Démocratiser la régulation et la gouvernance de l’eau aux États-Unis

, par  BOUDOURIS Kathryn, FLYNN Sean

Aux États-Unis, le terme d’« entreprise publique » (public utility) fait référence à un type d’industries qui, en raison de la nature du service qu’elles rendent et d’une tendance favorable à l’acquisition de situations de monopole dans leur fourniture, ont été soumises historiquement à un contrôle plus direct et plus approfondi de la part du gouvernement que cela n’est le cas pour d’autres industries. Le contrôle public sur ces entreprises s’exerce à travers soit (1) une propriété directe du gouvernement, soit (2) des commissions de régulation, nommées par le gouvernement ou élues, pour superviser les tarifs et les services des fournisseurs privés. Dans chaque secteur, les mouvements populaires ont été déterminants dans la définition et la structuration du rôle du gouvernement, ainsi que du rôle de la représentation citoyenne au sein des mécanismes publics.

Les commencements

« Dès la fin du XIXe siècle, le sentiment que toute communauté qui se respecte devait disposer de son réseau urbain d’approvisionnement en eau était généralisé parmi les dirigeants municipaux. » (Martin V. Melosi, The Sanitary Idea : Urban Infrastructure in America from Colonial Times to the Present, 2000, p. 116)

Dans les années 1800, alors que les villes américaines croissaient en taille et en densité, la mise en place de réseaux d’eau municipaux apparut comme un enjeu vital d’intérêt public. La santé était une préoccupation essentielle en raison de la congestion croissante en milieu urbain, qui aggravait la pollution des sources locales et entraînait une prolifération de la typhoïde, du choléra et d’autres maladies véhiculées par l’eau [1]. En outre, la fourniture d’un approvisionnement en eau fiable à l’échelle de la ville apparaissait importante pour beaucoup d’entreprises et d’industries ; pour une ville, mettre en place un réseau d’alimentation était dès lors une preuve qu’elle prenait au sérieux ses responsabilités en matière de croissance économique [2].

Au début, la propriété et l’exploitation des services de l’eau relevaient principalement d’acteurs privés. Un seul des 16 réseaux urbains d’adduction existant avant 1800 était public, et, en 1870, 52% des 244 systèmes d’approvisionnement que comptaient les États-Unis étaient encore entre les mains du privé. Mais au cours des 50 années suivantes, parallèlement à la montée en puissance et en importance des municipalités, la tendance s’infléchit de façon spectaculaire en faveur de la gestion publique. En 1896, le nombre de réseaux d’eau aux États-Unis avait dépassé 3000, en majorité possédés et exploités par les municipalités. En 1924, 70% de tous les réseaux d’approvisionnement étaient sous le contrôle des autorités locales.

Le passage de la plupart des villes, et surtout des plus grandes d’entre elles, à une propriété publique des systèmes d’eau à la fin du XIXe siècle fut motivé en partie par des expériences négatives avec des fournisseurs privés. Ceux-ci « étaient connus pour choisir des sources d’eau qui minimisaient l’investissement initial, et pour fermer les yeux sur les problèmes de quantité et de qualité de l’eau qui pouvaient en découler » [3]. Rien ne les incitant à mener à terme des projets qui promettaient d’être peu rentables, ces sociétés « préféraient poser leurs conduites de distribution dans les quartiers plus riches de la ville et se garder d’acheminer l’eau dans les quartiers plus pauvres » [4]. La Baltimore Water Company, par exemple, n’approvisionnait en eau qu’environ 30% à peine de l’ensemble des habitants de Baltimore, même après les importantes adjonctions d’infrastructure qui eurent lieu entre 1835 et 1852 [5]. À son apogée, la Manhattan Water Company, d’exploitation privée, ne desservait qu’un tiers de la ville, et faisait l’objet de critiques constantes relatives à la dégradation de la qualité de l’eau [6]. Les compagnies d’eau privées coûtaient également plus cher que la plupart des fournisseurs municipaux – jusqu’à 40% de plus à la fin du siècle.

