Le devenir des antibiotiques dans la Seine

, par  Larbi Bouguerra

Il est nécessaire de faire avancer les connaissances sur les divers contaminants de l’eau, notamment dans la perspective de la mise en place de Directive Cadre sur l’eau de l’Union européenne. Une récente table-ronde organisée à Paris a permis de faire le point sur les connaissances relatives à la pollution d’origine médicamenteuse dans la Seine.

On sait aujourd’hui que notre mode de vie fait que de très nombreuses substances xénobiotiques se retrouvent dans l’environnement, et tout particulièrement dans l’hydrosphère. Il s’agit, entre autres, de pesticides, de produits pharmaceutiques, de substances utilisées en hygiène corporelle… Depuis les années 1950, les molécules synthétiques sont entrées dans l’environnement : la biosphère ne les connaissait pas auparavant, et l’arsenal enzymatique des êtres vivants n’est pas en mesure de les dégrader efficacement, comme l’a montré l’exemple de l’insecticide DDT ou, sur un autre plan, celui des cancers hormono-dépendants.

Fatima Tamtam, chargée de mission à l’EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique), a étudié la diffusion des médicaments dans l’environnement et spécialement des antibiotiques dans la Seine (Tancarville, Rouen…). Originalité de ce travail : on a y étudié aussi bien les produits utilisés en médecine humaine que ceux employés dans le traitement des animaux (produits vétérinaires). C’est ainsi que dans les milieux agricoles, les produits vétérinaires prédominent, les antibiotiques employés en médecine humaine ne constituant que le quart des substances identifiées. On trouve aussi que la contamination des cours d’eau est plus élevée par faible débit et qu’on met en évidence plus de produits vétérinaires dans les petits cours d’eau que dans le fleuve. Cinq sur les douze points étudiés sont contaminés. Les effluents exhibent une contamination importante (80µg/l) principalement par les antibiotiques employés en médecine humaine. Sur les sédiments, les médicaments réputés dégradables révèlent une persistance importante, même si l’on sait que les pénicillines par exemple sont rapidement dégradées dans l’eau et que certains bêta-bloquants se dégradent, sans que l’on puisse généraliser pour toute cette classe de médicaments. Or les recherches montrent que la toxicité aiguë de ces produits peut avoir des effets sur les bactéries dès 2µg/l et sur les algues vertes à 90 µg/l.

Lors de la discussion avec les auditeurs, il a été précisé que cette problématique présente des enjeux technologiques, scientifiques et sociaux. Il s’agit en fait d’une thématique pluridisciplinaire et intégrative. En fait, toute la planète est concernée.

On est en effet en présence d’une multitude de molécules dont l’élimination présente de formidables difficultés. C’est pourquoi il est difficile de généraliser - les pénicillines, par exemple, sont quant à elles rapidement dégradées dans l’eau, on l’a dit, et les produits de contraste n’y sont pas dangereux - étant donné la diversité des structures chimiques et des effets biologiques différents de ces médicaments : perturbateurs endocriniens, antibiotiques (capables d’induire une antibiorésistance), antidépresseurs, neuroleptiques, anti-inflammatoires, génotoxiques, immunosuppresseurs… De plus, ces médicaments se trouvent dans un complexe de polluants : plastiques, solvants, pesticides, hormones de synthèse, produits radioactifs…. Le Grenelle de l’environnement et le Plan Santé Environnement ont considéré comme prioritaire l’étude de cette pollution émergente, d’où un Plan national sur les résidus des médicaments dans les eaux présenté le 23 décembre 2009, plan placé sous la responsabilité conjointe du Ministère de la Santé et du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable. On notera que les eaux usées contiennent aussi des drogues et des stupéfiants (cannabis, cocaïne…), mais on ne s’y intéresse pas encore sur le plan de l’analyse.

Il faut cependant signaler aussi les rejets des industries pharmaceutiques : 1% de la production se retrouve dans les effluents.

Commentaire

Du fait de la présence de ces médicaments dans l’eau, il y a indiscutablement un danger. Il y a en outre une relation dose-effet. Mais nos connaissances sont maigres s’agissant de leur écotoxicité, voire très maigres s’agissant de leur évolution et de leur biodégradabilité ainsi que des effets de leurs mélanges. De plus, ces produits agissent sur la biomasse des stations d’épuration, provoquant ainsi une baisse des performances de ces installations, notamment pour ce qui est de l’élimination du phosphore et de l’azote. D’où des risques d’eutrophisation des milieux et des systèmes aquatiques. En outre, ces médicaments ou /et leurs résidus peuvent se retrouver dans l’eau potable, en petites quantités il est vrai, et pour certaines molécules seulement. Mais comment demander une baisse de la consommation des médicaments sans nuire à la santé et à l’emploi ? D’autant que l’eau potable n’est pas la seule source de contamination : il y a aussi l’apport des aliments. Les boues des stations d’épuration, par exemple, sont utilisées comme engrais dans certains pays en Europe, mais pas en Suisse où leur incinération est obligatoire. Ainsi, la perception des risques varie d’un pays à l’autre : les sous-produits de la chloration de l’eau sont admis en France, en Grande Bretagne… mais pas en Suisse et en Autriche. On relève aussi que la démographie, la concentration urbaine, le vieillissement des populations et la gestion de l’eau dans la ville compliquent cette problématique, grosse de risques chroniques à long terme et d’effets multiples.

On a aussi évoqué les rôles des lobbies et des ONG dans le traitement de cette problématique.

Les défis sont légion : dans les stations d’épuration, la biomasse peut réaliser la déconjugaison du médicament qui retrouve alors son état actif. Fin du tout à l’égout ? Avènement du WC destructeur ? Faut-il que les stations d’épuration produisent une eau ultra-pure pour la rejeter dans la Seine, le milieu récepteur ? Dans le bassin versant de la Seine, on estime à 1300 tonnes/an les produits provenant de la médecine vétérinaire et à 700 tonnes/an ceux venant des utilisations humaines.

Il ressort de la discussion qu’il faut agir contre les polluants même si la cible est difficile à prioriser. Il faut aussi réduire la consommation et traiter à la source. Il faut enfin investir dans la recherche et la prévention des risques.

SOURCES
 Cette fiche donne les grandes lignes d’une présentation - « Rejets de substances pharmaceutiques : quels enjeux pour l’environnement ? » - qui a eu lieu le mercredi 6 janvier 2010 à l’Institut des Sciences Politiques de Paris. Celle-ci était patronnée par l’IDDRI dans le cadre de ses « Rendez vous franciliens du développement soutenable ». Fatima Tamtam, chargée de mission à l’EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique) y a présenté quelques résultats de sa thèse de doctorat en chimie de l’environnement. Le Pr Yves Lévi, de la Faculté de Pharmacie de Châtenay-Malabry (Université de Paris Sud), spécialiste des micropolluants dans l’eau et des analyses fines, était le discutant de cette séance, assisté de Nicole de Paula Domingos.
 Voir aussi Liza Gross, « The toxic origin of disease », PLoS Biol vol. 5 (n° 7), Juillet 2007.

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