Le soja, la forêt et l’eau au Brésil

Au Brésil, l’expansion sans précédent de la culture du soja, au bénéfice principalement des consommateurs de viande européens et chinois, s’avère extrêmement nuisible pour les ressources en eau, en raison à la fois de sa consommation directe pour l’irrigation, de la pollution induite, et enfin de la déforestation liée aux nouveaux défrichages.

Le Brésil dispose de 12 % de l’eau douce au monde, mais l’eau est mal répartie dans les régions et, surtout, entre les riches et les pauvres. 80 % de l’eau douce brésilienne se trouve dans le bassin amazonien. Les journaux ont commencé à porter à la connaissance du public un nouveau problème : les navires maritimes du Moyen Orient qui dégazent dans l’embouchure de l’Amazone, à Belém, et ensuite remplissent leurs cales, illégalement, avec de l’eau douce. Vol d’eau pour les régions les plus sèches du monde. Le pays possède un des plus grands lacs souterrains au monde (« l’aquifère Guarani »), dans le sous-sol de huit états : 1,2 millions de kilomètres carrés. Cette immense réserve d’eau douce est menacée par divers facteurs, tels que les reforestations homogènes d’eucalyptus, dans l’Espíritu Santo (un eucalyptus adulte pompe 700 litres d’eau par jour dans le sol), ou encore les centaines de retenues et de projets de transport fluvial, l’énorme pollution, l’appauvrissement, la sécheresse. L’irrigation et la fourniture d’eau sont, souvent, entre les mains de l’élite. La privatisation augmente.

Le soja et l’eau

L’explosion des exportations brésiliennes de soja vers la Chine, l’Europe, le Japon et l’Inde constitue également une exportation de : terres bon marché, d’une abondance d’eau, d’une énergie à trop bas prix. La Chine dispose de 7 % des terres cultivables au monde, mais abrite 20 % de la population mondiale. Le désert de Gobi, immense territoire au Centre-nord de ce pays, progresse de manière inquiétante. La Chine essaye de contenir la progression du désert et, simultanément, recherche des terres et de l’eau sur d’autres continents. Cela explique ses importants investissements au Brésil, étant donné que le modèle de consommation alimentaire des Chinois, en pleine évolution, exige de plus en plus de protéines.

L’Union européenne avant son élargissement de 2004 abritait pour sa part 6 % de la population mondiale, mais fabriquait 20 % des produits laitiers et dominait 50 % du marché mondial de ces produits. Cette agriculture intensive est possible grâce à l’importation de l’eau, de la terre et de l’énergie sous la forme d’alimentation animale, et en particulier du soja brésilien. La consommation de viande des Européens, l’une des plus élevées au monde, est rendue possible par la culture intensive du soja au Brésil.

Déforestation

La déforestation en masse (avec ses brûlages) est de plus en plus utilisée dans la région amazonienne. Depuis trois années consécutives, près de 23 000 kilomètres carrés de forêt sont arrachés, contre les 18 000 kilomètres carrés « courants » des années passées. Le système « Deter » (Système de détection de la déforestation en temps réel) estime qu’en 2004, entre 23 100 et 24 400 kilomètres carrés ont été déboisés.

