Le Portail de l’Eau en Inde (India Water Portal)

Face aux avancées dans les technologies de l’information et des réseaux sur Internet, il apparaît intéressant d’envisager les applications possibles dans le champ du développement humain. Les technologies de l’information et de la communication pour le développement (TICD) désignent cet espace de recherche et de travail, actif et dynamique, bien qu’encore insuffisamment développé.

Cette fiche présente le cas du Portail de l’Eau en Inde (India Water Portal), une initiative ambitieuse qui vise à utiliser les TIC en tant qu’outil d’émancipation, d’« empowerment », capable d’aider concrètement les communautés les plus faibles dans leur vie quotidienne.

Le Portail de l’Eau en Inde (India Water Portal) est conçu comme un centre d’information et de connaissances sur l’eau en Inde, au service du public. Il est le fruit des réflexions de la Commission nationale sur la connaissance du Gouvernement indien, qui a envisagé la création de « portails de connaissance » de service public afin de « préparer l’Inde à l’économie du savoir ». La Commission a demandé à la fondation Arghyam, spécialisée dans le secteur de l’eau, de créer le Portail de l’Eau qui a été lancé en janvier 2007.

Qu’est-ce qu’un contenu à l’âge des réseaux sociaux ?

Un portail est fondamentalement un lieu de contenu. Mais la définition du contenu, notamment du contenu utile, évolue rapidement de nos jours. Le Portail a commencé avec principalement de la documentation écrite (études de cas, cours, films, documents de recherche et de politique). L’essentiel de ce contenu provient de différentes organisations actives dans le domaine de l’eau. Des documents d’excellente qualité, qui autrement ne seraient pas sortis de la confidentialité, ont ainsi pu être portés à la connaissance du grand public et bénéficier d’une large diffusion. Chacune de ces sources de contenu révèle quelque chose sur le domaine de l’eau en Inde et propose des orientations pour poursuivre le travail.

Exemples de documents en ligne

Parmi les contenus remarquables collectés on peut citer la version électronique de deux classiques sur la récolte des eaux de pluie en Inde : “Aaj Bhi Khare Hai Talaab” (« Les mares sont toujours importantes ») et “Rajasthan Ka Rajat Boonde” (« Les gouttes de pluie rayonnantes du Rajasthan »).

Le Manuel de travail sur les bassins versants pour la NREGA (Programme National d’Emploi Rural) du Samaj Pragati Sayog est une tentative, par une Organisation Non Gouvernementale de premier plan, de permettre à la population d’entreprendre elle-même des travaux de ce type à grande échelle tout en appliquant des méthodes de construction scientifiques.

L’Atlas des nappes phréatiques du Rajasthan qui contient des données détaillées sur l’état et la qualité des nappes phréatiques de cet Etat et les résultats de recherche de l’Institut National d’Hydrologie sont des produits gouvernementaux. Ce type de documents n’est généralement ni facilement ni gratuitement disponible en Inde. Toutes les recherches et données des diverses institutions gouvernementales, comme le flux des rivières, la pollution de l’eau, l’état des étendues d’eau, devraient être en accès libre. Le Portail sur l’Eau souhaiterait acquérir et numériser un maximum de contenu de ce type.

La plupart des ONG n’ont pas les moyens de diffuser efficacement leur documentation. Le Portail de l’eau convient donc parfaitement pour présenter de tels contenus. De la même manière les exposés faits lors des conférences ou ateliers sont rarement diffusés par la suite, d’où une section consacrée aux productions des conférences afin de conserver et faire connaître ce contenu, par exemple les présentations de cas lors de la Conférence sur la gestion de l’eau dans l’industrie organisée par la Confédération pour l’Industrie Indienne.

Ouverture à d’autres approches

Une autre approche est également envisageable à travers la législation indienne sur le droit à l’information (Right to Information, RTI), qui permet à tout citoyen de demander tout type d’information détenue par le Gouvernement. Récemment, une organisation a déposé une requête RTI arguant de ce que les données pluviométriques étaient une information cruciale pour tous les citoyens et que les données des cinq dernières années au moins devraient être disponibles gratuitement. La requête a été acceptée et les données ont été publiées, ce qui constitue un grand avantage pour les personnes sur le terrain. Le Portail a contribué au succès de cette requête en recueillant auprès des citoyens et des organisations les raisons pour lesquelles ils avaient besoin de telles données.

Nous avons déterminé d’autres domaines où nous pensions qu’il fallait créer un contenu spécial au sein du Portail, dont les cours électroniques dans les domaines du développement des bassins versants, des nappes phréatiques, de la lutte contre la fluorose et des systèmes traditionnels de récolte des eaux de pluie. Ils visent à offrir un matériel de haute valeur pédagogique qui puisse être aussi utilisé par des personnes en situation d’autodidaxie.

Depuis son lancement nous avons ouvert des sites sur YouTube, avec une centaine de vidéos, sur Flickr, pour le partage de photos et sur SlideShare, pour partager des présentations diapo. Nous avons ainsi élargi la portée de ce que nous considérons comme un contenu utile et pris conscience que ce contenu ne devait pas résider uniquement à l’adresse du Portail lui-même.

Nous avons également compris que la communauté qui visite le site est la dépositaire la plus importante des connaissances et qu’il fallait promouvoir l’expression et la diffusion de ce savoir. L’expérience du service « Demandez aux Experts », consistant à répondre gratuitement aux questions posées par des utilisateurs sur le Portail a rencontré beaucoup de succès. La gamme des questions est limitée à celles qui sont directes et spécifiques, comme « Comment récolter l’eau de pluie pour mon exploitation ? », « Que faire pour régler le problème de la qualité de mon eau potable ? », « Mon puits est à sec, que faire ? ». Les acteurs de terrain, à qui sont transmises les questions, y répondent. Cela leur donne de la visibilité et une occasion de rendre un service public. Cette initiative est un bon exemple de création de savoir sur le Web 2.0 et de service public par la communauté. Plus de 600 questions ont ainsi été posées, avec plus de 2.400 réponses.

