Le charbon, le climat et l’eau

, par  Olivier Petitjean

Le charbon est aujourd’hui au centre de l’attention internationale en raison de son rôle dans le réchauffement climatique. Il est en effet responsable à lui seul du tiers des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Si les efforts de sortie du charbon sont fructueux, ce sera aussi une bonne nouvelle pour la qualité de l’air et de l’eau. Aussi bien au niveau de l’extraction que de sa combustion dans des centrales électriques, le charbon entraîne en effet souvent une consommation importante d’eau ainsi que des pollutions significatives.

Le charbon, réputé la plus polluante des sources d’énergie fossile, constitue la cible privilégiée des écologistes et des militants du climat. Ce combustible représente à lui seul plus du tiers des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, générées pour produire de l’électricité et à travers certaines activités industrielles (sidérurgie, cimenterie). Malgré ses impacts négatifs pour le climat, mais aussi pour l’environnement local, le charbon a connu une expansion soutenue ces dernières années. En raison de son coût comparativement bas, il a souvent été la source d’énergie privilégiée pour apaiser la soif d’électricité des pays émergents et des industries extractives.

Cet essor commence aujourd’hui à montrer des signes d’essoufflement, sous l’effet des mesures politiques prises par des pays comme la Chine ou les États-Unis, mais aussi des campagnes de la société civile appelant au désinvestissement du charbon – campagnes qui ont accumulé les succès dans l’opinion et dans de nombreuses institutions publiques et privées. Le secteur du charbon traverse actuellement une crise profonde dans de nombreux pays, et si beaucoup d’industriels continuent à espérer qu’il ne s’agit que d’un bas de cycle, de plus en plus d’analystes estiment que le charbon est en fait appelé à connaître un déclin irréversible – et ce en dépit du fait qu’il en reste encore, contrairement au pétrole, des réserves abondantes dans le sous-sol de la planète. Même les majors pétrolières et les géants de l’énergie paraissent de plus en plus disposées à sacrifier le charbon… pourvu que l’on continue à consommer les autres énergies fossiles, et en particulier le gaz !

Au-delà des émissions de gaz à effet de serre

Le déclin annoncé du charbon, s’il se confirme (car il dispose encore de soutiens considérables dans une partie des milieux économiques et de la part de certains gouvernements), ne sera pas seulement une bonne nouvelle pour le climat, mais aussi pour l’eau (ainsi que pour la qualité de l’air et la santé des riverains). Le charbon, aussi bien au niveau de l’extraction que de la combustion dans des centrales électriques, entraîne en effet des problèmes de pollution et de surconsommation de l’eau. Dans les régions où le charbon est la source dominante ou quasi exclusive d’énergie – comme l’Afrique du Sud ou certaines régions de la Chine ou des États-Unis – les effets de la pollution de l’eau et de l’air et des extractions massives d’eau se conjuguent pour provoquer des drames environnementaux et humains.

Les centrales au charbon dites « subcritiques », qui représentent les trois quarts des centrales électriques en service dans le monde, sont à la fois les plus fortes émettrices de gaz à effet de serre et les plus inefficientes du point de vue de la consommation d’eau, comme est l’a récemment rappelé une étude de l’Université d’Oxford [1].

En moyenne, selon une étude de l’Electric Power Research Institute, les centrales à charbon consomment davantage d’eau de refroidissement que les centrales thermiques au fioul ou au gaz (mais sensiblement moins que les centrales nucléaires) : entre 95 000 et 171 000 litres par MWh pour un refroidissement en prise directe, et entre 2090 et 3040 litres par MWh pour un refroidissement en système clos [2]. Or, dans de nombreux pays (Afrique du Sud, Chine, Inde ou États-Unis), les centrales à charbon sont situées dans des régions qui manque déjà cruellement d’eau. En Inde, des centrales au charbon sont déjà régulièrement forcées à interrompre périodiquement leur production en raison du manque d’eau de refroidissement. Un tiers des centrales à charbon indiennes sont situées dans des régions subissant un stress hydrique avancé. En Chine, cette proportion est même de 37% ! Pourtant, ces deux pays ont encore des projets de nouvelles centrales à charbon dans les régions concernées.

En amont de la chaîne de production, l’extraction de charbon requiert des quantités importantes d’eau pour certains procédés industriels utilisés dans les mines et pour le lavage du charbon. Selon une étude du Département américain de l’énergie, l’extraction du charbon consomme chaque jour entre 250 et 1000 millions de litres d’eau aux États-Unis. Les neuf nouvelles mines géantes de charbon projetées dans le Bassin de Galilée, dans le Nord-ouest de l’Australie – une région semi-aride – représentent, selon un rapport commandé par les opposants au charbon, une consommation d’eau totale d’entre 1500 et 2000 milliards de litres d’eau sur toute leur durée de vie. Aucun projet convaincant n’a été présenté par le gouvernement australien ou par les industriels qui souhaitent ouvrir ces mines pour expliquer comment un tel niveau d’extraction pourrait être assuré sans porter atteinte aux activités agricoles existantes à des centaines de kilomètres à la ronde et à l’intégrité des ressources en eau de surface et souterraines de la région.

