ils ne s’étaient pas dotés de structures très formalisées et ne s’étaient pas très bien coordonnées entre eux avant les mobilisations de 2005. Dans certaines zones du pays, ils occupent une place plus importante que dans d’autres.

Les aqueducs communautaires

Dans le cadre du référendum national, l’unique exception prévue à l’obligation que l’État soit seul responsable de la fourniture d’eau était celle des systèmes d’aqueducs communautaires constitués en institutions à but non lucratif pour le bien public. Ces réseaux cherchent à fournir un service et une eau de bonne qualité et reconnaissent qu’ils ont besoin de renforcer leurs capacités techniques, administratives et financières en collaboration avec les agences d’État.

La municipalité de Giradota, dans le département d’Antioquia, est un bon exemple de ce type de collaboration. Dans cet esprit, le conseil municipal a adopté une ordonnance consacrant le principe politique de renforcer les organisations communautaires qui fournissent des services d’eau et des eaux usées et, pour la municipalité, de travailler en collaboration avec ces comités locaux, y compris à travers la formation d’une équipe technique permanente afin de concevoir et de mettre en œuvre de manière conjointe un plan d’action annuel.

Chaque municipalité a, bien sûr, des caractéristiques différentes, mais ce qu’elles ont en commun est que l’accès à l’eau et sa fourniture restent en général assez faibles dans les zones rurales. C’est pourquoi les habitants regroupent leurs forces pour assurer ce service essentiel. Les réseaux d’eau communautaires ont été créés, à l’origine, afin de répondre aux besoins en eau face à la carence des services existants, aux prix élevés, à la privatisation ainsi qu’à la pollution des sources. Les aqueducs communautaires sont des mécanismes de gouvernance et de gestion participatives de l’eau qui sauvegardent les connaissances locales afin d’améliorer la qualité de la vie pour les générations futures. L’exploitation de ces aqueducs renforce le tissu social des communautés et est un facteur de solidarité, de confiance ainsi que de participation. Comme à Giradota, d’autres associations de gestion d’aqueducs ont cherché à obtenir le soutien des municipalités aux réseaux communautaires et se sont opposées aux politiques de privatisation en Colombie.

Les aqueducs opèrent dans un contexte difficile. Les réseaux locaux ne sont pas encore légalement reconnus au niveau national. Leurs ambitions sont grandes : construire une culture politique et environnementale qui promeut la gestion environnementale démocratique, l’égalité des genres ainsi que la sauvegarde de la diversité culturelle et biologique du pays. Leur travail repose sur l’éducation des communautés à l’eau comme bien commun et comme droit humain fondamental, qui doit être conservé et défendu.

Les comités des aqueducs aspirent à :
 s’étendre dans tout le pays avec le soutien d’universitaires, d’organisations de la société civile et d’élus pionniers au niveau national, départemental et local ;
 fournir un service de haute qualité basé sur des améliorations techniques, politiques et administratives ;
 promouvoir l’éducation environnementale dans les communautés ;
 défendre l’autonomie politique et administrative des aqueducs face à la privatisation ;
 renforcer le sentiment d’appartenance territoriale ;
 promouvoir la ‘souveraineté hydrique’, comme on parle de souveraineté alimentaire, des territoires locaux à travers des politiques publiques.

De manière concrète, les aqueducs sont entretenus par des plombiers. Les comités locaux se chargent de collecter les paiements. La majorité des organisations facturent leur service sur la base des coûts d’entretien, qui varient entre 4000 et 9000 pesos colombiens par mois (entre 1,8 et 4 euros).

Comment les comités des aqueducs sont-ils devenus aussi forts ? Une ONG de soutien technique, la Corporation écologique et culturelle Penca de Sábila, estime que les facteurs suivants ont été décisifs :

 Au sein des comités, la communication est un principe démocratique fondamental qui encourage l’écoute, la liberté d’expression ainsi que les droits et responsabilités de chaque membre. La communication est facilitée par l’accès à l’information via la radio, les journaux, internet, le téléphone, etc. Il y a aussi des assemblées de discussion et de réflexion.
 L’enracinement du sens de la citoyenneté et la participation de toute la population sont encouragés. Par exemple, les jeunes sont impliqués dans la protection de l’environnement et la reforestation. Il y a donc davantage de chances que les générations futures continueront à utiliser les aqueducs. Il y a un esprit général de coopération et de solidarité ainsi qu’une meilleure compréhension par les citoyens des lois et ordonnances municipales relatives aux aqueducs communautaires.
 L’accent est mis sur les actions collectives de maintenance du réseau d’eau et de protection du bassin versant, mais aussi de résistance à la privatisation et de promotion du droit humain à l’eau. Le leadership démocratique est une valeur fondamentale.
 Des efforts délibérés ont été faits pour rassembler les communautés de tout le pays, ainsi qu’au niveau local, régional et départemental, afin que le mouvement des aqueducs unisse ses forces et ait un impact plus important.

Voici certains des défis auxquels sont confrontés les communautés :
 Continuer à faire pression au niveau municipal, départemental et national pour la reconnaissance et le soutien formel aux aqueducs communautaires. L’Association Départementale des Aqueducs Communautaires d’Antioquia (ADACA, Asociación Departamental de Acueductos Comunitarios de Antioquia), par exemple, s’efforce de construire une politique de l’eau au niveau départemental.
 Prendre en charge de manière correcte la pollution des eaux usées. Dans le cas de la rivière Aburra qui traverse de nombreuses municipalités, il existe un important problème de qualité de l’eau à cause des effluents des eaux usées ; seulement 19 % des eaux usées de Medellin sont traités par le service public avant d’être rejeté dans la rivière Aburra.
 Obtenir des concessions d’eau à long terme des Sociétés régionales autonomes (CAR, Corporaciones Autónomas Regionales). Ainsi, les opérateurs de mines possèdent des concessions à long terme (10-15 ans) et les aqueducs, à court terme (3-4 ans). Les CAR sont supposées être autonomes et exercer seulement des fonctions techniques de planification, tel que d’accorder des concessions d’eau et fournir un soutien aux municipalités pour appliquer les lois environnementales. Mais elles sont clairement sujettes à des influences et des pressions politiques, et le boom de l’industrie minière en Colombie signifie que les mines ont tendance à primer sur les communautés en termes d’accord de concession d’eau. Les réseaux d’eau communautaires les moins puissants politiquement en sont les victimes. Gagner en pouvoir afin d’influencer les décisions des CAR fait partie des objectifs politiques prioritaires du réseau rural des aqueducs.

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