L’irrigation peut être source de maladies

, par  Larbi Bouguerra

De nombreux pays africains ont misé sur l’irrigation pour accroître la production agricole et assurer une meilleure sécurité alimentaire aux populations. Cependant, ces hydro-aménagements, souvent synonymes de risques sanitaires, n’ont pas toujours atteints leurs objectifs.

Le paludisme

Au palmarès des maladies liées à l’eau en Afrique, le paludisme occupe de loin la première place par le nombre de victimes. Aux abords des petites retenues d’eau ou des grands barrages, dans la végétation ou les cultures alentour, les moustiques anophèles – vecteurs du paludisme – prolifèrent. Une étude menée par l’IRD en Côte d’Ivoire est particulièrement éclairante : au Nord du pays, dans les bas-fonds irrigués où les riziculteurs pratiquent deux récoltes par an, le nombre d’anophèle gambiae capturés est cinq fois plus important que dans les bas-fonds non aménagés où dominent les cultures vivrières. Cet accroissement spectaculaire ne signifie pas pour autant une augmentation des cas de paludisme. Malgré les hautes densités vectorielles (de moustiques), le taux d’anophèles infectés est faible. La transmission et l’incidence des accès palustres sont quasiment les mêmes, que les villages pratiquent ou non la riziculture irriguée.

Ces résultats, a priori surprenants, soulignent la complexité des liens entre hydro-aménagements et paludisme. Pour bien les mesurer, il faut tenir d’abord compte de la situation épidémiologique préexistante : dans les régions comme le Nord de la Côte d’Ivoire, où l’endémie est stable et la transmission permanente, la création de retenues d’eau n’entraîne généralement pas une augmentation des cas de paludisme, car la population est relativement immunisée contre le parasite. En revanche, là où la transmission est irrégulière et n’assure donc pas une immunité suffisante, elles peuvent être à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité accrues, comme cela a été observé au Burundi ou sur les Hauts Plateaux malgaches.

Si les hydro-aménagements ne sont pas toujours la cause directe d’épidémies, en revanche, ils peuvent générer des conditions de vie qui fragilisent les populations. On montre qu’avec deux cultures annuelles en comparaison d’une seule dans les bas-fonds irrigués, les fièvres palustres sont, malgré une transmission comparable, plus fréquentes, tout particulièrement chez les enfants. L’intensification de la riziculture favorisée par l’irrigation, entraîne un surcroît de travail pour les femmes qui disposent alors de moins de temps à consacrer aux soins des enfants. Par ailleurs, elles sont souvent moins autonomes économiquement que celles dont les familles pratiquent la riziculture inondée. Or, les études mettent en évidence que les femmes ayant une certaine indépendance financière consacrent, plus que les hommes, leurs ressources à l’éducation et à la santé de leurs enfants.

La bilharziose

Comme le paludisme, la bilharziose est une maladie hydrique transmise par un parasite qui entre dans le corps de la victime quand celle-ci travaille dans l’eau sans chaussures, bottes ou gants, par exemple. Mais le vecteur a besoin d’un mollusque pour accomplir son cycle de vie (hôte intermédiaire). L’effet amplificateur des barrages et des canaux d’irrigation est attesté du Ghana à l’Égypte. Ces équipements augmentent la densité des mollusques qui hébergent le parasite (schistosomes) ainsi que la transmission de la maladie. L’un des cas les plus frappants à cet égard est l’extraordinaire flambée de bilharziose intestinale qui a touché en 1988 la ville de Richard Toll au Sénégal : d’une ampleur rarement observée (en deux ans, la moitié de la population a été contaminée), elle se produisit peu après la mise en eau du barrage de Diama. Auparavant, la bilharziose intestinale ne s’était jamais installée à cette latitude en Afrique de l’Ouest.

Si les retenues d’eau sont propices à la multiplication des mollusques, hôtes intermédiaires, ceci ne suffit pas à expliquer les brutales flambées épidémiques ou des situations d’hyperendémie. Les périmètres irrigués dont la création est souvent associée à des vagues de migration favorisent un contact accru des populations avec les points d’eau. En Afrique, les aménagements hydrauliques ne sont pas seulement utilisés à des fins agricoles, ils deviennent souvent le lieu de multiples activités : pêche, baignades, lessives, jeux des enfants… Une étude menée par une géographe de la santé montre que, dans les quartiers adjacents aux bas–fonds à Daloa en Côte d’Ivoire, la prévalence de la maladie est plus élevée quand la zone irriguée constitue le prolongement de l’espace de vie des habitants que lorsque c’est un lieu de travail dissocié de la zone d’habitation. Des facteurs socio-politiques peuvent également faire le lit de la maladie, selon l’analyse de Pascal Hanschumacher, géographe de la santé à l’IRD, dans une étude sur l’épidémie de Richard Toll : dans cette ville, un fort afflux de population ainsi que des intérêts divergents entre les acteurs économiques et l’Administration ont construit des espaces urbains à risque constituant « une bombe qui n’attendait plus qu’une étincelle », en l’occurrence la mise en eau des barrages sur le fleuve.

Commentaire

Pour qu’en Afrique règne la paix et pour éloigner le spectre des conflits ethniques, religieux… il importe que les gens mangent à leur faim et ne soient pas fragilisés par la maladie. Pour que l’Afrique garde ses enfants et pour qu’ils n’essaient pas de traverser les mers sur de frêles esquifs pour chercher un bien-être illusoire ailleurs, il importe qu’une vie digne leur soit assurée. Souvent, c’est par l’agriculture que ces objectifs sont atteints. Or, l’agriculture exige de l’eau et les retenues d’eau (barrages, barrages collinaires, mares et marigots) présentent des risques d’anophélisme. Le paludisme coûte deux millions de morts par an au Continent Noir. L’incidence de la maladie sur l’économie est énorme. D’après l’OMS, 38 % du PNB africain partirait en fumée du fait de la morbidité et de la mortalité.

La bilharziose, quant à elle, est aussi un problème d’éducation car souvent les gens, dans la vallée du Nil – où elle fait des ravages – par exemple, font leurs besoins dans le fleuve ou les canaux d’irrigation. S’ils sont contaminés, le parasite va proliférer. Il est vrai que l’habitat est si rudimentaire que les gens n’ont pas le choix. Les problèmes socio-économiques et la bureaucratie sont aussi à l’origine du mal ainsi que le manque de concertation. La lutte contre la bilharziose repose aussi sur l’éducation et l’école a à jouer un rôle clef, comme on l’a compris en Égypte. Mais il s’agit d’un combat de très longue haleine. Commencé dès le Révolution de Juillet 1954 avec Nasser, le combat continue car il faut en même temps améliorer le niveau de vie des gens et les soigner, à défaut de les vacciner…

SOURCE
 Sciences au sud, n° 11, septembre - octobre 2001.

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