Vers une convention-cadre sur l’utilisation des cours d’eau à d’autres fins que la navigation

, par  LACHERET Cécile

Sous l’égide des Nations-Unies s’est engagé un processus d’élaboration d’une convention relative à l’utilisation des cours d’eau transnationaux, dont l’intérêt est de traiter simultanément de l’usage équitable de ces cours d’eau – chaque État devant aussi prendre en compte l’intérêt de son voisin – et de la coopération dans la préservation des écosystèmes concernés. Il y a lieu, toutefois, de s’interroger sur la capacité des États à dépasser leur modes traditionnels de relation pour se porter à la hauteur des enjeux.

L’eau, essentielle à la vie, est constamment mise en péril par l’activité humaine. Une action concertée à l’échelle internationale s’avère nécessaire pour assurer un approvisionnement en eau potable pour tous.

En décembre 1970, l’Assemblée générale des Nations-Unies demandait à la Commission de droit international (CDI) d’étudier le droit relatif à l’utilisation des cours d’eaux internationaux à d’autres fins que la navigation. Cette Commission des Nations-Unies, fondée en 1946, est formée de conseillers juridiques experts. Elle prépare des projets de conventions (traités multilatéraux) sur des questions d’actualité et codifie le droit international là où des pratiques entre États se sont visiblement imposées.

En juin 1994, la CDI adoptait 33 projets d’articles de loi et une résolution sur « les eaux souterraines des zones transfrontalières ». Ces projets ont été déposés à l’Assemblée générale à l’automne 1994, avec la recommandation qu’ils servent à l’élaboration d’une convention de l’Assemblée ou à la mise sur pied d’une conférence internationale des plénipotentiaires. Lors de sa 49e session en 1994, l’Assemblée a adopté une résolution invitant ses États membres à déposer par écrit avant le 1er juillet 1996, leurs commentaires et observations sur les propositions de la CDI.

Les recommandations de la CDI : Principes et innovations

La CDI définit un cours d’eau comme étant une nappe d’eau souterraine ou de surface comprenant rivières, fleuves, lacs, nappes phréatiques, glaciers, réservoirs et canaux (article 2).

Deux principes généraux du droit international des cours d’eau inspirent le texte de la CDI :
 la jouissance de notre propriété et la conduite de nos activités ne doivent pas causer de nuisances aux autres.
 l’État qui partage avec d’autres États un système hydrographique doit prendre en considération leurs intérêts au même titre que le sien (doctrine de l’usage équitable).

L’utilisation de l’expression « écosystème » dans le projet de la CDI marque un progrès par rapport à celui d’« environnement » utilisé dans les premières versions : il permet l’élargissement du champ visé en mettant l’accent sur l’interdépendance qui existe entre ceux qui utilisent et tirent avantage d’un système hydrographique, y compris les agents non humains. Le projet de la CDI se veut aussi applicable à la protection et la gestion des cours d’eau liées à leur utilisation.

La grande diversité des cours d’eau individuels rend difficile l’établissement de principes de droits généraux universellement applicables. Le principe d’une convention-cadre permet à la CDI de surmonter cet obstacle. Ce type d’approche, décrit à l’article 3, permet aux États partageant un même système hydrographique de conclure des ententes lorsque les dispositions prévues par la CDI sont adaptées aux caractéristiques des cours d’eau concernés.

Équité en matière de partage et d’usage des cours d’eau

 Un usage équitable : la règle première prévoit qu’un État a le droit d’utiliser un cours d’eau transfrontalier d’une manière juste et raisonnable, mais qu’il a l’obligation de ne pas priver un autre État de ce même usage.
 Un partage équitable : pour réaliser l’utilisation optimale d’un cours d’eau partagé par plusieurs États et en tirer tous les bénéfices, ceux-ci doivent coopérer à la protection et à l’aménagement de ce cours d’eau.

L’article 8 du projet prévoit l’obligation commune des Etats partageant un même cours d’eau de coopérer à la réalisation des objectifs fixés dans les articles de la loi en projet.

L’article 10 établit le principe directeur selon lequel aucun usage ne peut se prévaloir d’une priorité intrinsèque par rapport à d’autres usages (sauf en cas d’entente ou de pratique préalables).

Protection des écosystèmes et prévention de la pollution

La CDI note que l’interférence humaine « peut modifier de façon irrévocable l’équilibre des écosystèmes d’eaux douces » et rendre ainsi ces écosystèmes incapables de « soutenir la vie humaine ou toute autre forme de vie ». D’où l’article 20 qui stipule l’obligation générale de protéger et préserver les écosystèmes.

Des mesures individuelles ou conjointes devront prévenir, réduire et contrôler la pollution des cours d’eau transfrontaliers. Les États devront également harmoniser leurs politiques respectives quant à la pollution des eaux. La CDI propose des mesures préventives concernant les « substances toxiques dont la dégradation est lente et qui ont un effet cumulatif sur l’organisme vivant ». Elle fait mention de la nécessaire coopération entre Etats pour assurer la régulation du débit des cours d’eau. Elle envisage également la protection et l’usage des cours d’eaux internationaux lors des conflits armés ainsi que des règles de base pour la résolution des litiges.

Les recommandations de la CDI peuvent aider à l’établissement d’ententes spécifiques à certains bassins hydrographiques, mais rien évidemment ne permet d’assurer que les États les suivront. De plus, si une entente est conclue, ces États devront définir et appliquer les termes de leur coopération.

Si ce n’est déjà pas simple lorsqu’il s’agit de deux États, la difficultés est encore plus grande s’il s’agit de plusieurs États partageant un cours d’eau principal (Nil, Amazone, Rhin, par exemple). Même des lois-cadres exhaustives ne pourront suffire sans des institutions capables d’assumer la gestion des ressources, une volonté politique, des moyens financiers et techniques permettant de recueillir des données valables et de les partager.

SOURCE
 Terry Mueller et Allan McChesney, Écodécision, n°17, 1995/07 : « Le droit relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux à d’autres fins que la navigation ».

Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)

La convention sur l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation a été officiellement adoptée par les Nations-Unies en 1997. En septembre 2011, seulement 24 pays l’avaient ratifiée (il en faut 35 pour que la convention entre en vigueur). La Chine et la Turquie (deux pays d’amont) figurent parmi les principaux opposants de cette convention-cadre. Il est difficile de juger de l’impact concret de la convention dans ces conditions, mais il semble par exemple que sa ratification par l’Afrique du Sud et le Mozambique ait conduit à une révision des règles du jeu de la gestion des fleuves transfrontaliers d’Afrique australe. Rappelons que l’on ne compte pas moins de 263 fleuves transfrontaliers dans le monde, dont, selon le PNUD, 157 étaient encore dépourvus de tout cadre coopératif en 2006. Une convention-cadre spécifique sur les aquifères souterrains est désormais en préparation (voir le texte La question des aquifères souterrains transfrontaliers).

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