Dans de nombreuses villes, notamment New York, ces expériences ont nourri des mouvements politiques qui ont poussé le corps législatif local à voter des résolutions en faveur de la municipalisation du service de l’eau. Dans d’autres villes, la municipalisation fut encouragée par les chambres de commerce et les associations professionnelles, qui cherchaient à concurrencer des communes rivales dans la course aux investissements [7]. Enfin, il arriva souvent que le secteur privé n’avait tout simplement pas la capacité de répondre une demande en rapide augmentation.

La municipalisation ne suffit pas à corriger automatiquement les inégalités dans l’offre de service. Les relations hiérarchiques qui régnaient dans les structures administratives de nombreuses villes tendaient à favoriser les intérêts des nantis. À Detroit, par exemple, l’entreprise publique accorda la priorité à l’extension du service à des terrains à construire, afin de favoriser le développement, plutôt qu’à l’approvisionnement des quartiers déshérités [8]. Dans l’ensemble, cependant, la plupart des systèmes municipaux ont démontré une plus grande capacité à faire face à une demande d’eau en forte croissance à un prix inférieur à leurs homologues privés.

La naissance de la régulation

« La régulation est une institution typiquement américaine. » (Roger G. Noll et Bruce M. Owen, “What Makes Reform Happen”, Regulation 19, 1983, p. 7)

Bien que la gestion municipale directe de l’eau et de l’assainissement ait été le mode dominant d’approvisionnement à partir des années 1900, il restait un nombre non négligeable d’entreprises privées de l’eau desservant des villes et agglomérations de toutes tailles. Avec l’avènement de la « Progressive Era » [9], ces entreprises furent identifiées comme des « monopoles naturels » et soumises au contrôle des agences de régulation gouvernementales.

Le concept de « monopole naturel » a son origine dans l’analyse de l’industrie ferroviaire. Force fut de constater que dans ce secteur, la concurrence débridée entraînait des résultats particulièrement inefficients, tels que différentes compagnies posant des lignes de chemins de fer parallèles pour desservir le même endroit, à un prix démesuré.

Cette notion de « monopole naturel » constituait une justification convaincante, dans les termes mêmes de l’économie classique, de la nécessité d’une intervention forte de l’État dans un secteur limité d’« entreprises publiques », qui ne subiraient autrement, du fait de l’absence de concurrence, aucune pression pour maintenir des prix bas ou desservir des quartiers moins rentables. Pour parvenir à des solutions économiques et sociales optimales, le gouvernement devait dès lors soit fournir lui-même directement les marchandises ou le service, soit mettre en place des instances de régulation qui « remplacent la main invisible d’Adam Smith pour protéger les consommateurs des tarifs exorbitants, de la limitation artificielle de l’offre, de la dégradation du service rendu ou encore des discriminations et des inégalités » [10].

Au-delà de la justification théorique du contrôle gouvernemental sur les entreprises publiques que pouvaient ainsi fournir les économistes patentés, ce fut la mobilisation populaire, à commencer par le « granger movement », un mouvement de collectifs de petits agriculteurs, qui força les gouvernements à agir concrètement. Né dans les années 1870, le granger movement prit rapidement de l’ampleur jusqu’à atteindre plus de 850 000 membres. La dénonciation des prix et des pratiques commerciales abusives des entreprises ferroviaires, des commerçants et des banques vis-à-vis des petits agriculteurs prit un caractère de plus en plus central dans leurs revendications.

Le granger movement parvint à faire pression sur les administrations des États pour qu’elles mettent en place toute une série de commissions de régulation dotées d’un pouvoir d’examiner (mais souvent non de fixer) les tarifs des chemins de fer. Le développement de ces instances de régulation fut renforcé au cours de la période d’agitation politique populaire qui marqua la Progressive Era, à partir approximativement de 1896 et jusqu’à la Première guerre mondiale. Tirant les leçons de la théorie du monopole naturel, les Progressistes réclamèrent du gouvernement qu’il intervienne fortement dans la régulation d’un certain nombre d’industries puissantes de l’époque, dont les entreprises privées de l’électricité et de l’eau.

