Produire de l’hydroélectricité sans barrage

, par  Larbi Bouguerra

Produire de l’électricité hydraulique au moyen de turbines conventionnelles nécessite de la pression, et celle-ci est créée par un barrage. Or, l’érection des barrages désorganise l’environnement et perturbe la migration des poissons, entre autres. Les turbines d’Alexander Gorlov sont dessinées de façon à capturer l’énergie du courant d’eau sans barrage et permettent la libre circulation des poissons.

Ces turbines ont un mètre de diamètre et 2,5 mètres de long. Elles sont installées à l’intérieur d’une cage et leur technologie est telle qu’elles peuvent fonctionner dans des eaux peu profondes. De cette façon, elles sont en mesure de fournir de l’électricité à des sites où la construction de barrages s’avère problématique. Pour les spécialistes, les turbines de Gorlov sont plus fiables que le solaire ou l’éolien et, en à peine deux ans, leur nombre est passé de 6 à 38 (pour 2004).

À la mi-2004, un essai grandeur nature a été réalisé dans la Merrimack River dans le Massachusetts (États-Unis), un cours d’eau situé au nord de la ville de Boston. Le prototype a été dessiné par Gorlov à la Northeastern University. Il s’agit là d’un équipement similaire à quelques autres du même design qui se proposent de fournir de l’électricité en infligeant au milieu le minimum de dégâts et de perturbations. Ce prototype bénéficie de l’intérêt de nombreux acteurs internationaux. Il a profité de financements qui lui ont permis de sortir du laboratoire d’essai pour aller sur le terrain. C’est ainsi que le Massachusettts Renewable Energy Trust (MRET) – un fonds qui encourage et promeut les énergies renouvelables – lui a accordé un demi-million de dollars pour tester les capacités de ces turbines comme « système intégré pour la conversion en électricité du courant d’eau libre et naturel d’une rivière ou d’un fleuve ».

Gorlov a commencé à travailler sur ces turbines verticales depuis 1958 et son Université a déposé depuis 1994 une série de brevets, dont le dernier remonte à 2001. Son intérêt date en fait de la construction du Haut Barrage d’Assouan en Égypte en 1958, construction à laquelle il a pris part. Il a commencé à développer son invention dès 1993. Il affirme que « l’hydroélectricité a une bien mauvaise réputation, non du fait des turbines mais à cause des barrages ».

Les turbines hélicoïdales triples de Gorlov ne nécessitent pas de barrages, comme déjà signalé, et ont montré avec succès leur capacité en divers endroits du globe où elles ont été testées, notamment en Corée du Sud en mars 2002, aux États-Unis, en Amazonie brésilienne, en Irlande etc.

Il est vrai que le rendement de la turbine d’Orlov est faible à cause de la petite vitesse du courant d’eau et du couple mécanique modeste, mais il n’en demeure pas moins qu’elle est en mesure d’extraire de l’énergie de sites qui, autrement, demeureraient improductifs. Il est à noter que l’on peut installer plusieurs turbines sur un site et construire ainsi de véritables fermes de production d’énergie propre et renouvelable montées sur des catamarans pour fournir de l’électricité à des établissements humains éloignés. De plus, avec le dispositif d’Orlov, on peut associer la production d’énergie avec la purification de l’eau, le dessalement, la production d’hydrogène, voire même la coupler avec l’éolien et le solaire.

Comme la rivière Merrimack coule avec une vitesse de trois nœuds, on a pu avoir un rendement de 20 kW pour le projet de démonstration. Étant donné la taille de la rivière, la capacité de production de celle-ci est estimée à 500 kW. On pourrait produire bien plus dans d’autres sites aux États-Unis ou sur les courants océaniques. Gorlov estime que le détroit d’Uldolmok en Corée du Sud, où le courant est de 12 noeuds pourrait générer des centaines de mégawatts rien qu’en exploitant les courants de la marée. En France, l’usine marémotrice de la Rance (Ile-et-Vilaine) est toujours en fonctionnement, à la satisfaction générale depuis 1966. Elle a été copiée par les Coréens qui ont construit une unité un peu plus puissante à Sihwa Lake.

Commentaire

Les barrages sont souvent l’objet de nombreuses critiques, tant au plan social et humain qu’environnemental. Sans faire une revue complète des aspects négatifs de ces équipements, il est clair qu’ils peuvent provoquer des déplacements de populations – avec toutes les souffrances et les traumatismes que peuvent générer la perte de sa maison natale, de ses repères et de ses souvenirs. Ainsi, le barrage des Trois Gorges en Chine a chassé 1,4 million de personnes de chez elles. Il est aussi courant que les promesses quant au relogement ou au dédommagement ne sont hélas pas tenues dans bien des cas. De plus, la corruption irait, selon certains, la main dans la main avec l’érection de ces énormes structures. Souvent en Chine et ailleurs en Asie, le rejet des barrages de la part des populations est à chercher dans le fait que les cimetières sont inondés et que les gens croient alors que la communion avec l’esprit des ancêtres ne se fait plus. Il y a aussi la perte, du fait de la montée des eaux, des vestiges archéologiques perdus à jamais comme on l’a récemment vu en Turquie. Par ailleurs, les barrages peuvent céder : les exemples sont légion : en France (le barrage de Malpasset a cédé le 2 décembre 1959, cinq années après sa construction et en faisant plus d’une centaine de victimes), en Indonésie où l’effondrement du barrage de Situ Gintung, au nord de Jakarta, le 27 mars 2011, a provoqué la mort d’une centaine de personnes, en Syrie…

Mais il y a aussi les dégâts portés à l’environnement. Généralement, lorsque l’eau remplit le barrage, les plantes et les arbres sous l’eau entrent en putréfaction et dégagent notamment du méthane, un gaz ayant un effet de serre bien plus important que le gaz carbonique. De nombreuses substances organiques souvent corrosives, se forment aussi et peuvent attaquer la structure. Les calculs montrent que certains très gros barrages ont une telle masse quand ils sont remplis d’eau qu’ils influencent la rotation de la terre, voire perturberaient le climat. Pour ne rien dire des pertes d’eau par évaporation (cas du barrage d’Assouan). Dans certains cas, les poissons sont gênés dans leur migration (cas des saumons) et on a dû leur aménager des « échelles ». Les turbines tuent aussi un gros nombre d’êtres aquatiques par effet mécanique et du fait du vortex créé par ces éléments.

Sans annihiler tous ces aspects négatifs, les turbines d’Orlov les réduisent considérablement, car il n’y a pas de turbulence notable, pas de vortex et, comme l’écartement entre les lames est important, les poissons ne sont pas blessés. Elles constituent de ce fait une alternative crédible aux systèmes microhydroélectriques.

Il n’en demeure pas moins cependant que les turbines d’Orlov doivent faire la preuve de leur bon comportement sous l’eau, où les sédiments et les agents corrosifs sont la norme. Pour l’heure, les essais poussent à l’optimisme et prouvent –même si c’est encore qu’à une modeste échelle - qu’une alternative aux barrages existe désormais.

SOURCES
 Rachel Petkewich, « Creating Electricity with Undammed Hydropower », Environmental Science & Technology, vol. 38, n° 3, pages 55A-56A, 01/02/2004
 Henry Fountain, “Danger Pent up Behind Aging Dams”, New York Times, 21 février 2011.

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