Les nitrates dans les eaux souterraines danoises Réflexion sur les pratiques agricoles et les surplus d’azote depuis 1950

, par  Larbi Bouguerra

L’alimentation en eau potable de la population au Danemark repose sur le traitement des eaux souterraines. La protection des nappes phréatiques revêt donc une importance cruciale. Or, le pays possède une des agricultures les plus productives au monde. L’élevage intensif et l’utilisation à grande échelle des engrais azotés provoquent de sévères pertes d’azote (sol, air et eau). Nombreux sont, par exemple, les puits condamnés du fait de la pollution par l’azote. et près de 15% du territoire a été classé comme « zones d’extraction d’eau souterraine vulnérables au nitrate ».

On rappellera que les impacts environnementaux communément rapportés pour l’azote comprennent un déclin de la biodiversité, l’eutrophisation des écosystèmes et des eaux de surface, l’acidification, la diffusion de la pollution par les nitrates aux nappes phréatiques, le réchauffement global du fait de l’émission du gaz N2O (oxyde nitreux ou monoxyde de diazote communément appelé « gaz hilarant »).

Les politiques européennes - exprimées dans divers textes : Directive Nitrate, 1991/696/EC, la Directive-Cadre Eau, 2000/60/EC, la Directive Eau Souterraine, 2006/118/EF - ainsi que la législation danoise, visent à protéger les eaux tant de surface que souterraines des effets de la diffusion dans le milieu des pertes d’azote. A cet effet, depuis 1985, le Danemark a introduit plusieurs plans d’action politique.

De fait, au cours des cent dernières années, l’agriculture danoise s’est considérablement développée et tout particulièrement le secteur de l’élevage puisqu’on est passé de 3,2 millions de porcs par an en 1950 à 11,2 millions en 1967 et 20,9 millions en 2007, le temps de production des cochons et des poulets étant aujourd’hui bien plus court qu’il ne l’était auparavant. En 2008, au Danemark, la densité moyenne du bétail était de 0,8 tête par hectare et la quantité moyenne d’engrais se montait à 180 kg/an/ha. En outre, le rendement à l’hectare a augmenté avec l’introduction de nouvelles récoltes et, de son côté, la production annuelle de lait par vache est passée de 2800 à 10 000 kg entre 1950 et 2007.

L’agriculture intensive provoque le lessivage de l’azote à cause de la minéralisation des pools (réservoirs) d’azote du sol et parce que les quantités d’engrais utilisées sont en excès par rapport aux besoins des plantes. De ce fait, les nappes peu profondes – et donc l’eau potable - sont sous la menace de la pollution tout comme les écosystèmes. Ces nappes sont rechargées par les précipitations et les eaux de ruissellement qui charrient l’azote polluant. Or, ces dernières fournissent l’eau potable, d’où de légitimes inquiétudes pour la santé : l’azote peut potentiellement réagir et donner des composés carcinogéniques appelés nitrosamines. De plus, cet azote en excès dans les eaux a conduit à des « zones abiotiques » (mortes, sans êtres vivants) dans la baie de Chesapeake et dans le Golfe du Mexique aux Etats-Unis.

Face à ces défis, le Danemark a lancé, il y a vingt ans, un vaste programme de monitoring. Dans ce travail, les chercheurs du Service Géologique danois et ceux de l’Université d’Aarhus ont utilisé une ingénieuse méthode pour déterminer la date à laquelle s’est produit le lessivage d’azote dans les nappes. Ils ont utilisé les chlorofluorocarbones (CFC) pour cette datation. Ces composés, on le sait, sont responsables du trou d’ozone provoqué dans les couches de l’atmosphère mais, comme leur concentration dans l’atmosphère a varié selon un processus connu, les scientifiques ont été en mesure de déterminer l’âge de chacun de leurs échantillons. Ils ont alors dosé l’azote dans ces échantillons et utilisé ces données sur les CFC pour estimer la quantité d’engrais provenant de l’agriculture qui est passé dans les nappes au cours des 60 dernières années.

Ils ont ainsi mis en évidence que les apports d’azote dans les nappes ont augmenté entre 1950 et 1981 bondissant de 60 à 180 kg/ha. La concentration a stagné jusqu’en 1995 puis la décrue s’est amorcée. En 2007, l’apport moyen a fléchi pour atteindre 116kg/ha.

Commentaire

Les chercheurs danois arrivent à la conclusion que les décisions prises par le gouvernement en 1985 - y compris l’imposition aux agriculteurs de quantités d’engrais plafonds pour les différentes spéculations agricoles - ont été couronnées de succès. En dépit en effet de la croissance du cheptel porcin et de l’augmentation de la production accrue de lait accompagnées par plus d’azote, on a détecté de moindres quantités de cet élément dans les nappes. Comme la diminution des quantités d’azote dans l’eau souterraine a débuté avant 1985, les changements de pratiques agricoles ont contribué à ce résultat. Les agriculteurs ont en effet réduit les infiltrations provenant des tas de fumier du lisier et des déjections aviaires ainsi que des enclos de bétail.

Il ne faut cependant pas crier victoire trop vite : la pollution des côtes par l’azote est toujours présente au Danemark en mer Baltique comme en Bretagne dans l’Atlantique. Il n’en demeure pas moins qu’on peut réaliser des progrès en peu de temps quand la volonté politique rencontre l’assentiment des agriculteurs et des éleveurs.

On notera cependant que des législations proches de celles du royaume de Danemark pourraient avoir des résultats différents avec d’autres aquifères. En effet, le contexte géologique est ici fondamental. Le type de roches, le régime des précipitations ainsi que les quantités d’engrais employés peuvent retarder de manière significative l’amélioration des niveaux de pollution des nappes phréatiques.

Plus généralement, on peut tirer une autre leçon de ce travail : pour les pays émergents ou en développement qui cultivent soja, coton, maïs, huile de palme…, il est nécessaire de protéger les eaux souterraines ou de surface pour un développement durable afin de ne pas compromettre l’avenir et comprendre que plus d’engrais, plus de pesticides… ne signifie nullement une assurance permanente contre les aléas et qu’ils courent, ce faisant, des risques sur le long terme - d’autant plus graves qu’ils sont cachés - pour la santé des populations et le bien-être de la biodiversité.

SOURCES
 Birgitte Hansen, Laerke Thorling, Tommy Dalgaard et Mogens Erlandsen “Trend reversal of nitrate in Danish groundwater- A reflection of agricultural practices and nitrogen surplus since 1950”, Environmental Science & Technology, December 7, 2010.
 Naomi Lubick, “Nitrogen levels drop in groundwater”, Chemical & Engineering News, December 8, 2010.

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