Pollution

Les mines de charbon entraînent aussi en conséquence des problèmes de pollution de l’eau, principalement de deux ordres. D’une part, le drainage minier acide (problème commun à tous les types de mines), c’est-à-dire l’écoulement de solutions minérales acides issues de l’oxydation de roches exposées à l’air par l’activité minière, peut entraîner une acidification et un pollution aux métaux lourds des eaux environnantes, facteur de mortalité pour la vie aquatique. Les eaux usées issues du lavage du charbon sont elles aussi chargées de substances toxiques. Elles sont généralement stockées dans des bassins de rétention qui peuvent occasionner des fuites dans l’environnement ou des accidents. Parfois, elles sont réinjectées dans le sous-sol, avec des risques de contamination des aquifères.

Le mountaintop removal, ou « étêtement des montagnes », une forme d’extraction de charbon pratiquée quasi exclusivement aux États-Unis dans la région des Appalaches, et consistant à détruire le sommet de montagnes à la dynamite pour en extraire le charbon, est particulièrement destructrice. On estime qu’au moins 500 montagnes et plusieurs milliers de kilomètres carrés de forêt ont déjà disparu à cause de l’expansion de cette pratique depuis les années 1970. En 2005, une étude de l’Agence fédérale de protection de l’environnement estimait que plus de 3000 kilomètres de cours d’eau avaient déjà disparu dans les Appalaches du fait du mountaintop removal, enfouis sous les débris de roche ou tellement pollués que toute vie y était devenue impossible.

Les centrales électriques au charbon provoquent elles aussi une pollution thermique des eaux (réchauffement de la température des cours d’eau) et des rejets de substances toxiques. La pollution thermique affecte en particulier les œufs et les larves des espèces aquatiques. Selon l’ONG environnementaliste américaine Sierra Club, qui se fonde sur les données de l’Agence fédérale de protection de l’environnement des États-Unis, pas moins de 72% de la pollution chimique observée dans les cours d’eau des États-Unis est causée par des centrales au charbon ! Les substances rejetées par ces centrales incluent par exemple l’arsenic, le sélénium, le boron, le cadmium, le mercure ou encore le plomb, toutes associées à des risques sanitaires et environnementaux sévères.

Toujours selon le Sierra Club, les standards fédéraux gouvernant les rejets des centrales à charbon dans l’eau aux États-Unis n’ont pas été mis à jour depuis trente ans, et une large majorité des centrales existantes du pays est exemptée de tout contrôle dans ce domaine. La pollution de l’air occasionnée par le charbon finit aussi souvent par se retrouver dans l’eau, soit à travers les retombées de cendres dans le milieu aquatique, soit à travers les pluies acides. Enfin, dans certains cas, les déchets toxiques issus des centrales, stockés dans des décharges dans des conditions pas toujours optimales, finissent par contaminer les eaux souterraines locales [3].

Plusieurs scandales de grande ampleur sont toutefois venus remettre en cause l’impunité dont bénéficiaient de fait les grandes entreprises charbonnières américaines, notamment dans la région des Appalaches. Alpha Natural Resources, numéro un du secteur, a écopé en 2014 d’une amende record de 227,5 millions de dollars, la plus importante jamais infligée dans le secteur du charbon par l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA). En cause, le déversement illégal de millions de litres de déchets toxiques dans les cours d’eau de Virginie occidentale. En janvier de la même année, le déversement d’un produit chimique utilisé pour traiter le charbon dans les eaux de la rivière Elk, en amont de la capitale de la Virginie occidentale Charleston et de l’usine de potabilisation approvisionnant ses habitants, a entraîné une interdiction de consommation de l’eau potable pour 300 000 résidents. La catastrophe est intervenue alors qu’un nombre croissant d’habitants de la région avaient dû se raccorder au réseau public d’approvisionnement en eau, ayant été contraints de combler leurs puits individuels, devenus trop pollués… Ses effets sanitaires à long terme sont difficiles à évaluer, étant donné que la substance incriminée, le MCHM, n’avait jamais été étudié pour ses effets sur la santé humaine. En février et mars, ce fut au tour de l’entreprise Duke Energy de se trouver incriminée pour des déversements de déchets de charbon issus de ses centrales thermiques dans les rivières de Caroline du Nord. Autant d’incidents et d’amendes qui ont contribué à ternir l’image de l’industrie charbonnière dans des États où cette industrie a longtemps eu un rôle politique dominant, et ont contribué à aggraver la crise que traverse actuellement le secteur.

Olivier Petitjean

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Photo : Foo Conner CC

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