38 millions d’Égyptiens boivent ... des eaux usées

, par  Larbi Bouguerra

Dans un rapport publié le 17 décembre 2009 et intitulé « La pollution de l’eau est une bombe à retardement qui menace la santé des Égyptiens », l’Organisation Égyptienne des Droits de l’Homme (OEDH) affirme que 38 millions d’Égyptiens - soit 47% des habitants du pays - boivent des eaux usées. C’est notamment le cas de 71% des villages de l’Égypte. Quant aux taux de pollution, ils seraient de trois fois supérieurs aux normes internationales. Le rapport estime à 4,5 millions de tonnes les déchets industriels non traités ou sommairement traités rejetés dans les eaux annuellement - dont 50 000 tonnes seraient particulièrement nocives et 35 000 tonnes proviendraient d’industries chimiques importées (délocalisées ?). Cette situation a conduit à une augmentation des cas d’intoxication dans le pays. C’est ainsi que le gouvernorat du Caire a enregistré 35% de ces empoisonnements, celui voisin de Guizeh 12% et enfin celui de Kalioubieh 50%. Le document prévoit de sérieuses difficultés d’eau potable pour le pays à l’horizon 2015 et demande au gouvernement de se pencher de toute urgence sur la question de la gouvernance de la ressource, d’autant qu’à l’heure actuelle, 38% seulement des villages reçoivent de l’eau potable, 56% n’en reçoivent que des quantités insuffisantes et 6% en sont totalement privés. De nombreux études et rapports rédigés par des spécialistes signalent que la pollution de l’eau provoque annuellement 100 000 cas d’insuffisance rénale.

Face à ce constat, le rapport de l’OEDH insiste d’abord sur la sensibilisation de la population vis-à-vis de la ressource, de sa conservation, de sa propreté et de son importance pour le développement économique de la nation. Il poursuit en demandant une mise en état de tous les vieux réseaux d’eau potable et d’eau usée, ainsi que l’établissement de cartes complètes et détaillées de ces réseaux.

En octobre 2009, une étude émanant du centre « La Terre » des droits de l’homme a révélé que, du fait de l’emploi des pesticides agricoles, 7 millions d’Égyptiens ont développé des cancers au cours des deux dernières décennies. En effet, on trouve sur le marché égyptien 500 préparations agrochimiques enregistrées dans le pays dont 300 ont été bannies par l’État car on les trouve maintenant dans le foie, les reins et le cœur des Égyptiens. Mais, ces pesticides interdits sont néanmoins disponibles sur le marché et provoquent des centaines d’intoxication et l’apparition de diverses maladies comme l’insuffisance rénale, des troubles hépatiques et des tumeurs. Le plus grave, affirme le rapport de la « La Terre », ce sont les résidus de ces pesticides dans les aliments et dans l’eau potable, qui constituent de réelles menaces pour la santé des Égyptiens. Ce document affirme enfin que, pour chaque tranche de 100 000 Égyptiens, on découvre annuellement 150 cancers et lance un véritable cri d’alarme : si la situation demeure inchangée, au cours des 15 prochaines années, le nombre de cancers sera multiplié par deux.

Commentaire

L’Égypte pourrait être considérée comme un exemple emblématique s’agissant de la pollution de l’eau. En effet, les textes de lois, les décrets et les décisions ministérielles protégeant la ressource sont très nombreux mais rarement appliqués. C’est le cas de la loi de 2004 protégeant le Nil. De plus, les Universités locales et plusieurs instituts réputés travaillent sur l’eau, la pollution, l’irrigation… Les spécialistes égyptiens sont légion et se rencontrent dans tous les congrès et publient à tour de bras sur tous les sujets touchant à l’eau. L’Égypte n’existe, rappelle Hérodote, que comme « don du Nil ». Ne l’oublions pas ! Comme il ne faut oublier la célèbre bureaucratie égyptienne : l’eau relève d’une myriade de ministères, d’organismes et d’instituts qui ne sont pas toujours en phase pour résoudre d’éventuelles difficultés.

Mais, au final, la volonté politique pour juguler la pollution manque cruellement. Par ailleurs, une paysannerie pauvre - très affectée par le changement de statut du foncier après la mort du Colonel Nasser et l’enterrement de sa réforme révolutionnaire de la propriété de la terre - et laissée à elle-même lutte pour sa survie et ne peut s’attaquer à un problème aussi complexe. Notons enfin que la majorité de la production agricole (coton, canne à sucre, riz…) est obtenue par irrigation et que les milliers de kilomètres de canaux d’irrigation, pas toujours bien entretenus, contribuent à la pollution de la ressource.

Quant aux pesticides, on notera que récemment, un adjoint du puissant ministre de l’agriculture a été condamné pour avoir autorisé la vente de pesticides considérés comme cancérigènes dans le pays et en dépit de leur interdiction officielle.

Les dégâts des produits agrotoxiques pour la population comme pour l’eau ne sont pas sur le point de cesser. Le grand projet de mise en valeur agricole de Toschki, dans le Désert Lybique risque d’en augmenter la consommation de façon importante. L’achat des terres agricoles par les riches pays du Golfe n’arrangera rien, cela va de soi… même si de timides essais d’agriculture biologique sont à relever.

Il y a en outre, la délocalisation d’industries polluantes provenant des pays industrialisés et qui prennent des libertés avec l’environnement pour augmenter leurs marges.

Il y a bien longtemps, le grand géographe Yves Lacoste, parlait de « collision des problèmes » dans le cas de certains PVD. C’est précisément le cas en Égypte car le pays souffre toujours des maux traditionnels de la pollution organique (eaux usées par exemple non traitées) mais aujourd’hui, s’y ajoutent ceux de la pollution inhérente à la société industrielle avec les rejets des usines de produits chimiques dans le Nil et les canaux d’irrigation et ceux d’une opulente minorité qui vit comme à Londres ou à Berlin… ou visite l’Égypte dans de luxueux bateaux de croisière sur le Nil, bateaux (capitaine de bateaux plutôt) que le respect pour cette artère vitale n’étouffe pas !

SOURCE
 « Selon une ONG égyptienne : 38 millions d’Egyptiens boivent des eaux usées », Al Qods El Arabi, quotidien de langue arabe paraissant à Londres, 18 décembre 2009, p.3.

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