La question des aquifères souterrains transfrontaliers

, par  Olivier Petitjean

De manière moins visible que les fleuves, les aquifères souterrains illustrent eux aussi le caractère transfrontalier de la plupart des ressources en eau, et donc la nature parfois délicate et toujours éminemment politique de leur partage.

Les aquifères souterrains représentent 90 % des ressources en eau douce de la planète, et de nombreux pays en dépendent de manière quasi exclusive pour assurer leur approvisionnement en eau pour la consommation humaine et pour l’irrigation. Les aquifères souterrains, tout comme les eaux de surface (fleuves et lacs) ont dans la plupart des cas un caractère transfrontalier. L’Europe est un continent particulièrement riche en aquifères transfrontaliers (plus d’une centaine au total), mais les autres régions du monde ne sont pas en reste. En Amérique du Sud, Brésil, Uruguay, Paraguay et Argentine se partagent l’eau de l’aquifère Guarani, le plus grand du monde avec 1,2 million de kilomètres carrés.

Tout comme les eaux superficielles, les eaux souterraines sont confrontées à des menaces à la fois en termes de quantité et de qualité. Dans de nombreux cas (peut-être la plupart), particulièrement dans de grandes zones d’irrigation (Midwest américain, Asie du Sud), les prélèvements sont supérieurs au taux de renouvellement naturel, et le niveau des nappes baisse continuellement. Cette réduction quantitative ne fait qu’aggraver les problèmes de pollution liés notamment à l’agriculture. Dans certaines régions comme l’Afrique du Nord et la péninsule arabique, les aquifères se sont formés il y a des milliers d’années sous un climat plus humide, et ont cessé d’être réalimentés par les eaux de pluie. Ailleurs, le rythme de réalimentation des nappes est si lent qu’il paraît insignifiant en regard du taux de prélèvement.

Parce qu’ils sont moins visibles, la question de la gestion et du partage des aquifères transfrontaliers peut sembler moins explosive que celle du partage des fleuves et autres eaux de surface. Dans de nombreux endroits du monde, cependant, les aquifères souterrains sont source de tension, ou partagés de manière inégalitaire et discriminatoire. Des prélèvements excessifs d’un côté d’une frontière peuvent entraîner des conséquences graves sur la quantité et la qualité de l’eau disponible de l’autre côté. La spécificité des aquifères souterrains, et en particulier la difficulté à mesurer leur niveau et à contrôler toutes les opérations de prélèvement et de pompages, n’est pas de nature à faciliter les formes de gestion coopérative, mais plutôt à entretenir les soupçons. Dans de nombreux pays, les prélèvements souterrains ne sont tout simplement pas réglementés.

Le cas emblématique et dramatique des territoires occupés palestiniens

La situation des territoires palestiniens est la meilleure illustration qui soit d’une gestion conflictuelle et discriminatoire des aquifères souterrains. Les Palestiniens sont parmi les êtres humains qui disposent du moins d’eau par personne : seulement 320 mètres cubes par an. L’une des raisons de cet état de choses est, outre l’absence de tout droit aux eaux du Jourdain, l’inégalité de la répartition de l’eau des aquifères que ces territoires partagent avec Israël. Le gouvernement israélien a imposé – et perpétue par la force des armes – des règles de prélèvements qui favorisent ses propres citoyens, et notamment les colons. En conséquence, la population israélienne, équivalente au double environ de celle des territoires occupés, consomment 7 fois et demi plus d’eau par personne et par an. Les colons, quant à eux, disposent de neuf fois plus d’eau que l’habitant moyen des territoires palestiniens.