Dès les années 1920, chaque État de l’Union disposait d’une commission de régulation ayant autorité pour surveiller les tarifs et la qualité du service public assuré par des prestataires privés. Ces commissions étaient en général tenues de promouvoir des services adéquats à des tarifs raisonnables, tout en assurant aux entreprises un taux de retour sur investissement honnête pour les actionnaires, afin d’attirer des flux de capitaux privés supplémentaires.

De par leur conception même, la régulation exercée par ces commission d’État occasionna dans les faits un transfert d’autorité quant aux services publics et à leurs priorités du niveau local à celui des administrations des États, et donc une perte de pouvoir des municipalités. Celles-ci pouvaient toutefois éviter cette dépossession en instaurant leurs propres services publics, qui échappaient au contrôle de la plupart des commissions d’État. Ce fut un facteur supplémentaire qui encouragea les villes les plus entreprenantes à construire et à gérer, entre autres services publics, leurs propres systèmes d’approvisionnement en eau. Aujourd’hui, environ 85% de la population des États-Unis est desservie par de tels réseaux publics d’eau. On dénombre également environ 4000 réseaux électriques municipaux.

Démocratisation du processus de régulation

« L’une des caractéristiques primordiales du mouvement des consommateurs américain de cette dernière décennie est l’attention privilégiée qu’il a porté à l’examen et la réforme des agences administratives vues comme trop laxistes en matière de protection des intérêts des citoyens. » (Robert B. Leflar & Martin H. Rogol, “Consumer Participation in the Regulation of Public Utilities : A model Act”, Harvard Journal on Legislation 235 (1976), p. 13)

Entre les années 1920 et les années 1960, la tâche principale des commissions a été de redistribuer entre les consommateurs, sous la forme de baisses de tarif, les réductions de coût liées aux progrès technologiques et aux économies d’échelle. Même si ces commissions ont toujours eu leurs détracteurs [11], ce n’est qu’avec l’essor du mouvement des consommateurs à la fin des années 1960 et au début des années 1970 qu’une réforme significative fut mise à l’ordre du jour. Durant ces années, les taux d’intérêt accrus, la crise mondiale du pétrole et une inflation croissante concoururent à inverser la tendance à une baisse régulière et continue des tarifs des services publics. Leurs prix, notamment ceux de l’électricité, augmentèrent considérablement. Dans un tel contexte, les critiques relatives à l’accaparement des agences de régulation par les intérêts industriels prirent une nouvelle ampleur, et les propositions de réforme de ces instances trouvèrent un écho bien plus favorable [12].

De nombreux États ont répondu à cette crise croissante de légitimité des commissions de régulation en modifiant le processus de sélection des membres de cette commission, et notamment en introduisant leur élection. Un autre type de réforme couramment mis en œuvre fut l’élargissement des possibilités de participation au processus de régulation, notamment vis-à-vis des usagers et habitants qui, par manque de ressources et en raison des coûts de transactions élevés qu’impliquait la constitution d’associations de défense, n’étaient en général pas du tout représentés dans le processus.

Les réformes appliquées pour renforcer la représentation des consommateurs variaient, depuis le paiement par le gouvernement ou l’entreprise publique en question d’experts spécialement voués à la défense des intérêts du public, jusqu’à la mise en place de véritables bureaux de « conseil aux consommateurs », comprenant juristes, experts-comptables, économistes et animateurs sociaux, avec pour mission d’animer le processus de régulation ainsi que d’organiser et de former la communauté sur les enjeux des services publics. Une institution particulièrement innovante et efficace mise en place dans de nombreux États est connue sous le nom de Citizen Utility Board (CUB, Conseil citoyen sur les services publics), ou plus rarement de Residential Utility Consumer Action Group (Groupe d’action d’usagers domestiques des services publics).

