Les eaux suspectes du Brésil

Une étude universitaire le révèle : l’approvisionnement en eau des Brésiliens contient des coliformes et des « contaminants émergents ». La solution n’est pas l’eau en bouteille, mais l’amélioration du traitement des eaux.

Cet entretien, réalisé par Anne Vigna, a été publié initialement par le site brésilien A Pública. Traduction : Anapaula Maia.

Une étude récente réalisée sur les sources d’eau par l’Institut national de sciences et technologies analytiques avancées (INCTAA) de l’Unicamp conclut que la qualité de l’eau au Brésil doit encore être nettement améliorée. La caféine a été utilisée comme indicateur de la présence de contaminants, car son degré de concentration permet de déterminer la quantité d’eaux usées non traitées déversées dans les sources. Wilson Jardim, docteur en Sciences de l’environnement, diplômé de l’Université de Liverpool (Angleterre), et professeur à l’Institut de chimie de l’Unicamp, est le responsable de cette étude, achevée en septembre 2013. Il estime que la population doit exercer une pression sur les concessionnaires responsables du traitement des eaux afin d’obtenir de l’eau de meilleure qualité. Dans l’entretien ci-dessous, il explique pourquoi l’eau embouteillée n’est pas la solution.

Conseillez-vous de boire de l’eau en bouteille ?

Non, bien au contraire. Les vendeurs d’eau en bouteille affirment que « l’eau du robinet n’est pas bonne ». En réalité, leur produit n’est pas recommandé non plus. Nous avons fait des études sur l’eau en bouteille et la quantité de phtalates qu’une personne peut ingérer en buvant cette eau est énorme. Les phtalates sont une classe de substances chimiques présentes dans une variété de produits ordinaires utilisés couramment tels que, par exemple, les emballages, le film alimentaire ou les bouteilles jetables. Avec l’augmentation des emballages, nous sommes plus exposés aux phtalates, qui sont aussi des perturbateurs endocriniens. Boire de l’eau en bouteille au lieu de l’eau du robinet, c’est du pareil au même. Quelques-uns peuvent se sentir plus protégés, mais ce sentiment n’a pas de fondement scientifique. Selon le moment où l’eau est mise dans la bouteille et sur les rayons, elle peut libérer une quantité importante de phtalates. Elle peut aussi contenir du Bisphénol A (BPA) venue de la résine du récipient. Quand l’on réalise une étude sur leur cycle de vie, du point de vue du développement durable, en analysant l’empreinte énergétique et les émissions de CO2, l’eau du robinet est meilleure que l’eau en bouteille, qui doit être produite et transportée. C’est une industrie qui jouit d’une fausse réputation : ce sont des produits qui attirent l’attention et qui ont la réputation d’être bénéfiques. C’est un mythe. Il n’y a pas de gros avantages car l’emballage deviendra toxique avec le temps. Je n’achète que de l’eau en bouteille en verre, jamais en plastique. Plusieurs études réalisées dans l’État de São Paulo, dans l’Aquifère Guarani, mais également en Chine ou en Espagne, démontrent que les eaux souterraines présentent une elles aussi une concentration en composés, moins élevée que pour les eaux superficielles.

Est-il possible d’améliorer l’eau chez soi en utilisant des traitements ?

C’est une question récurrente. Il est possible d’utiliser un filtre, mais cela demande un entretien rigoureux et constant, et dans le cas contraire, la qualité de l’eau peut devenir pire qu’avant. La meilleure chose à faire, c’est exiger que le concessionnaire municipal offre une eau de meilleure qualité. Il faut revendiquer vos droits en tant que citoyens.

Qu’entendez-vous par « contaminants émergents » et « perturbateurs endocriniens » ?

