Objectifs du millénaire : pas de développement sans eau

, par  Olivier Petitjean

L’accès à l’eau et à l’assainissement, grâce à ses bénéfices sanitaires ainsi qu’au temps et à l’énergie qu’il permet de libérer, apparaît comme une condition primordiale du développement en général. Les cibles relatives à l’eau incluses dans les « Objectifs du millénaire » n’en apparaissent que plus centrales.

En 2000, la communauté internationale, réunie sous l’égide des Nations Unies, a rendu public un ensemble d’objectifs qu’elle entendait atteindre à l’horizon 2015, dans le but d’améliorer le sort de milliards d’êtres humains. Ce sont les fameux « Objectifs du millénaire pour le développement » (OMD). Ils couvrent un vaste ensemble de domaines : éducation, santé, alimentation, habitat, etc., nécessaires pour assurer la survie et la dignité des habitants de notre planète. L’accès à l’eau et à l’assainissement figure, bien entendu, dans ce bouquet d’objectifs, mais sans être réellement mis en avant. Il est en effet inclus – et caché ? – parmi les cibles de l’OMD 7, « Assurer un environnement durable ».

Pourtant, on peut dire qu’à bien des égards, l’accès à l’eau et à l’assainissement constituent non pas l’un des aspects du développement parmi d’autres, mais une condition essentielle du développement en général et, en particulier, de l’accès à la santé, à l’éducation, à l’indépendance économique, etc. L’absence d’eau potable et d’assainissement est la deuxième cause de mortalité infantile du monde. 80 % des maladies dans les pays en voie de développement ont un rapport à l’eau et provoquent annuellement 1,7 million de décès. Améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement apparaît donc comme au moins aussi nécessaire pour la santé des habitants du Sud que d’installer des dispensaires ou autres infrastructures de ce type. De même, dans de nombreux pays, les petites filles ne vont pas à l’école, soit parce qu’elles doivent passer plusieurs heures tous les jours à aller chercher de l’eau pour la famille, soit en raison de l’absence de sanitaires pour les filles. Là encore, l’eau est une condition de l’accès à l’éducation – et, par là, une condition de l’accès à un métier, du renforcement des compétences, de l’autonomie économique et personnelle, et de la sortie de la pauvreté. Plus généralement, libérer les femmes de la corvée de l’eau grâce à un accès amélioré permet de promouvoir leur autonomisation et l’égalité entre les sexes. L’approvisionnement en eau représente souvent une part considérable du temps (l’équivalent de deux mois de travail sur une année, selon une étude réalisée en Ouganda) et des revenus (jusqu’à 10 %, selon des données recueillies en Amérique latine) des ménages pauvres dans les pays du Sud. L’accès à l’eau permettrait de mobiliser ces ressources à d’autres fins. Enfin, le manque d’assainissement entraîne des problèmes de pollution des eaux et des sols et va donc à l’encontre de l’OMD de préservation de l’environnement. Bref, l’eau apparaît comme l’un des piliers du développement, sans lequel notamment les autres services de base (santé, éducation…) ne fonctionnent pas ou pas de façon optimale, et qui permet de libérer temps, argent, attention et énergie pour d’autres objectifs et d’autres poursuites.

De manière similaire, les services d’assainissement constituent une composante essentielle de l’accès à l’eau, et leur absence peut avoir pour effet de réduire fortement ou annuler les bénéfices sanitaires et sociaux apportés par le seul accès au réseau d’eau potable.

Tout ceci explique que le taux d’accès à l’eau et à l’assainissement constitue un excellent indicateur de la nature et de la qualité du développement d’un pays. La richesse relative d’un pays, mesurée en termes de croissance du Produit intérieur brut, ne se traduit pas automatiquement en amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement. Ainsi, la Chine affiche un PIB per capita plus élevé que celui de l’Égypte, mais son taux d’accès à l’eau potable est inférieur. De même, l’Inde a connu ces dernières années une croissance économique sans commune mesure avec celle de son voisin bangladeshi, mais, en raison de la différence des politiques appliquées dans les deux pays (voir les textes La campagne d’« assainissement total » au Bangladesh et La campagne Assainissement Total en Inde), l’assainissement a progressé de manière bien plus rapide au Bangladesh. Bref, les taux d’accès à l’eau et à l’assainissement, mis en rapport avec la croissance du PIB, sont de bons indicateurs de la mesure dans laquelle la richesse monétaire globale d’un pays est répartie entre sa population et se traduit véritablement ou non en « développement humain », c’est-à-dire un développement basé sur l’accès aux droits et aux services essentiels.

Les objectifs du millénaire et leur état d’avancement

Concrètement, les objectifs affichés en 2000 étaient de réduire par deux les pourcentages respectifs de la population mondiale n’ayant pas accès à l’eau potable et n’ayant pas accès à l’assainissement, à l’horizon 2015. Il n’est pas inutile de rappeler que l’objectif d’un accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous sous dix ans avait déjà été proclamé par la communauté internationale à deux reprises, d’abord au début des années 80, puis au début des années 90. En 2004, on comptait 1,1 milliard d’êtres humains sans accès à l’eau et 2,6 milliards sans accès à l’assainissement.

Les chiffres disponibles à mi-chemin (2007-2008) indiquent des progrès modestes mais réels dans de nombreux pays (Inde, Chine) en ce qui concerne l’accès à l’eau, ce qui ne fait que prolonger la tendance constatée dans les années 90 (où l’accès à l’eau potable dans les pays en voie de développement avait déjà progressé de 73 %). Il apparaissait donc possible, grâce aux efforts réalisés dans des pays très peuplés comme l’Inde et la Chine, que l’objectif soit atteint en 2015 en ce qui concerne l’accès à l’eau potable. Mais ces chiffres cachent de fortes disparités de situation entre les différentes régions du monde. Les avancées sont plus limitées en Afrique subsaharienne. En matière d’assainissement, au niveau global, les progrès sont nettement plus lents. Dans de nombreux cas (notamment, encore une fois, en Afrique), le rythme de l’urbanisation au cours de ces dernières années a fait que les taux de couverture ont eu tendance à baisser et non à augmenter.

Assurer l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous représenterait indéniablement une charge financière et politique très lourde pour des pays pauvres, mais en même temps la situation actuelle pèse lourdement sur leur développement et leurs futurs revenus potentiels. Le déficit d’eau et d’assainissement a des coûts significatifs en termes de mortalité, de morbidité et d’état de santé général – et donc en termes de dépenses de santé –, en termes de temps et d’énergie disponibles pour l’éducation et l’activité économique, en termes de pollution. Selon le PNUD et l’OMS, ces coûts représenteraient en moyenne 2,6 % du PIB des pays en voie de développement (170 milliards de dollars US), et 5 % du PIB des pays d’Afrique subsaharienne. Ces chiffres doivent être mis en rapport avec le coût estimé d’un accès universel à l’eau et à l’assainissement basé sur des technologies à bas prix : 30 milliards de dollars US.

SOURCES
 Rapport PNUD 2006 sur le développement humain et l’eau. http://hdr.undp.org/fr/rapports/mon...
 Majda Bouchanine, « Pas de développement sans eau », Altermondes n°13, mars-mai 2008, p. 18-19.
 Martin Banks, « The World’s Water Crisis. Turning the Tide. Policies for the Future », Giles Merritt, 2007, Bibliothèque Solvay, Bruxelles.

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