La Cisjordanie dépend pour son eau de l’aquifère occidental, qui fait partie du bassin du Jourdain. Il s’agit d’un aquifère renouvelable, qui est réalimenté pour trois quarts par la pluie tombant en Cisjordanie, laquelle s’écoule ensuite vers la côte israélienne. Les autorités israéliennes s’attachent donc à limiter les prélèvements en amont (sauf lorsqu’il s’agit des colonies) pour s’assurer une plus grande quantité d’eau disponible en aval. Pour s’assurer de ce résultat, la Commission « mixte » de l’eau a imposé des règles de prélèvements très strictes pour les Palestiniens et très souples pour les colons, de sorte que ces derniers, qui détiennent 13 % des puits, comptent pour 53 % des prélèvements. Ajoutons que la qualité des eaux de l’aquifère occidentale semble sérieusement menacée du fait de l’absence de traitement des eaux usées dans la zone.

Pour ce qui est de Gaza, la situation est exactement inverse. La population y dépend d’aquifères côtiers peu profonds, alimentés par de l’eau tombant du côté israélien. En raison de l’importance des prélèvements de l’autre côté de la frontière, l’eau n’atteint plus que rarement Gaza, avec pour conséquence la baisse des nappes et la salinisation accrue de l’eau encore disponible.

Inutile de dire que cette situation se traduit par des pertes économiques et humaines considérables du côté palestinien, alors même que la population ne cesse d’y augmenter. La construction du mur de séparation est encore venu aggraver la situation en séparant les Palestiniens d’une partie de leurs puits. Une partie de la population palestinienne est de fait dépendante de livraisons d’eau par des sociétés israéliennes – livraisons qui sont, comme celles d’autres produits de nécessité, soumises au bon vouloir de l’armée israélienne.

Vers un nouvel instrument international pour favoriser les coopérations

Jusqu’à récemment, malgré leur importance, il n’existait aucun texte international relatif à la gestion des aquifères transfrontaliers, et les initiatives de coopération quelque peu formalisées étaient quasi inexistantes par rapport à ce qui existe en matière de gestion des fleuves. (Il est vrai que l’entrée en vigueur de l’instrument législatif international relatif aux fleuves, la convention-cadre sur la gestion des cours d’eau adoptée en 1997, est elle-même sans cesse retardée, voir le texte Vers une convention-cadre sur l’utilisation des cours d’eau à d’autres fins que la navigation.).

Fin 2008, la Commission du droit international des Nations Unies a finalement rendu public un projet de convention-cadre sur les aquifères transfrontaliers. Le projet de texte, rédigé en collaboration avec le programme hydrologique de l’UNESCO, insiste sur les questions de pollution et de contrôle de la qualité et de la quantité des ressources souterraines. À cette occasion a été publié le premier répertoire mondial des aquifères souterrains, avec des informations relatives à la qualité de leur eau et à leur taux de renouvellement. Cet inventaire dénombre 273 aquifères partagés : 90 en Europe de l’Ouest, 65 en Europe de l’Est, 68 dans les Amériques, 38 en Afrique et 12 en Asie.

Les autorités onusiennes ont également souligné que les aquifères africains, encore sous-exploités selon les experts, représentent un potentiel de développement considérable pour les populations locales, pourvu qu’ils soient gérés de manière soutenable et dans un esprit de coopération plutôt que de conflit. Des initiatives prometteuses existent d’ailleurs déjà sur le continent. Il existe ainsi depuis les années 90 une structure conjointe entre l’Égypte, la Libye, le Tchad et le Soudan pour gérer l’aquifère de Nubie (la Libye ayant initié son projet de "Grand Canal Artificiel - Great Man Made River", visant à transférer une partie de l’eau de cet aquifère pour irriguer les terres agricoles de la côte tripolitaine). Un mécanisme similaire est annoncé en ce qui concerne la gestion de l’aquifère Iullemeden entre le Mali, le Niger et le Nigéria.

SOURCES
 Rapport PNUD 2006 sur le développement humain et l’eau. http://hdr.undp.org/fr/rapports/mon...
 « New Treaty Aims to Protect Shared International Groundwater », Environment News Service, 29 octobre 2008. http://www.ens-newswire.com/ens/oct...

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