La pollution de l’eau d’origine agricole en France et en Europe

, par  Olivier Petitjean

L’agriculture représente dans de nombreuses régions françaises et européennes la principale source de la pollution de l’eau, devant l’industrie ou les rejets urbains. Tout autour de la planète, engrais et pesticides ont contaminé les nappes d’eau souterraines et les eaux de surface. Les déchets animaux sont une autre source de pollution importante dans plusieurs régions.

La mise en cause du rôle éminent de l’agriculture dans la pollution des eaux vaut particulièrement pour la France, où, selon une enquête publiée par l’IFEN (Institut français de l’environnement) en 2003, les rivières et aquifères souterrains continuent à être largement pollués par les pesticides agricoles. 5 % seulement des prélèvements effectués dans les cours d’eau étaient de très bonne qualité et compatibles avec le développement sans risque de la vie aquatique et avec une utilisation comme eau potable sans traitement. Dans 40 % des cas, la présence de pesticides entraîne une qualité moyenne, médiocre ou mauvaise des eaux, nécessitant des traitements spécifiques avant de pourvoir être utilisée comme eau potable. Pas moins de 148 pesticides différents ont été trouvés dans les eaux de surface (sur 320 recherchés) et 62 dans les eaux souterraines (sur 292 recherchés). Les analyses confirment la présence massive dans les eaux de surface et les eaux souterraines de triazine, dont l’interdiction a pris effet en juin 2003. Il faudra de nombreuses années pour l’éliminer de l’environnement français.

Dans ce même rapport, l’IFEN dresse un bilan plus spécifique des eaux utilisées pour la production d’eau potable. 56 % des 828 points surveillés de 1998 à 2000 présentent une « bonne aptitude à la production d’eau potable » : ils ne requièrent pas de traitement spécifique pour les pesticides. 3 % des prises d’eau étudiées présentent des concentrations de substances supérieures à 2 microgrammes par litre, ce qui les rend totalement inaptes à la production d’eau potable. Pire ! les eaux souterraines ne sont pas épargnées. Les mesures effectuées sur les bassins Rhin-Meuse, Artois-Picardie, Seine-Normandie et Rhône-Méditerranée montrent une présence des pesticides sur 78 % des points surveillés. 45 % de ces points d’eaux souterrains sont contaminés à un niveau nécessitant de les traiter pour les rendre potables. Et l’étude ne prend pas en compte le bassin Loire-Bretagne, où l’eau est de très mauvaise qualité du fait du lisier des déjections porcines et des traitements agrochimiques. Ces résultats s’adossent sur 440 000 analyses faites en 1999 et 2000 en 2 988 points. Les pesticides sont présents sur 90 % des mesures en rivière et 58 % des mesures souterraines. Les dernières mesures réalisées par l’IFEN, pour l’année 2005, montrent que la situation ne s’améliore pas, puisque ces chiffres sont de 91 et 55 % respectivement. La pollution aux nitrates a également remonté, après une baisse temporaire en 2005. L’IFEN relevait en 2003 que des substances interdites plusieurs années auparavant comme le lindane, le dinorterbe ou le dinosèbe persistent dans les eaux, ce qui confirme les délais d’élimination très longs que les chimistes et toxicologues ont toujours prévu pour ce type de composés.

Une étude rendue publique en juillet 2009 par le Ministère de l’environnement confirme que la pollution de l’eau par les nitrates, malgré les efforts, continue de rester stable, voire d’augmenter dans certains endroits, alors que la situation tend à s’améliorer en ce qui concerne les rejets urbains et industriels. La baisse régulière du recours aux engrais azotés dans la plupart des bassins semble avoir été contrebalancée par la succession d’années sèches qu’a connu le pays.

Au niveau européen

La France n’a malheureusement pas le monopole de ces problèmes, même parmi les pays européens. Plus de 90 % des cours d’eau européens ont de fortes concentrations de nitrates, qui proviennent surtout des produits chimiques utilisés en agriculture, et 5 % d’entre eux présentent des concentrations qui correspondent à au moins 200 fois les niveaux de nitrate qu’on trouve normalement dans les cours d’eau non pollués. En Pologne, les trois quarts des cours d’eau sont tellement pollués qu’on ne peut même pas les employer à des fins industrielles. 60 % des eaux courantes espagnoles sont impropres à la consommation. Les lits de ces cours d’eau y sont notamment pollués par les engrais des terres irriguées et les eaux non épurées.

