Les maladies hydriques font autant de morts que 300 Boeing qui s’écraseraient tous les jours

, par  Larbi Bouguerra

On ne peut surestimer l’importance de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour la santé et le bien-être humains, aussi bien en milieu rural que dans les villes.

L’adage médical enseigne : « L’être humain boit 80 % de ses maladies », et, de fait, à l’échelle du globe, un lit d’hôpital sur deux est occupé par un patient souffrant d’une maladie hydrique. Chiffre terrible, devenu malheureusement banal à force d’être cité et répété : selon l’ONU, 36 000 personnes meurent quotidiennement de par le monde par manque d’eau potable et par défaut d’assainissement. Cela revient à 300 Boeing s’écrasant au sol chaque jour – dans l’indifférence la plus totale. L’eau insalubre fauche à elle seule, par la diarrhée, quatre millions d’enfants par an, dont un million et demi rien qu’en Inde. D’autres maladies hydriques comme la malaria/paludisme, l’ascaride et le tricocéphale (affections dues à un ver dans l’intestin grêle), l’ankylostome (ver du duodénum), la bilharziose (affection de l’arbre urinaire prévalant dans la vallée du Nil), le trachome et la dengue (transmise par le moustique aedes aegypti qui se développe dans les eaux sales, et qui a fait des ravages en Indonésie en 1998 et à Rio de Janeiro au Brésil en 2002) affectent plusieurs milliards d’humains. La poliomyélite est également transmise par l’eau souillée par les matières fécales d’une personne atteinte. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), recherchant l’origine du SRAS en mai 2003, s’intéressait tout particulièrement aux « marchés humides » de Chine, où les consommateurs peuvent acheter des animaux vivants comme des rats, des serpents ou des tortues, et où les conditions sanitaires sont pour le moins médiocres : l’eau a peut-être permis le saut du virus des animaux à l’homme.

L’une des premières causes de ces maladies hydriques est donc l’absence ou l’insuffisance de l’assainissement dans les villes et les campagnes du monde, avant tout dans le Sud de la planète. Le taux de couverture en assainissement est en net retard par rapport au taux (déjà peu glorieux) d’accès minimal à l’eau, et menace d’annuler les effets bénéfiques (notamment en termes sanitaires) de l’extension de l’accès à l’eau. Plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable, et deux autres milliards n’ont pas de réseaux d’eaux usées ni assez d’eau pour une hygiène adéquate. L’OMS évalue entre autres à 1,5 milliard supplémentaire le nombre d’êtres humains infectés par les parasites provenant des matières fécales.

Le défaut d’assainissement et ses conséquences : tour du monde des maladies hydriques

Le plan national ivoirien pour l’environnement de 1994 reconnaissait que les investissements pour l’évacuation des eaux usées ne profitaient qu’à 30 % seulement des habitants d’Abidjan. À Bouaké, la seconde ville du pays, il n’existe que quelques réseaux sporadiques construits dans le cadre d’opérations immobilières, recevant environ 26 % des eaux usées. Les systèmes de traitement associés à ces réseaux embryonnaires ne sont plus fonctionnels, faute d’entretien. Pour toute la Côte d’Ivoire, il y a un rejet anarchique des boues de fosse de vidange dans les mares, les terrains vagues, les rues… et comme la construction d’une fosse demande plusieurs milliers de francs CFA, nombreuses sont les populations qui pratiquent le rejet direct, comme en Inde.

Pareillement, la moitié de la seconde ville égyptienne, Alexandrie, n’a pas de réseau d’égout. Contraste saisissant : au Québec, au début des années 80, seulement 2 % de la population raccordée à un réseau d’égout municipal était desservie par une station d’épuration. Vingt ans, plus tard, début 2000, ce pourcentage atteint 98 %. On en est loin dans les pays du Sud…

L’ONG Médecins sans frontières livrait en mars 2003 un témoignage de première main sur l’épidémie de choléra le long du fleuve Congo : « C’est en remontant le fleuve Congo que l’on comprend comment l’épidémie s’est propagée. Sur les berges du fleuve et sur celles des nombreux lacs qui émaillent la région, des pêcheurs vivent dans des conditions extrêmement précaires. Dans des campements provisoirement installés pour la pêche saisonnière, les populations boivent l’eau contaminée par les défécations des villageois et vendent des poissons infectés sur les marchés environnants. Profitant également des pirogues et du courant, le vibrion cholérique sévit, de village en village, tout le long du fleuve. »

La résurgence du choléra en Amérique latine (400 000 cas) après une éclipse d’un siècle est un indice de la détérioration de la qualité de l’eau, de la pression démographique et de l’incapacité des pouvoirs publics à faire face aux besoins de la population. Mais il y a aussi le cas de Moscou où, en dépit d’un environnement technologique passablement plus sophistiqué qu’au Pérou, des cas de dysenterie, d’hépatite A, voire de paludisme ont été enregistrés. On a même rapporté des cas de choléra dans la capitale russe et à Kazan en août 2001 : fournir de l’eau saine à la population et maîtriser les eaux usées semble être plus difficile pour le gouvernement russe que de développer des missiles téléguidés ou des armes chimiques.

Traitant dans un éditorial du choléra en Amérique latine, le journal Le Monde écrivait : « De l’eau potable et le tout-à-l’égout : il n’en faudrait pas plus pour que l’épidémie … ralentisse sa progression… Il faudrait un peu partout creuser des puits…, lancer de vastes campagnes d’éducation sanitaire et tenter de remédier à l’insalubrité ». Ce que l’on sait depuis 1854, lorsque le docteur John Snow endigua une épidémie de choléra à Londres rien qu’en enlevant le bras de la pompe d’un puits contaminé dans le quartier de Soho. En fait, la résolution des difficultés liées à la protection de l’eau a été progressive dans les pays développés, comme le montre l’histoire de villes comme Paris ou Londres, pour lesquelles le million d’habitants n’a été atteint qu’avec l’adduction d’eau potable et la construction d’un réseau d’égout moderne. Pour les pays du Sud, la difficulté gît dans le fait qu’ils doivent faire face aux problèmes hydroécologiques alors que les questions d’hygiène n’ont pas encore été résolues. Ces pays se voient confrontés pratiquement à tous les problèmes en même temps, du fait du legs colonial et de l’absence de volonté politique des dirigeants actuels pour résoudre ces questions qui, pour être terre-à-terre, n’en sont pas moins au cœur des préoccupations quotidiennes des gens et la clé de leur santé comme de leur bien-être.

En Amérique latine, 6 % des eaux usées sont traitées ; en Asie et en Afrique, on en traite moins de 10 %. À cet égard, le danger proviendrait moins des grandes villes que des petites, du moins à en croire Asit Biswas, président du Centre du Tiers-monde pour la gestion de l’eau (TWCWM) basé à Mexico. Pour ce spécialiste, les mégapoles ont les moyens financiers et politiques de traiter, alors que les petites communautés en sont démunies et vont, de ce fait, contribuer à la contamination du milieu. La ruralisation croissante, comme au Maroc ou au Brésil, voilà le danger, s’exclame-t-il. Mais il oublie qu’en 2025, il y aura 75 villes de par le monde de plus de 15 millions d’habitants et que, dans ce cortège, seule Tokyo sera une ville riche.

SOURCE
 Extrait de Larbi Bouguerra, Les batailles de l’eau : pour un bien commun de l’humanité, Enjeux Planète, 2003, p.157-162 (texte légèrement réduit).

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