Au Vietnam, risque de dengue et absence d’alimentation en eau sont liés

, par  Larbi Bouguerra

La dengue est une maladie infectieuse virale. Elle est répandue dans les régions tropicales et subtropicales et se manifeste par une forte fièvre, des céphalées sévères, des douleurs articulaires et musculaires et des éruptions cutanées. Le virus responsable de cette affection est transmis par la piqûre de la femelle du moustique Aedes aegypti. La dengue n’est habituellement pas fatale, mais un petit nombre de malades peuvent développer une dengue avec fièvre hémorragique qui, elle, peut mettre en cause le pronostic vital. Annuellement, on estime à près d’un demi-million le nombre de personnes hospitalisées pour une fièvre hémorragique dans le monde et à 50 millions celui des personnes infectées. L’incidence de la dengue est en augmentation dans le monde, et 2/5e de la population du globe sont exposés à ce risque, soit 2,5 milliards d’humains vivant dans 100 pays.

Aedes aegypti, le principal vecteur de la maladie, se développe dans les récipients de stockage de l’eau utilisés par les familles non alimentées en eau courante et autour des établissements humains urbains. En effet, l’insecte se rencontre en grand nombre même dans les zones urbaines denses. Ce comportement contraste avec celui de l’anophèle, le vecteur du paludisme (malaria) qui évite généralement les villes, d’où un risque malarial faible en zone urbaine. Comme Aedes pique essentiellement le jour, les moustiquaires traitées aux insecticides ne sont pas d’un grand secours pour contrôler la dengue. De plus, comme il n’y a pas de vaccin, le contrôle de cette maladie est axé sur la réduction des populations du vecteur : emploi des insecticides, contrôle biologique des larves, et mesures pour réduire les gîtes de reproduction de la larve de l’insecte.

Le travail que nous présentons ici a porté sur 75000 ménages vietnamiens habitant 33 communes urbaines et rurales dans les districts de Nha Trang et Ninh Hoa, qui se situent dans la province de Kanh Hoa sur les côtes du Centre–Sud vietnamien. Cette recherche s’inscrit dans le cadre du Projet de santé Kanh Hoa, en collaboration avec l’Institut national d’hygiène et d’épidémiologie de Hanoï au Vietnam et l’Université de Nagasaki au Japon. Pour les ménages recensés, on a noté les données suivantes : éducation, appareils ménagers utilisés, nature de l’alimentation en eau, logement, profession et animaux en possession de la famille.

Des travaux précédents – y compris des modèles mathématiques - se sont intéressés aux effets du changement climatique, à la transition démographique et au tissu urbain pour élucider la transmission de la dengue. Les fortes densités humaines et une alimentation inadéquate en eau nécessitant le stockage du liquide à domicile dans des vases et des récipients sont souvent considérées comme des facteurs importants de transmission des épidémies de dengue, mais les preuves en faveur de ces hypothèses étaient plutôt rares. Par ailleurs, on note que les zones rurales à faible densité démographique subissent de sévères épidémies de dengue. Mais le rôle de la densité démographique et celui des facteurs socio-économiques (en particulier l’infrastructure de l’alimentation en eau) pour ce qui est des risques de dengue sont mal compris.

Ce travail s’est attaché à analyser les effets de la densité démographique et de l’absence d’eau du robinet sur le risque de contracter la maladie. Pour ce faire, il a croisé des données concernant les ménages issue du recensement de 2006 au Vietnam avec celles relatives aux admissions à l’hôpital. Il en compté 3013 pour une population de 75000 âmes au cours de deux épidémies. Des méthodes de statistiques élaborées (space-time scan) et des modèles mathématiques ont confirmé les conclusions atteintes par les chercheurs vietnamiens et nippons. Ces derniers sont arrivés à la conclusion que les densités de population humaine entre 3000 et 7000 personnes/km2 étaient susceptibles de souffrir des épidémies de dengue.