Les CUB sont des organisations de bénévoles financées par les contributions de leurs membres. Les lois les plus typiques mettant en place ces CUB au niveau des États leur permet de recruter des membres via des encarts insérés dans les factures adressées par les services publics à leurs consommateurs. Concrètement, ces consommateurs peuvent choisir, en cochant ou non une case dans leur facture, d’apporter une contribution à la CUB, ajoutée à la facture normale et dont le montant est reversée par l’entreprise publique à la CUB [13]. Tous les membres qui acceptent de verser une contribution minimum ont le droit d’élire les représentants au conseil d’administration du CUB, sur la base d’un suffrage par membre. Le conseil d’administration supervise une équipe d’animateurs, d’avocats et d’autres experts indispensables à la représentation des usagers domestiques dans toutes les délibérations des agences de régulation, des corps législatifs et dans tous les processus publics ayant une influence sur le prix et la qualité du service rendu par les entreprises publiques. Le texte de loi standard établissant les CUB les investit également du pouvoir de mener et de soutenir des activités de recherche, d’enquête et d’information du public sur tous les sujets liés aux services publics, ainsi que de participer à des initiatives citoyennes et à des campagnes référendaires dans les États où cette possibilité existe [14].

De nombreux CUB ont connu de grandes réussites en matière de défense des intérêts des consommateurs. L’une de celles qui a connu le plus franc succès, la CUB de l’Illinois, a permis aux consommateurs d’économiser plus de 5 milliards de dollars US en deux décennies en bloquant des hausses de tarifs et sous forme de remboursements consentis aux clients. Cette CUB revendique auprès du corps législatif de cet État un renforcement des lois de protection des consommateurs, publie du matériel de sensibilisation des consommateurs, et gère une ligne d’assistance téléphonique pour les consommateurs qui répond à plus de 6 000 appels par an, et fournit une assistance aux consommateurs qui ont des réclamations contre leurs fournisseurs de service.

Consolidation, privatisation et résistance

« Les principales compagnies d’eau européennes considéraient les États-Unis comme le dernier grand bastion de l’eau (et de l’assainissement) encore sous tutelle publique. » (Steve Maxwell, “Musical Chairs in the Water Industry : Consolidation or Fragmentation ?”, Journal of the American Water Works Association 28, Novembre 2003)

Aux États-Unis, le prix de l’approvisionnement en eau connaît une croissance spectaculaire en raison du besoin de remplacer les infrastructures vieillissantes et de se conformer à des règles de sécurité et d’impact environnemental de plus en plus rigoureuses. Dans le même temps, le soutien du gouvernement national aux projets de développement d’infrastructures locales s’est réduit, obligeant les municipalités et leurs citoyens à supporter tout le poids de la hausse des coûts.

Beaucoup considèrent que les petits réseaux d’approvisionnement sont particulièrement mal placés pour faire face à ces exigences croissantes d’investissements. Le secteur privé a connu une vague de fusions qui, selon les grandes compagnies de l’eau, augmente la capacité des sociétés à faire face aux besoins d’investissement. Les plus importantes compagnies d’eau privées des États-Unis ont à leur tour été prises pour cibles d’opérations de rachat par leurs homologues européennes, bien plus grosses, parmi lesquelles RWE/Thames, Veolia (anciennement Vivendi) et Suez.

De puissantes forces politiques se sont soulevées contre la privatisation de l’eau aux États-Unis, faisant avorter plusieurs grands projets de ce type. Des coalitions d’organisations citoyennes et de syndicats du secteur public ont forcé la ville d’Atlanta à résilier un contrat d’exploitation et de maintenance de 428 millions de dollars après que l’entreprise délégataire Suez/United Water ait considérablement réduit ses effectifs, augmenté les tarifs de 17%, ralenti les délais d’accès au service et manqué de répondre de manière adéquate aux réclamations des consommateurs, qui se plaignaient de voir de l’eau brune à s’écouler de leurs robinets. À la Nouvelle-Orléans, la ville a dépensé 5 millions de dollars pour évaluer les offres de contracteurs privés potentiels avant de mettre fin au processus de privatisation en avril 2004, en réponse à une lame de fond d’opposition populaire et syndicale organisée [15]. À Stockton, en Californie, le projet de déléguer l’exploitation et la maintenance du service de l’eau à RWE/Thames a été annulé par un tribunal, suite à une plainte déposée par des groupes communautaires, qui ont argué avec succès que le projet n’était pas en conformité avec les lois de planification environnementale.