Plus de la moitié des lacs européens sont eutrophisés à cause de leur engorgement par des éléments nutritifs agricoles et municipaux qui stimulent la croissance d’algues, lesquelles, lorsqu’elles meurent et pourrissent, absorbent l’oxygène de l’eau. La Mer du Nord connaît également des problèmes d’eutrophisation au niveau des Pays-Bas, de l’Allemagne et du Danemark : les rejets agricoles charriés par les grands fleuves européens sont là encore partiellement responsables du problème.

La pollution des nappes souterraines est elle aussi en train de s’accroître en Europe. D’ici 50 ans, il est probable que 60 000 kilomètres carrés de nappes souterraines seront contaminés par les pesticides et les engrais en Europe occidentale et centrale. Sur 1 600 puits creusés en Hongrie pour capter les eaux souterraines, 600 sont déjà contaminés, principalement par des produits chimiques agricoles.

Globalement, la Commission européenne estimait en 2007 que 40 % des cours d’eaux n’atteindront pas l’objectif de « bon état écologique » en 2015 stipulé par la directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne (voir le texte Europe : de la préoccupation environnementale à une gestion européenne du secteur de l’eau ?). 30 % pourraient atteindre l’objectif, et l’information nécessaire manque pour les 30 % restants. Le gouvernement français assure pour sa part que l’objectif sera atteint pour entre la moitié et les deux tiers des eaux du territoire.

Quels moyens d’action ?

À l’heure actuelle, on peut distinguer trois modes d’action possible contre la pollution. Le premier est d’ordre juridico-politique. La législation européenne (directive-cadre sur l’eau et, avant elle, directives sur les nitrates, les pesticides, les eaux de baignade ou les eaux résiduelles urbaines) a après tout valeur légale, et le non-respect des objectifs fixés au niveau européen entraîne potentiellement des sanctions financières. La France a d’ailleurs été condamnée à plusieurs reprises pour non-respect des régulations relatives aux nitrates et aux pesticides (en 2007 pour la pollution des eaux en Bretagne, en 2008 pour la Vendée, les Deux-Sèvres et la Charente). La Bretagne s’est vue accorder, suite entre autres aux manifestations des agriculteurs régionaux qui ont saccagé les locaux de l’association « Eaux et rivières de Bretagne » (les instigateurs de la plainte), un sursis jusqu’en 2009 pour mettre en conformité la teneur en nitrates de ses eaux, mais il est peu probable que l’objectif soit atteint. La Commission a également adressé un avertissement au gouvernement français pour le non-respect de la directive sur les eaux résiduaires urbaines. Dans tous ces cas, les autorités françaises risquent de se voir contraintes soit à mettre en œuvre des mesures d’urgence impopulaires et sans doute inefficaces, soit à supporter le poids de sanctions financières se comptant en centaines de millions d’euros.

Le second mode d’action est, précisément, financier. À l’heure actuelle, les agriculteurs ne contribuent quasiment pas à la gestion et la dépollution de l’eau. Même après la Loi sur l’eau de 2006, seulement 1 % des redevances perçues par les Agences de l’eau proviennent de l’agriculture – 86 % proviennent des consommateurs. Pire encore, les agriculteurs reçoivent des subventions publiques qui, malgré les réformes de ces dernières années, continuent à encourager indirectement la pollution dans la mesure où elles restent partiellement basées sur la quantité de production. L’instauration de taxes ou de redevances suffisamment dissuasives pourrait constituer une partie de la solution, mais là encore au risque d’un conflit dur avec le secteur agricole.

Le troisième mode d’action possible est le seul qui soit viable et efficace à long terme : le développement d’une politique de soutien à l’agriculture biologique ou, du moins, à une agriculture nettement moins polluante que l’agriculture productiviste qui demeure majoritaire en Europe. Un tel changement structurel impliquerait, entre autres, une mise en cohérence des différentes politiques nationales et européennes : on ne peut pas fixer des objectifs qualitatifs ambitieux dans la directive-cadre sur l’eau tout en préservant à côté une Politique agricole commune qui empêche dans la pratique la réalisation de ces objectifs. Comme cela se fait déjà au niveau local, par exemple à Munich (voir le texte "Munich : le « bio » pour une eau non traitée"), le soutien public au secteur agricole doit être refondé sur la base d’autres engagements et d’autres objectifs, parmi lesquels la qualité de l’eau doit occuper une place importante.

SOURCES
 Larbi Bouguerra, Les batailles de l’eau : pour un bien commun de l’humanité, Enjeux Planète, 2003.
 Rapports IFEN sur la qualité des eaux en France. http://www.ifen.fr/acces-thematique...

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