Chicago : qu’y a-t-il dans notre eau ?

, par  Larbi Bouguerra

Les responsables de la ville de Chicago n’ont jamais procédé à l’analyse des produits chimiques non encore soumis à réglementation ni à celle des médicaments dans l’eau de la ville ou de sa banlieue, à l’heure où l’inquiétude monte à propos des possibles effets sur la santé de traces de médicaments dans l’eau potable.

C’est pourquoi cette raison que les journaux le Chicago Tribune et RedEye les ont faites en s’adressant à un laboratoire indépendant. Ainsi, ont été trouvées, dans l’eau fournie à sept millions de Chicagoans de minuscules quantités (de l’ordre du ppt) d’un antiépileptique, d’un analgésique, de caféine, ainsi que deux substances utilisées pour fabriquer du téflon et du scotch - pour ne citer que quelques exemples.

L’eau analysée provenait de l’Hôtel de Ville, d’une école élémentaire de Chicago et de la bibliothèque publique de Waukegan (banlieue nord de Chicago), qui a sa propre usine de traitement de l’eau. Les prélèvements ont eu lieu le 7 mars 2008. Les analyses ont été effectuées au laboratoire d’hygiène de l’Université de l’Iowa, qui a fourni les récipients réglementaires pour ce type de prélèvement et d’analyses. Les résultats sont conformes à ceux que les officiels ont obtenus, s’agissant de l’eau de robinet, ailleurs dans le pays : des douzaines de médicaments sur ordonnance ou en vente libre, ainsi que des substances chimiques pour l’hygiène corporelle ou provenant de l’emballage des aliments, des vêtements ou des biens d’équipements ménagers.

Ces analyses ne signifient pas que l’eau potable ne soit pas saine. Elles n’en soulèvent pas moins des questions importantes pour les autorités de régulation et les édiles, qui savent que les inquiétudes ne font que croître quant à l’exposition, sur le long terme, à ces composés même quand ils ne sont présents dans l’eau qu’à très faible dose.

Dana Kolpin, chercheur au Service Géologique (USGS) qui a participé aux premières analyses qui ont révélé la présence de médicaments dans l’eau municipale, déclare : « Les concentrations de substances spécifiques sont très faibles et ne devraient pas inquiéter. Mais, dans le même temps, on peut se demander si le cocktail des composés les plus divers ne pourrait pas atteindre le point pour lequel des effets dangereux pourraient se manifester. »

Les médicaments que les gens consomment se retrouvent en effet dans l’eau potable, et les méthodes conventionnelles de traitement des eaux usées, à en croire de nombreux travaux, ne sont pas en mesure de les éliminer complètement.

Sensible à ce que l’on a trouvé dans d’autres villes, le gouverneur Rod Blagojevich a annoncé, pour la première fois, que l’Etat devrait analyser l’eau de robinet à Chicago et dans quelques autres communautés. En réponse à une demande du Chicago Tribune, le département de la gestion de l’eau de Chicago a affirmé pour sa part qu’il ne compte pas procéder à des analyses tant que cela n’est pas exigé par la réglementation fédérale.

Les analyses faites à l’Université de l’Iowa ont concerné une quarantaine de composés différents : pesticides, métaux lourds, médicaments en vente libre ou sur ordonnance… Celles-ci n’ont pas mis en évidence la plupart de ces substances. Cependant, une eau provenant d’une fontaine du 7ème étage de l’Hôtel de Ville contenait une petite quantité de carbamazepine, un médicament délivré sur ordonnance pour traiter les crises d’épilepsie et la schizophrénie. On y a aussi trouvé de l’acétaminophène (Paracétamol, Dafalgan…), un analgésique et un antipyrétique en vente libre.

Pour les trois points de prélèvement d’eau, l’analyse montre la présence de petites quantités de cotinine, un métabolite de la nicotine du tabac. En outre, l’eau de l’école accuse la présence de caféine. Or, le café et le tabac étant largement consommés, les spécialistes considèrent la cotinine et la caféine comme des marqueurs d’autres médicaments qui pourraient se trouver dans les déjections humaines de la même façon, par exemple, qu’E. Coli est employé comme révélateur de la contamination bactérienne de l’eau.

Les deux journaux ont analysé aussi trois eaux en bouteille ainsi que l’eau du lac Michigan : aucun résidu de médicament n’y a été trouvé.

Les responsables municipaux insistent sur le fait que l’eau de robinet est sûre. Quant aux agents fédéraux, ils attirent l’attention sur le fait que les données et les preuves manquent pour légiférer en matière de résidus de médicaments dans l’environnement ou l’eau potable. De leur côté, les experts médicaux ne voient aucune raison pour arrêter de boire de l’eau de robinet.

Cependant, par message électronique, la municipalité écrit aux journaux pour dire : « Les quantités trouvées sont extrêmement faibles et ne présentent aucun danger. Il n’en est pas moins vrai que nous sommes au courant de l’intérêt des scientifiques pour ce nouveau domaine. Nous travaillons avec les services du gouvernement ainsi qu’avec la communauté scientifique pour aider à développer des tests et des protocoles pour assurer la sécurité de l’eau de source tout comme celle de l’eau traitée que nous fournissons à nos consommateurs. »

Il est vrai que les analyses commandés par les deux organes de presse concernaient un nombre réduit d’échantillons et que ces dernières ne se sont intéressées qu’à quelques contaminants seulement et qu’enfin les résultats différaient d’un échantillon à l’autre. Pour les experts, les résultats prouvent la présence de ces médicaments depuis un certain temps et ils n’ont été mis en évidence que grâce aux performances techniques actuelles améliorées. Il est clair que ces résidus viennent des eaux usées.

