La pollution de l’eau par les produits pharmaceutiques, une menace dont on commence seulement à prendre la mesure

, par  Olivier Petitjean

De nombreuses études parues ces dernières années ont mis en lumière l’existence d’une source jusque-là ignorée de pollution des eaux : les substances pharmaceutiques.

Une nouvelle forme de pollution de l’eau menace les pays riches. Depuis quelques années, plusieurs études conduites par des scientifiques et/ou des écologistes en Europe et en Amérique du Nord ont attiré l’attention du public sur la présence dans l’eau de traces de produits pharmaceutiques et cosmétiques. Une étude menée par U.S. Geological Survey et l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) sur 139 cours d’eau dans 30 États a ainsi révélé la présence de traces médicamenteuses dans 80 % des échantillons. Les analyses effectuées sur des fleuves allemands ou français donnent des résultats similaires. Ont ainsi été retrouvées des traces de somnifères, d’antidépresseurs, de contraceptifs, d’aspirine et de paracétamol, d’anti-inflammatoires, d’anti-épileptiques, d’anticancéreux, de médicaments contre la tension artérielle et autres substances dont une grande partie est théoriquement délivrée sous contrôle médical.

Cette pollution est issue principalement des traces médicamenteuses contenues dans les urines, mais aussi des médicaments jetés par les particuliers dans leurs toilettes pour s’en débarrasser, ainsi que des eaux usées des hôpitaux. Les exploitations d’élevage sont également une source de pollution de l’eau par des antibiotiques. La consommation de médicaments étant à la hausse dans les pays riches depuis quelques décennies (notamment en France), cette pollution s’accentue en proportion et fait craindre que certains seuils critiques soient atteints. Or cette problématique n’a jamais été prise en compte dans la gestion de l’eau. La plupart des stations d’épuration ne sont pas équipées pour éliminer ces substances. Même si l’aspirine y est dégradée à plus de 90 %, on en retrouve des traces dans les eaux usées libérées et donc dans les cours d’eau. Certains autres composés comme la carbamazépine (un antiépileptique) ou le diclofénac (un anti-inflammatoire) ne se dégradent quasiment pas.

L’effet cumulatif de cette pollution sur la santé humaine reste encore difficile à évaluer. Au vu des phénomènes observés sur les populations animales qui dépendent de cette eau, l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) a décidé de prendre des mesures préventives. Des liens ont en effet été établis entre certaines substances pharmaceutiques et des mutations sexuelles ou comportementales observées chez certaines espèces de poissons, d’amphibiens et d’oiseaux. Dans de nombreux cours d’eau français, on a observé des phénomènes de féminisation des mâles chez certaines espèces de poissons (truite arc-en-ciel, gardon…), de gastéropodes, de grenouilles…, ainsi que des phénomènes d’immunotoxicité qui se traduisent par une diminution de l’efficacité du système immunitaire entraînant une sensibilité accrue aux agents infectieux. Dans la rivière Potomac (principale source de l’eau potable de Washington D.C.) et la baie de Chesapeake aux États-Unis, des chercheurs et des environnementalistes craignent que la pollution par des substances pharmaceutiques agissant comme disrupteurs endocriniens (perturbateurs de la production d’hormones) soient la cause non seulement de mutations sexuelles chez les poissons, mais aussi de cancers et de maladies neurologiques chez les humains. Il est vrai qu’avec l’importante pollution chimique et agricole que connaît cette région, il est difficile de faire la part des différentes responsabilités…

La première solution à ce problème de pollution serait prendre en compte cette pollution potentielle dès la phase de production des médicaments (sans parler de réduire le niveau général de consommation de produits pharmaceutiques…). Il est possible de concevoir des stations d’épuration capables de traiter la plupart de ces substances, ou de moderniser les stations existantes. Au-delà de la question des équipements, le problème de la pollution pharmaceutique doit être intégré dans les normes et standards relatifs à la qualité de l’eau. Du côté du public, activistes locaux et organisations communautaires commencent aux États-Unis à lancer des programmes de sensibilisation et de collecte des médicaments usagés ou périmés. Un réseau d’hôpitaux et de cliniques, Hospitals for an Healthy Environment (H2O), s’est également constitué pour s’attaquer au problème des eaux usées issues des établissements de santé.

SOURCES
 “Pharmaceuticals in Our Water Supply Are Causing Bizarre Mutations to Wildlife.” Greg Peterson, E Magazine. 9 août 2007. http://www.alternet.org/environment...
 Pierre Le Hir, « L’alarmante pollution de l’eau par les médicaments », Le Monde, 3 février 2009.

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