Les tentatives de privatisation se sont reportées en conséquence sur les petites villes, où les habitants sont souvent moins organisés, et où les pressions financières peuvent être plus drastiques. Mais les citoyens des petites villes sont de plus en plus informés des ramifications possibles d’un processus de privatisation, et il semble que des mouvements d’opposition réussissent désormais à s’y implanter. En septembre 2005, les élus de la ville de Lee, dans le Massachusetts, ont décidé à 41 voix contre 10 de rejeter un contrat de monopole de 20 ans avec Veolia. Cette décision de renoncer à la privatisation a été fortement influencée par une campagne citoyenne, qui est parvenu à faire partager ses inquiétudes quant aux antécédents de Veolia sur des projets de ce type et à la manière dont seraient traités les employés en poste [16].

Dans certaines villes où des services de l’eau privés étaient en place, les consommateurs ont fait pression sur leurs administrations pour qu’ils soient municipalisés. À Lexington, dans le Kentucky, un mouvement populaire a réussi à faire voter par le conseil municipal le remplacement de la société privée qui desservait la ville depuis les années 1880, mais avait récemment été rachetée par le conglomérat allemand RWE [17]. Des campagnes en faveur de la municipalisation sont également menées à Felton en Californie et à Nashua dans le New Hampshire [18]. À Pekin, dans l’Illinois, les électeurs se sont servis d’un procédé de référendum datant de la Progressive Era (lequel permet aux citoyens de faire valider directement une législation par suffrage populaire) pour exiger le passage de son réseau d’eau sous tutelle publique.

Vers une démocratisation des services publics

La démocratisation des services publics peut aller plus loin que la simple distinction entre propriété publique et propriété privée. La démocratie est un processus, pas une forme de propriété. Les institutions participatives, parmi lesquelles les CUB, les opérateurs de services publics de quartier ou les coopératives, peuvent concourir à la démocratisation des services publics sous tutelle gouvernementale en donnant aux citoyens le pouvoir de forcer leurs dirigeants à rendre des comptes.

Dans de nombreuses communautés, rassembler les ressources nécessaires pour répondre à leurs besoins d’investissement et de fonctionnement représente une contrainte réelle et sérieuse. Il est souvent possible d’y faire face grâce à des formes de coopération inter-municipales. Par exemple, plusieurs banlieues voisines de Manassas, en Virginie, à proximité de Washington D.C., étaient confrontées à une croissance rapide de leur population, d’où le besoin de construire nouvelle usine de traitement des eaux usées. Plutôt que de privatiser, la région a pris en charge les coûts et bénéfices liés aux économies d’échelle en créant une nouvelle autorité publique, sous le nom d’agence d’action commune (joint action agency), afin de construire et d’exploiter cette nouvelle usine de traitement.

L’accès à l’expertise nécessaire peut se faire par l’entremise d’autres organismes publics. Le fournisseur public de Cincinnati, par exemple, a étendu ses services d’assistance technique aux petites structures publiques localisées à proximité.

Aux États-Unis mêmes, il existe de nombreux types de structures organisationnelles qui permettent une participation plus directe et plus large à la gouvernance des services publics que dans le modèle traditionnel, où le gouvernement est propriétaire du service et désigne directement ou indirectement sa direction. Le Sacramento Municipal Utility District (SMUD, opérateur local des services publics de Sacramento) est ainsi dirigé par un Conseil d’administration dont les membres sont élus directement par la population. Chacun des sept directeurs représente une zone géographique (ward) différente au sein de la zone de service du SMUD, et leur sièges sont attribués au scrutin personnel uninominal. Ce système permet aux citoyens d’exprimer des choix politiques différents en ce qui concerne la gouvernance de leurs services publics de proximité et en ce qui concerne la gouvernance de la ville dans son ensemble. Il permet aussi de s’assurer que chaque zone bénéficiera d’une représentation politique proportionnelle à sa population et d’éviter les décisions d’investissement trop favorables à une zone au détriment de toutes les autres. Un autre type de structure de service public plus directement responsable vis-à-vis des citoyens est la coopérative, où ce sont les usagers-membres et eux seuls qui ont le pouvoir de déterminer la gouvernance de l’entreprise. On dénombre plus de cent millions de clients de coopératives de services publics aux États-Unis, dans les secteurs de l’eau, de l’électricité et des télécommunications.

