Exploiter les aquifères sous-marins pour faire face au manque d’eau ?

, par  Olivier Petitjean

Alors que la perspective d’une raréfaction des ressources en eau dans de nombreux pays fait régulièrement la une de la presse internationale, les regards commencent à se tourner vers une nouvelle source jusqu’ici ignorée : les nappes phréatiques sous-marines. Mais les incertitudes sont encore nombreuses sur l’ampleur exacte de ces ressources et les conditions de possibilité de leur exploitation.

En décembre 2013, un groupe de chercheurs publiait dans la revue Nature un article estimant à 500 000 kilomètres cube les réserves d’eaux souterraines qu’abriteraient les fonds marin – un volume largement supérieur à la totalité des eaux souterraines extraites par les hommes depuis le début du XXe siècle. Les chercheurs soulignent toutefois les « très grandes incertitudes » qui règnent encore dans ce domaine. Cette étude scientifique est la toute première à essayer de quantifier précisément les réserves d’eaux souterraines localisées sous les fonds marins.

Ces nappes phréatiques sous-marines auraient été formées à des époques où le niveau des océans était plus bas qu’aujourd’hui, sous des terres qui ont été submergées depuis – et qui ne sont donc pas excessivement éloignées des côtes actuelles. Elles bénéficieraient aussi de déchargements d’eau en provenance d’aquifères terrestres. Certaines de ces nappes sous-marines seraient localisées à proximité de pays qui manquent cruellement d’eau, comme la Chine, l’Afrique du Sud et l’Australie. Selon les chercheurs, elles recèleraient une eau douce ou saumâtre, beaucoup moins salée que l’eau de mer (et donc moins coûteuse à dessaler).

Faire face au manque d’eau

Pour faire face au manque d’eau dans certaines régions, les décideurs se sont tournés vers diverses options. Les unes sont basées sur les économies d’eau, c’est-à-dire sur une réduction de la demande. Réduction qui peut être obtenue soit par l’innovation technique, soit par un changement plus radical des modèles de consommation et de production. Les autres solutions sont basées sur une augmentation de l’offre disponible, et font appel à diverses solutions techniques : construction de barrages, infrastructures de transport d’eau à grande échelle, recyclage des eaux usées ou dessalement de l’eau de mer. Elles se caractérisent toutes par leur coût élevé et par leur impact environnemental problématique, mais elles sont souvent privilégiées par les gouvernements (car plus faciles à mettre en œuvre politiquement qu’un changement radical de modèle de développement) et par les intérêts économiques (car davantage sources de prodits).

L’exploitation des nappes phréatiques sous-marines ne constitue pas un défi technologique moindre que les autres solutions basées sur l’augmentation de l’offre. Les techniques d’exploration des sols et sous-sols marins ont connu un nouvel essor ces dernières années, dans la perspective d’une exploitation des ressources minérales qui y sont recelées. Soit les aquifères sont situés très près des côtés, et alors ils peuvent être exploités de manière relativement directe, avec une unité de dessalement. Un tel dispositif existe d’ailleurs déjà dans le New Jersey aux États-Unis. Lorsque les aquifères sont plus éloignés des côtes, leur exploitation implique en fait de mettre en œuvre des solutions assez similaires à des forages pétroliers offshore… Un essai de forage réalisé au large d’une île située à 60 kilomètres de Shanghai dans la mer de Chine donne une bonne idée du dispositif nécessaire (voir ici.

Au final, ce sont effectivement les petites îles aux ressources en eau douce limitées qui pourraient être les premières bénéficiaires de ces nappes sous-marines – si elles ont les moyens de les exploiter. La Chine, notamment, a investi massivement ces dernières décennies dans toutes les diverses solutions d’augmentation de l’offre en eau douce : énormes barrages, mégaprojets de transfert d’eau (le Canal Sud-Nord), capacité de dessalement… Le recours aux nappes sous-marines pourrait s’avérer une option réaliste et moins coûteuse dans certaines régions côtières.

Une ressource durable ?

Si l’exploitation des aquifères souterrains paraît potentiellement moins problématique du point de vue environnemental que le dessalement classique (en raison d’une moindre consommation énergétique, et d’une moindre production de déchets de saumure), il reste bien des questions sur son impact potentiel. L’exploitation de ces nappes pourraient mener à des affaissements du sol marin, et à leur contamination par les eaux de mer. Sans parler de la grande inconnue de la qualité de ces eaux souterraines, particulièrement dans les deltas ou dans les zones de forage pétrolier offshore.

Notons enfin qu’il s’agit de nappes phréatiques non renouvelables. Si les réserves annoncées par les chercheurs sont significatives, leur réalité est encore incertaine, de même que la possibilité de les exploiter de manière viable. Plus qu’une solution miracle au manque d’eau, il y a de fortes chances que cette nouvelle ressource n’apporte au mieux que des réponses ponctuelles et localisées.

SOURCES
“Offshore fresh groundwater reserves as a global phenomenon”, Nature 504, 71–78 (05 December 2013). http://www.nature.com/nature/journal/v504/n7478/full/nature12858.html
Pierre Le Hir, « De vastes réserves d’eau douce sous les mers », Le Monde, 6 décembre 2013. http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/12/06/de-vastes-reserves-d-eau-douce-sous-les-mers_3526469_3244.html
Chen Yunnan, Undersea freshwater reserves could alleviate China’s water shortages, https://www.chinadialogue.net/blog/6639-Undersea-freshwater-reserves-could-alleviate-China-s-water-shortages-/en

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