L’une des questions les plus brûlantes au Brésil est celle de savoir qui sont les responsables des déforestations. Lors de la « Table Ronde pour un Soja Responsable », les 17 et 18 mars 2005 (durant le Congrès, on a modifié « durable » par « responsable »), ce fut la même chose. Le « Groupe Amaggi », et les grands exploitants terriens de monoculture pointent un doigt accusateur en direction des scieries et des éleveurs. Ocimar de Camargo Villela, du Groupe Amaggi, déclare fièrement : « Le Groupe Amaggi a planté 130 000 hectares de soja et possède, en plus, 110 000 hectares de “bois légal” ». Soit des forêts ou des zones de cerrado (savanes) qu’ils sont dans l’obligation de préserver. Cependant, il a oublié de dire que ces 130 000 hectares ont dû, tout d’abord, êtres déboisés. L’ISA (Institut Socio-Environnemental), ainsi que les Amis de la Terre sont catégoriques : le soja accélère la déforestation. Ils s’appuient sur les données officielles. Ces trois dernières années, la surface de culture du soja a augmenté de 39,8 % dans les régions Sud et Sud-est du pays et de 66,1 % dans le Centre-ouest. L’État du Mato Grosso est situé dans cette dernière région. Entre 2001 et 2004, la déforestation dans cet état a augmenté de 51,9 %. L’accélération a débuté en 1999, lorsque le cours du real face au dollar nord-américain a augmenté, en renforçant ainsi l’intérêt pour l’exploitation. Dès lors, l’exploitation de l’Or vert est devenue très avantageuse. Lorsque le prix du soja, quelques années plus tard, a atteint des pics historiques sur le marché mondial, rien ne pouvait arrêter cette expansion. Cela explique pourquoi les taxes sur la déforestation étaient extrêmement élevées à partir de 2001. Durant l’année agricole 1990-1991, le Brésil possédait 9,74 millions d’hectares plantés avec du soja ; en 2000-2001 : 13,97 millions d’hectares. Le « grand boom » a donc eu lieu après 2001, avec 21,24 millions d’hectares plantés durant l’année agricole 2003-2004. Comment tout cela est possible avec une législation environnementale aussi rigoureuse ? Moacir Pires, conseiller à l’Environnement dans le Mato Grosso déclare : « Planter du soja, c’est comme extraire de l’or. Lorsque le prix de l’or monte, les personnes sont attirées par la recherche de l’or. Il en va de même avec le soja. »

Vers un scénario-catastrophe ?

Outre sa consommation directe d’eau et la pollution par les engrais et pesticides qu’elle entraîne, la culture du soja a également des conséquences sur cette ressource par l’intermédiaire de la déforestation. Du fait des déboisements intensifs entraînés par l’extension de la culture du soja, le régime hydrologique semble se déséquilibrer, non seulement dans le bassin amazonien, mais dans toute l’Amérique latine. L’article suivant, paru dans le quotidien O Globo du 29 juillet 2004, sonne l’alarme : « Le déboisement peut avoir de graves conséquences sur l’économie brésilienne. - La destruction de la forêt amazonienne peut entraîner de profonds changements dans le climat de toute l’Amérique du Sud. La désertification au Nord du pays pourrait affecter de manière drastique le système hydrologique du continent, en créant de vastes zones arides dans les régions du Centre-Ouest, du Sud-est et du Sud du Brésil, responsables de 80 % du PIB brésilien. L’alerte a été donnée hier par le chercheur Antônio Nobre, de l’INPA (Centre nationale de recherches de l’Amazonie). Selon lui, “le bétail et le soja qui arrivent en Amazonie vont coûter très cher au pays”. “Le problème ne réside pas dans le fait que l’Amazonie se transforme en cerrado, c’est beaucoup plus sérieux que cela. On parle d’une possible destruction du cycle de l’eau en Amérique du Sud, de la désertification de São Paulo, du Mato Grosso et du Paraná”, a affirmé Nobre. »

Ces cinq à dix dernières années, 300 rivières se sont asséchées dans le cerrado à cause de la culture intensive du soja. Or elles sont parmi les plus importants affluents des grands fleuves qui rendent le Brésil aussi riche en ressources hydriques.

Faut-il s’en réjouir ? Ce n’est pas sans raison que la « fête populaire de la Terre » brésilienne a choisi l’eau comme thème de cette année. Étant donné que les Brésiliens ont presque tout en abondance (terre, eau, biodiversité, côte, forêts, etc.), ils ne se soucient de rien et gaspillent énormément. Curitiba est réputée, internationalement, comme une ville écologique modèle, une source d’inspiration pour l’urbanisation européenne et nord-américaine. Cependant, « l’empreinte écologique » de la classe moyenne de Curitiba n’est pas moins importante que celle de l’habitant moyen de Flandre…

Note

Ce texte est extrait du livre Navios que se cruzam na calada da noite : soja sobre o oceano de Luc Vankrunkelsven. Edité par Editora Grafica Popular - CEFURIA en 2006. Il a été traduit du portugais par Elisabeth Teixeira.

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