Rebecca Klaper, de l’Institut de l’eau des Grands Lacs (Université du Wisconsin à Milwaukee) a trouvé dans l’eau du lac Michigan ce type de produits plus un antibiotique : la tétracycline. Si Chicago ne rejette pas dans le lac Michigan ses eaux usées après traitement, de nombreuses autres villes le font, d’où l’éventualité de la contamination.

En mars 2008, l’Associated Press a annoncé que deux douzaines de ville ont découvert des médicaments dans leur eau de robinet, mais l’EPA ne demande pas aux villes de chercher ce type de produits dans leur eau de robinet. Certaines municipalités ont procédé à ce type de recherche cependant mais refusent de communiquer à ce sujet. Tel n’est pas le cas de Milwaukee, qui a enregistré la mort de plus de 100 personnes et a compté plus de 400 000 malades en 1993 du fait de la contamination de l’eau par le parasite Cryptosporidium. Cette ville teste et analyse plus de 450 contaminants dans l’eau de robinet et publie les résultats sur son site Web.

A l’heure actuelle, certains chercheurs essaient d’évaluer quels sont les produits qui présentent les plus grands risques pour la santé. Certaines spécialités vendues sans ordonnance, par exemple, peuvent être présentes en grande quantité dans l’eau de boisson, mais de petites concentrations de substances utilisées en chimiothérapie ainsi que les pilules contraceptives pourraient se révéler plus toxiques. D’autres préparations comme les pesticides, les détergents… peuvent être des perturbateurs hormonaux responsables probablement de divers cancers et de malformations congénitales.

Sous la pression de l’EPA, la firme 3M a mis fin, en 2000, à la production de l’acide perfluorooctanoique (PFOA) et de l’acide perflurooctane sulfonique (PFOS) utilisés dans la production du téflon et des rubans de scotch. Ces composés ont été détecté dans le sang ainsi que dans certains aliments : pain, pommes, haricots verts, viande de bœuf hachée. L’EPA déclare que le PFOA est un cancérigène probable, et Dupont va en arrêter la production en 2015. Une étude récente implique ces deux acides dans la naissance de bébés de trop petit poids. Ces composés ne se dégradent pas dans le corps et peuvent y rester pour au moins quatre ans. Il est probable que ces deux acides proviennent des tapis et des tissus qui en contiennent ; lors de leur nettoyage, les composés rejoignent les eaux usées et ne sont pas éliminés lors du traitement de celles-ci. Le lessivage par la pluie des décharges est un facteur à considérer aussi à cet égard.

Bien que les résidus de médicaments et de produits industriels se retrouvent dans l’eau chaque fois que les analystes se penchent sur la question, les autorités fédérales affirment qu’elles n’ont toujours pas assez d’éléments pour légiférer.

Benjamin Grumbles, un responsable de l’eau à l’EPA admet qu’ « il y a une montée des inquiétudes mais nous n’avons pas encore les bonnes réponses. » et de son côté, l’universitaire Rebecca Klaper affirme que de nombreuses propositions de recherche ont été soumises à l’EPA pour l’étude des médicaments dans le lac Michigan mais celle-ci a refusé de les financer.

Commentaire

Cet article montre le décalage habituel entre le temps des politiques et celui des scientifiques et des consommateurs. S’agissant des Etats-Unis, il y a aussi la sacro-sainte liberté des entreprises et du « business » en général, plus la puissance des lobbies, la peur du chômage et celle de la concurrence étrangère… que contrebalance ici la liberté de ton de la presse et des scientifiques. L’inertie des autorités ne laisse pas de surprendre cependant. Des preuves, encore des preuves… mais quid du principe de précaution ? Il est clair que les Etats-Unis auraient intérêt à s’inspirer du programme REACH lancé par l’Union Européenne. Est-il nécessaire que toutes les grandes villes américaines passent par le drame de Milwaukee, sa centaine de morts et ses milliers de malades pour légiférer ?

Plus généralement, il est clair qu’un certain mode de vie consumériste aggrave la situation et contribue fortement à la pollution du milieu et de l’eau en particulier.

On notera enfin que les scientifiques craignent l’effet des mélanges de résidus et ne savent pas grand-chose de leurs possibles impacts sur la santé.

On notera que si l’enquête du Chicago Tribune n’a rien trouvé pour les eaux embouteillées, il faut relever que la législation traite différemment ces eaux comparativement à l’eau de robinet et que les firmes ne sont obligées de faire des analyses pour les médicaments et les produits chimiques industriels. De plus, la loi ne leur impose pas de publier leurs résultats.

Enfin, on a traité exclusivement ici de l’eau potable mais n’oublions pas les retombées de ces résidus médicamenteux et industriels sur la faune et la flore du lac Michigan. Les êtres aquatiques ont été, en effet, les premières sentinelles - involontaires - pour attirer l’attention des humains sur les effets de ces composés dans l’eau, puisque les premiers cas d’hermaphrodisme ont été décrits chez les poissons à l’embouchure de la Tamise, il y a plus de trois décennies.

SOURCES
 Michael Hawthorne, “EPA targets chemical often dumped in Chicago sewers”, Chicago Tribune, 31 janvier 2010
 Michael Hawthorne et Alexia Elejade-Ruiz, Tribune Special Report « What’s in your water ?”, Chicago Tribune, 17 avril 2008.
 Alexia Elejade-Ruiz et Michael Hawthorne, Tribune Special Report, « Bottled brands also put to test », Chicago Tribune, 17 avril 2008.

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