Là où les services publics sont assurés par le secteur privé, les partisans de la démocratisation ne doivent pas non plus limiter leurs revendications à des appels à la municipalisation. Mettre en place des instances qui font le lien entre intérêts des citoyens, ressources financières et expertises, telles que les CUB, permet également de renforcer les capacités des citoyens en vue de contrôler les services publics, en participant aux processus de régulation et en faisant pression sur les élus. Les régulateurs eux-mêmes peuvent faire l’objet d’une élection directe par la population, ce qui ne manquera pas de les sensibiliser davantage aux préoccupations des consommateurs.

Cet article a été publié pour la première fois en 2005, dans l’édition originale de ‘Reclaiming Public Water’.

[1Comm. on Privatisation of Water Services in the US, National Research Council, Privatisation of Water Services in the United States : An Assessment of Issues and Experience, 2002, p. 30.

[2Martin V. Melosi, The Sanitary Idea, op. cit., p. 119.

[3Peter H. Gleick et al., The New Economy of Water : The Risks and Benefits of Globalisation and Privatisation of Fresh Water, 2002, p. 23, citant L. Anderson, “Water and the Canadian City”, Water and the City, 1991.

[4Ibid., citant N.P. Blake, “Water and the City : Lessons from History”, Water and the City, 1991.

[5Privatisation of Water Services in the United States, op. cit., p. 31.

[6M.V. Melosi, op. cit., p. 37.

[7Ibid., p. 119-121.

[8Ibid., p. 123.

[9Progressive era ou “ère progressiste” désigne une période de l’histoire des États-Unis allant des années 1890 aux années 1920 et marquée par des réformes économiques, sociales et politiques allant dans le sens de davantage de régulation, en rupture avec le laissez-faire de la période antérieure. (NdT)

[10Walter Adams, “The Role of Competition in the Regulated Industries”, American Economic Review 40 (1963), p. 53.

[11Horace M. Gray, “The Passing of the Public Utility Concept,” Journal of Land & Public Utility Economics 16, 8-20 (1940) : « Apparu comme un système de contrôle social créé essentiellement, ou du moins prétendument, pour défendre les consommateurs de l’agressivité des monopoles, [le concept d’entreprise publique] a fini par devenir un dispositif de protection de la propriété - c’est-à-dire des anticipations de profits de ces monopoles – face aux justes demandes de la société, et par entraver le développement d’institutions socialement supérieures. »).

[12Cf. Stephen Breyer, Regulation and Its Reform, 1982, p. 351 : « Si les décisions des agences ne sont pas contrôlées par le Congrès, si elles ne sont pas établies de façon scientifique, si les décideurs des agences ne sont pas élus, quel droit a cette agence de déterminer ses propres politiques ? Qu’est-ce qui rend les décisions de l’agence légitimes ? ». Robert B. Leflar & Martin H. Rogol, art. cité, p. 13 : « Les employés de la [commission] ont souvent tendance à soumettre les analyses de données soigneusement préparées que leur soumettent les sociétés de services publics à un examen acritique, notamment en l’absence de pression de la part des consommateurs pour que leurs intérêts soient défendus. »

[13Dans une décision très critiquée, de la Cour Suprême américaine jugea que les États ne pouvaient pas forcer une entreprise privée à inclure de telles communications, suite à quoi les lois encadrant les CUB furent modifiées pour mettre en place d’autres modes de recrutement des membres, par exemple à travers des encarts dans les courriers des agences gouvernementales.

[14Cf. Leflar & Rogol, art. cité.

[15Public Citizen, “US Privatisation Update : State of Play and Recent Developments” (Forum Social de Boston, juillet 2004).

[16Public Citizen, “Currents : Public Citizen’s Water For All Campaign Newsletter” (Octobre 2004).

[17On peut trouver le site Web du mouvement à l’adresse suivante : http://www.bluegrassflow.org ; cf. John Stamper, « Mayor appoints task force to study how city could run water company », Lexington Hearld-Leader (10 mars 2004).

[18Public Citizen, « US Privatisation Update ».

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