Le Web 2.0 offre aussi la possibilité de trouver des bénévoles. L’Inde se situe à un moment où de nombreux jeunes s’intéressent à l’environnement, au service public, au développement et sont prêts à participer à des activités bénévoles mais ne trouvent pas de projets concrets. Le Portail devrait pouvoir tirer parti de ces bénévoles en gérant de façon nouvelle ces ressources via les TIC.

Au cours des dernières années, le Portail de l’Eau est donc passé d’un site statique à un site dynamique et participatif dont l’énergie provient des interactions avec les utilisateurs. Par exemple, lorsqu’une personne envoie une note sur une étendue d’eau qui est occupée illégalement et demande de l’aide pour s’y opposer, l’équipe du Portail voit comment aider cette personne. De même, quand des inondations catastrophiques ont eu lieu au Bihar en 2008, l’équipe a participé aux efforts en diffusant de l’information sur la situation sur le terrain et en facilitant les dons pour le travail d’urgence.

Les données météorologiques : une réussite

L’une des clefs du succès du Portail de l’Eau en Inde est l’outil de données météorologiques. Ces données sont absolument nécessaires pour les acteurs de l’eau à diverses fins : construction de structures pour la récolte des eaux de pluie sur les toits ou le développement des bassins versants ; compréhension des mécanismes de recharge des nappes phréatiques ; analyse de l’adaptabilité des cultures ; recherches universitaires.

En Inde, le Département de Météorologie fournit des données météorologiques brutes à partir de ses stations d’observation. L’accès est payant et compliqué alors que la plupart des personnes n’ont besoin que d’une donnée locale. C’est pourquoi le Portail de l’eau a rendu accessible sur Internet les données climatiques sur 100 ans (1901-2002) au niveau des districts. La source provient du Centre Tyndall pour la Recherche sur le Changement Climatique de l’Université d’Anglia East (Grande-Bretagne). Cela s’est révélé être un vrai atout pour les acteurs de terrain. D’autres applications de ce type serait un grand avantage pour rendre le travail dans le secteur de l’eau plus scientifique et plus solide.

Portails dans les langues de l’Inde : surmonter la division des langues

Deux portails en langue indienne ont été créés : l’un en hindi et l’autre en kannada, afin d’offrir un centre d’information et de discussion dans des langues locales. La création du Portail en hindi est essentielle car cette langue est la plus parlée en Inde et la seule comprise dans certaines des régions les plus défavorisées du pays. Il est crucial de disposer d’informations en langues indiennes afin de permettre à la vaste majorité de la population, qui ne connaît pas l’anglais, d’y accéder et d’améliorer ses conditions de vie.

Enseignements

L’un des enseignements de cette expérience concerne l’extrême fragmentation du secteur de l’eau et le partage insuffisant des connaissances et des ressources. La barrière de la langue empêche l’information de franchir les frontières. Les différents sous-secteurs (industrie, approvisionnement en eau domestique, milieu rural et milieu urbain) interagissent peu.

De nombreux débats agitent la société civile car l’eau est un problème grave et les prises de position peuvent être passionnées et fortes par exemple sur la privatisation de l’eau qui paralyse généralement tout progrès. Le Portail de l’Eau est dans une certaine mesure un lieu de rencontre perçu comme neutre et désireux de diffuser tous les points de vue. Le blog du Portail et la lettre d’information sont devenus de facto des lieux on l’on est informé de tout ce qui se passe dans le domaine de l’eau, quelque soient les thèmes et aires géographiques.

Nous rencontrons aussi des difficultés dans la collecte des données. De nombreuses recherches et données antérieures, en particulier celles du Gouvernement, ne sont disponibles que sous format papier. Il est aussi difficile de savoir qui dispose de quelles données et comment les obtenir. Comment résoudre ce problème de forte fragmentation et de décentralisation, comment aller dans tous les bureaux du Gouvernement pour trouver ces informations, comment se les procurer ? Nous y travaillons actuellement.

Perspectives pour les TIC dans le domaine de l’eau

De fortes sommes sont dépensées dans le secteur de l’eau en Inde. Si une petite partie était réorientée vers les TIC, pour, par exemple le matériel d’apprentissage électronique, le savoir communautaire, la compilation de savoirs fragmentés, un service de veille sur les projets gouvernementaux, elle aurait un excellent retour sur investissement.

De plus, la nature très locale d’une grande partie de la gestion de l’eau rend l’intégration des systèmes d’information géographique (SIG) et d’information locale indispensables. Les gens veulent savoir ce qu’il se passe dans leur région concernant l’eau, ils veulent entrer en relation avec des personnes proches d’eux qui peuvent les aider à résoudre leurs problèmes. Deux applications du SIG viennent à l’esprit : les alertes aux événements climatiques extrêmes et les mises à jour sur le débit des rivières. Mais les SIG rencontrent des difficultés alors que le terrain n’a même pas encore été déblayé dans le domaine des téléphones mobiles. La pénétration des mobiles en Inde offrira la possibilité de réparer la fracture numérique et linguistique et d’apporter l’information au cœur des foyers, là où elle est le plus nécessaire.

Le Portail de l’Eau en Inde a été une expérience d’apprentissage intense pour une équipe qui provenait principalement du secteur des TIC. Le potentiel pour davantage de projets est immense, et de nombreuses autres initiatives doivent être développées pour répondre au défi d’une eau saine et durable pour tous.

(Traduction française : Valérie Fernando)

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