Les contaminants émergents englobent plus de mille substances nouvelles chaque année, et les perturbateurs endocriniens font partie de ces composés. Parmi les contaminants émergents on trouve, par exemple, les nanomatériaux, les fragrances, les antibiotiques, les pesticides, les crèmes solaires, les médicaments, les drogues licites et illicites, les hormones de synthèse, les pilules contraceptives et les produits d’hygiène du corps. C’est un ensemble très vaste de substances qui aujourd’hui et pour plusieurs raisons – comme la faiblesse de l’assainissement ou la densité d’habitation élevée – est devenu un enjeu très inquiétant. Notre exposition à ces contaminants émergents a beaucoup augmenté. Nous en savons très peu sur la toxicité de ces composés et sur leur mécanisme d’action dans le corps humain et dans les organismes aquatiques. Le système endocrinien humain contrôle la reproduction sexuelle et la croissance. Actuellement, il existe environ 800 composés qui peuvent perturber ce système, même s’ils n’ont pas été créés à cette fin. Ils ont cet effet du fait d’un simple mécanisme biochimique, de similitude de molécules. Ils peuvent altérer la reproduction humaine, anticiper l’âge de menstruation des filles – ce qui a été observé dans plusieurs pays – ou provoquer des maladies telles que les cancers de la tyroïde, des testicules, de l’utérus et des seins, selon l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS).

Ces contaminants ne figurent pas sur l’Ordonnance du Ministère brésilien de la Santé qui contrôle la qualité de l’eau potable. En va-t-il de même ailleurs dans le monde ? Pourquoi ?

Oui, c’est le cas dans tous les pays. Au Brésil, l’ordonnance est très conservatrice et il y a une très grande inertie. Nous savons que les révisions de l’ordonnance sont des processus très longs. Il y a un très fort lobby qui s’y oppose, car le processus entraîne des coûts supplémentaires. Mais actuellement, tous les pays réexaminent ces nouvelles molécules et, petit à petit, des nouveaux savoirs sont incorporés dans des régulations.

La présence de ces contaminants est plus élevée au Brésil que dans d’autres pays ?

Le Brésil a à la fois des problèmes de pays développé et de pays en voie de développement. Les Brésiliens consomment comme les habitants d’un pays développé, cependant le Brésil a le système d’assainissement d’un pays africain. « On trouve dans les eaux brésiliennes des coliformes fécaux comme à Haïti et des contaminants émergents comme aux États-Unis. » Le système d’assainissement est insuffisant et les sources d’eau sont très contaminées par comparaison avec d’autres pays. La caféine est un excellent traqueur d’autres composés. Ici, sa concentration est de dix à cent fois plus importante que celle trouvée dans d’autres pays et ceci se retrouve dans l’eau potable du réseau. Un traitement conventionnel des eaux usées supprime la plupart des hormones présentes dans le’au. Mais, s’il y en a une grande quantité et que le traitement n’en élimine que 95%, c’est-ce que les 5% restants sont encore beaucoup ? Oui, c’est encore beaucoup.

Quand l’eau peut-elle être considérée comme contaminée ?

Les substances qui imitent des hormones agissent à des doses très basses. Au Canada, une étude a été réalisée au cours de laquelle une chercheuse a placé 2 nanogrammes (milliardièmes de gramme) d’hormones de synthèse par litre dans un étang. Cette simple opération a dévasté toute une population de poissons et affecté d’autres espèces. La notion de « faible dose » est très relative. Qu’est-ce qui constituerait un seuil minimal sûr ? Actuellement, nous ne savons pas. Il est important de rappeler que la toxicologie ne travaille pas avec un mélange, mais avec une substance unique. Lorsque quelqu’un boit de l’eau, il ne boit pas un seul composé, mais il boit plus de mille composés à la fois. Les études pour évaluer les risques ne sont pas faites à partir d’un mélange de composés, mais dans la vraie vie, ce que l’on boit c’est un mélange. La toxicologie est un peu en retard sur cette question. Nous devons travailler avec un nouveau paradigme et nous devons adapter nos méthodologies.

D’un point de vue technique, les traitements de l’eau peuvent-ils enlever ces substances ?

Oui. Actuellement, outre le traitement conventionnel, il existe des systèmes supplémentaires. Cela peut être un traitement par filtration fine avec la technologie des membranes, ou un traitement plus destructeur à base de rayons ultraviolets ou en utilisant de l’ozone. Il existe plusieurs manières pour réduire ou éliminer ces composés, mais cela a un coût supplémentaire pour le fournisseur d’eau. Et rien de cela n’est fait au Brésil.

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