Un nouveau mode d’action des produits pharmaceutiques dans l’environnement

, par  Larbi Bouguerra

Depuis quelques années, on note un intérêt de plus en plus fort pour les effets potentiels des résidus de médicament dans l’environnement. De nombreuses études ont fait état de concentrations importantes d’antibiotiques dans les eaux de surface ; ce qui est de nature à impacter les écosystèmes aquatiques. Dans une nouvelle publication sur les colonnes du périodique de la Société américaine de chimie (ACS) Environmental Science and Technology, les scientifiques décrivent un nouveau mode d’action de la Ciprofloxacine - ou Cipro (au Canada et aux Etats-Unis) et Ciflox (en France) - un antibiotique synthétique à large spectre de la firme Bayer couramment utilisé en médecine humaine.

La Ciprofloxacine est un bactéricide de la famille des quinolones de seconde génération : les fluoroquinolones. On sait que ces composés exhibent des effets similaires à ceux des herbicides quand ils sont libérés dans l’environnement.

Le fait nouveau qui a été découvert par cette étude : Ce médicament peut interférer avec la photosynthèse (des plantes) et inhiber par exemple la croissance des plants d’épinard au laboratoire.

Les antibiotiques, on le sait, sont imparfaitement métabolisés dans le corps. Il en résulte que des résidus biologiquement actifs peuvent se retrouver dans l’environnement quand ils sont excrétés et présents dans les eaux usées. Le produit peut aussi se trouver dans le milieu s’il est rejeté sans précaution particulière. La concentration de cette substance peut devenir ainsi significative dans l’environnement et avoir un effet négatif sur les plantes aquatiques. En outre, les traitements en station d’épuration des eaux usées sont incapables de les éliminer en totalité, comme d’ailleurs pour d’autres préparations pharmaceutiques, affirme Ludmilla Aristilde, l’auteur principal de ce travail (Princeton University aux Etats-Unis).

Cette spécialiste et ses collègues ont étudiés les mécanismes spécifiques par lesquels le Ciflox et les antibiotiques similaires peuvent contrecarrer la photosynthèse et comment ils agissent comme agents toxiques dans l’environnement. Du reste, si ce composé est si souvent détecté dans l’environnement, c’est dû au fait qu’il est largement prescrit par le corps médical.

Les recherches ont montré que le Ciflox, agissant sur le chloroplaste, siège de la photosynthèse, diminue au final la quantité de chlorophylle produite par la plante, et ce, en inhibant le transfert des électrons responsables de la transformation de l’énergie solaire (lumineuse) en énergie chimique, qui conduit responsable à la fabrication de ce pigment vert. Ludmilla Aristilde affirme que ces résultats soulignent « le besoin d’une évaluation générale de l’impact potentiel des produits pharmaceutiques sur l’environnement ».

Pour Keith Solomon de l’Université Guelph au Canada, cependant, les concentrations de ces substances dans la plupart des sites tant en Amérique du Nord qu’en Europe, ne posent guère de problèmes pour le milieu car elles demeurent très faibles. Mais Aristilde affirme qu’une étude récente de Ficket et col. in Environmental Toxicol. Chemistry (2009, vol. 28, n° 12) a détecté des antibiotiques - dont le Ciflox – à des concentrations similaires à celles de son étude sur le chloroplaste de l’épinard, en aval d’une station d’épuration qui traite les eaux rejetées par des fabricants de produits pharmaceutiques à Hyderabad en Inde.

Des études globales s’imposent donc s’agissant des résidus de médicaments dans les eaux de surface de la planète.

La directive européenne REACH exige des fabricants de complètement évaluer la toxicité environnementale potentielle de leurs produits, médicaments compris.

L’étude présentée ici, de l’avis d’écotoxicologistes de l’Université de Copenhague, est exemplaire dans la mesure où elle montre que les antibiotiques peuvent effectivement avoir un effet radical sur les plantes.

Commentaire

Ce travail attire l’attention sur une problématique bien réelle aux effets potentiellement dommageables, dans la mesure où c’est la chaîne alimentaire dans son ensemble qui pourrait être affectée. Si les plantes aquatiques sont atteintes, les êtres aquatiques herbivores le seront à leur tour, puis les carnivores à l’extrémité de la chaîne trophique. Les exemples de ce type d’effets ne manquent pas dans la littérature. On peut citer, à titre d’illustration récente – parmi mille - de ce type de rétroaction, « Le lac Edouard en panne de crottes » in Courrier International (hors-série) Juin-Juillet-Août 2009, p. 41-42.

On peut invoquer aussi le principe de précaution bien entendu, mais comment concilier santé - notamment pour une population qui vieillit dans les pays industrialisés -, emplois fournis par l’industrie du médicament, et la préservation de l’environnement ?

En fait, dans le traitement de cette problématique, il faut distinguer les fabricants (voire les hôpitaux) et la population générale des utilisateurs.

Pour la première catégorie, on peut concevoir un traitement in situ des eaux usées – par les membranes de dernière génération par exemple - qui ne seraient rejetées dans l’hydrosphère que lorsque la concentration d’antibiotiques est proche de zéro - même si l’industrie n’a en fait aucun intérêt à rejeter un produit qu’elle fabrique et qui lui coûte de l’argent, bien évidemment. Vis-à-vis des utilisateurs, il faut éduquer comme en France, (cf. le slogan : « les antibiotiques, ce n’est pas automatique ») et populariser les règles pour se débarrasser correctement du médicament non utilisé par retour au pharmacien ou au professionnel de santé, et condamner formellement tout rejet dans les toilettes des antibiotiques non utilisés.

Demeurent bien sûr les quantités rejetées par les voies naturelles chez le patient ainsi que la situation dans les pays du Sud, là où se combinent laxisme, pauvreté, délocalisation des industries polluantes, absence (ou non application) de législation et des moyens techniques (ce qui n’est nullement le cas de l’Inde citée ci-dessus, où les Universités et les Instituts de recherche de qualité abondent)…

Il n’en reste pas moins que cette problématique est appelée à rester pour longtemps parmi les préoccupations des environnementalistes comme des décideurs : tous les dix ans en effet, les capacités de détection sont divisées par mille (Le Figaro, 23-24 janvier 2010, p. 14), même si, dans le domaine des membranes, les progrès vont aussi bon train (cf. « Surface modifications for antifouling membranes by D. Rana et T. Matsuura, Chemical Reviews, 22 janvier 2010).

SOURCE
 Amanda Mascarelli, “New mode of action found for pharmaceuticals in the environment”, Environmental Science & Technology, 13 janvier 2010.

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