Dans la région choisie pour l’étude, cette densité était caractéristique des villages et de quelques zones périurbaines. Les outils statistiques et mathématiques utilisés permettent d’affirmer que les zones à haute densité démographique et ayant une alimentation en eau correcte ne sont pas sujettes aux épidémies de dengue. Le risque de contracter la maladie est plus élevé en milieu rural qu’en milieu urbain. Il est aisément expliqué par l’absence d’un réseau de distribution d’eau potable (conduites, tuyaux…) et des densités de population dans la zone critique. L’utilisation de divers récipients dans les habitations pour stocker l’eau offre indubitablement de nombreux gîtes pour la reproduction d’Aedes aegypti, ce qui conduit de facto à un rapport élevé moustiques/humain et augmente le risque pour un individu de contracter la maladie. Là où il y une alimentation via des conduites et des tuyaux comme dans les villes à forte densité de population, les gîtes disponibles sont limités et le risque relatif de tomber malade sont d’autant moindres que le rapport moustiques/humain est plus faible. Il n’en demeure pas moins que là où il y une forte population, des épidémies de dengue peuvent se déclarer car, en tout état de cause, le nombre absolu de personnes susceptibles de souffrir de la piqûre du vecteur est élevé.

Les conclusions des auteurs peuvent être ainsi résumées :
 Les zones rurales contribuent au moins autant que les villes à la dissémination de la dengue.
 L’amélioration de l’alimentation en eau et le contrôle de l’insecte vecteur de la maladie dans les endroits où la densité humaine atteint le seuil critique de transmission pourraient augmenter considérablement l’efficacité des efforts faits pour juguler cette affection.

Commentaire

Ce très beau travail confirme l’importance capitale, sur le plan de la santé, de l’alimentation en eau potable des populations. Il montre a contrario ce que coûte à la communauté nationale l’absence d’eau potable pour les populations : épidémies, mortalité, journées de travail perdues, coût des soins, absentéisme scolaire, … Le Financial Times évaluait récemment qu’un dollar dépensé pour l’eau potable rapportait 8 dollars à la communauté. Il faut que les décideurs intègrent ces données économiques d’autant que les atteintes de dengue sont en augmentation de par le monde.

Dans le cas de cette maladie précisément – maladie sans vaccin tout comme le paludisme -, il semble que la formation des populations est fondamentale pour qu’elle gère convenablement leurs stocks d’eau en vue de priver de gîtes le vecteur. Il faut notamment lui faire comprendre que l’usage des insecticides de synthèse – solution de facilité - est mal venu et ne saurait être la panacée si les conditions de reproduction du moustique ne sont pas éliminées. En outre, les insecticides peuvent provoquer la résistance du vecteur – devenir donc inopérants avec le temps - et polluer les cultures vivrières et l’environnement. Il faut aussi les sensibiliser à la nécessité de couvrir les récipients d’eau pour empêcher le moustique d’y entrer pour se reproduire, puisque le premier stade est larvaire et ne peut se réaliser sans eau.

Lorsque le Soudan était encore colonie britannique, des chercheurs avaient noté que certaines tribus montagnardes Nouba n’étaient absolument pas sujettes aux épidémies de fièvre jaune alors que la plupart des régions du pays étaient éprouvées par les épidémies de cette maladie. Ils découvrirent que les Noubas mettaient systématiquement dans les récipients d’eau destinés à la boisson des tortues qui se nourrissaient des larves du vecteur, du genre Aedes lui aussi ! D’où l’absence du vecteur dans ces villages et en conséquence l’absence de personnes atteintes. Il est étonnant que les auteurs ne rapportent aucune méthode traditionnelle de lutte contre le vecteur dans cette province du Vietnam. Quoiqu’il en soit, ce travail montre que l’alimentation en eau potable via un réseau est fondamentale pour la santé des gens. L’augmentation des cas de dengue prouve, qu’à cet égard, on est loin d’atteindre dans les temps (2015) les Objectifs du Millénaire définis, en grande pompe, par la communauté internationale. Espérons que le cas de la dengue et son rapport à l’alimentation en eau soit évoqué, en mars 2012, au Forum Mondial de l’eau à Marseille.

SOURCE
 Wolf-Peter Schmidt, Motoi Suzuki, Vu Dinh Thiem, Richard G.White, Ataru Tsuzuki, Lay-Myint Yoshida, Hideki Yanai, Ubydul Haque, Le Huu Tho, Dang Duc Anh, Koya Ariyoshi, « Population Density, Water Supply and the Risk of Dengue Fever in Vietnam : Cohort study and Spatial Analysis », PLoS Medicine, 8(8), e 1001082, doi : 10371/journal.pmed. 100183, publié en ligne le 30/08/2011.

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