Huancayo : de la résistance au partenariat public-public

, par  TERHORST Phillip

Introduction [1]

Au Pérou, les politiques relatives à l’eau et l’assainissement visent la libéralisation du marché et la participation du secteur privé (PSP) par le biais de partenariats publics-privés, mais d’importantes lacunes dans la conception de la PSP et une résistance croissante à la privatisation ont ralenti ce processus. Les services publics de l’eau et d’assainissement rencontrent des difficultés considérables, mais on constate un manque flagrant de volonté politique et de mesures adéquates pour y apporter des réponses appropriées. Les salariés, citoyens et usagers ne se contentent pas de résister à la privatisation de l’eau sous toutes ses formes, mais se mobilisent également pour améliorer et démocratiser la gestion publique de l’approvisionnement en eau.

Ce chapitre portera essentiellement sur la situation de Huancayo, une ville située au cœur des Andes, dans le département de Junín, qui a vu se cristalliser ces dernières années la quête d’alternatives à la privatisation et a été le théâtre d’un véritable pas en avant accompli dans ce domaine.

À Huancayo, les mouvements sociaux qui militent pour le droit à l’eau, confrontés à un projet de privatisation, ont réagi en proposant de mettre en place un partenariat public-public innovant. Le collectif d’organisations sociales FREDEAJUN (Frente de Defensa del Agua de la Regíon Junín – le Front de défense de l’eau de la région de Junín) s’est ainsi opposé victorieusement à la privatisation et, par le biais d’un processus participatif ascendant, a élaboré un projet de réforme alternatif du service public de la SEDAM Huancayo S.A. FREDEAJUN et l’une de ses composantes, le syndicat local de l’eau SUTAPAH (Sindicato Único de Trabajadores de Agua Potable de Huancayo – Syndicat Unique des Salariés de l’Eau Potable de Huancayo) a également mis en place un partenariat public-public probant entre la SEDAM et l’ABSA (Aguas Bonaerenses S.A.), opérateur public de l’État de Buenos Aires, en Argentine contrôlé et dirigé par le syndicat des employés.

Ce chapitre s’attachera dans un premier temps à examiner la structuration du système urbain d’eau et d’assainissement au Pérou, pour ensuite mettre en évidence la tendance actuelle à favoriser la participation du secteur privé. Il s’intéressera ensuite au travail de la Fédération nationale des salariés des services d’eau potable, la FENTAP (Federación Nacional de Trabajadores de Agua Potable), un acteur novateur et incontournable du mouvement péruvien pour le droit à l’eau. Nous présenterons ensuite le mouvement de résistance à la privatisation à Huancayo et les grandes lignes du processus participatif d’élaboration d’une alternative publique initié par la FREDEAJUN. Pour finir, nous évoquerons les processus politiques et techniques qui ont conduit à la mise en place d’un accord pionnier de partenariat public-public entre la SEDAM et l’ABSA, ainsi que la façon dont ce partenariat a été mise en œuvre jusqu’à présent.

Le réseau urbain de l’eau au Pérou

Au début des années 1990, le secteur de l’eau péruvien a été entièrement restructuré sous la dictature de Fujimori, en collaboration avec la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de Développement (BID). La gouvernance de l’eau fut dérégulée, et le secteur libéralisé. En 1992 fut ainsi créée une agence de régulation (la SUNASS), destinée à réguler le secteur privé de l’eau. En avril 1990 déjà, l’entreprise nationale centralisée de l’eau (SENAPA - Servicio Nacional de Abastecimiento de Agua Potable y Alcantarillado) avait été dissoute et le secteur de l’eau partagé entre zones urbaines et zones rurales. Les politiques de décentralisation et de libéralisation visent, depuis le début des années 1990, à organiser le secteur de l’eau urbaine en vue de futures privatisations, d’où une tendance structurelle à privilégier les prises de participation du secteur privé. Ce processus s’est accompagné de scandales de santé publique, et il a généré au sein du service public actuel une série de dilemmes structurels, administratifs aussi bien que financiers.

Sur 27 millions d’habitants, plus de 40% de la population péruvienne vit en-dessous du seuil national de pauvreté, et près de 6,4 millions de personnes n’ont pas d’accès convenable à une eau potable saine. 11,3 millions de personnes n’ont pas accès à un assainissement convenable. Ceci s’explique en grande partie par le faible taux d’accès à l’eau et à l’assainissement assuré par les services d’eau municipaux, par la faiblesse du traitement des eaux usées et par une qualité de service médiocre, qui mettent en danger la santé de la population. Les services d’eau municipaux sont gérés de façon inefficace et inefficiente, et ils sont continuellement victimes de l’ingérence des municipalités qui en sont les propriétaires.

Les partenariats public-privé aujourd’hui

Le mouvement pour privatiser l’eau a démarré sous la dictature de Fujimori et a été poursuivi avec plus d’enthousiasme encore par les gouvernements démocratiques qui lui ont succédé. Sous la présidence d’Alejandro Toledo, le Plan National d’Hygiène Publique 2005-2015 avait pour objectif spécifique d’accroître la participation du secteur privé. Ce plan reste en vigueur aujourd’hui sous la présidence d’Alan Garcia, lequel tient un double discours, rejetant publiquement la privatisation de l’eau tout en poursuivant une politique de conception et de mise en œuvre de PSP. Les bailleurs internationaux, comme la Banque Interaméricaine de Développement (BID), inscrivent également dans leurs plans de financement des conditionnalités destinées à favoriser les partenariats public-privé. Manifestement pourtant, les ambitions du gouvernement concernant les participations du secteur privé, telles qu’elles sont exposées à grands traits dans le Plan National d’Hygiène Publique 2005-2015, sont aujourd’hui dans l’impasse. De nombreux projets de privatisation ont été annulés en raison de la résistance locale et nationale. Le secteur public de l’eau en zone urbaine est en plein désarroi, une situation aggravée par la négligence volontaire et la mauvaise gouvernance, le tout au détriment de la population péruvienne.

La FENTAP et les mouvements nationaux pour le droit à l’eau

Même si les mouvements pour le droit à l’eau ont en partie réussi à empêcher – ou du moins à freiner – les projets de participation du secteur privé dans le secteur de l’eau, la situation politique au Pérou suggère qu’une remise en cause bien plus radicale et constructive du programme général de réforme néolibérale sera nécessaire pour réussir à remettre en cause ce que l’on peut qualifier de « néolibéralisme » de l’eau. Fondamentalement, il sera indispensable de s’attaquer aux problèmes de détérioration et de dysfonctionnement du secteur public tout en les rapportant à des enjeux de droits (droit du travail, droit à un service public, droit à la participation publique, etc.). C’est la seule façon de donner un réel coup d’arrêt à la progression du néolibéralisme dans le domaine de l’eau, de transformer et améliorer la qualité des services publics d’eau et d’assainissement, et d’assurer ainsi le respect du droit humain fondamental d’accès à l’eau pour tous. Le travail des mouvements péruviens de l’eau, et surtout de la FENTAP, de même que l’expérience de la ville de Huancayo, doivent être perçus comme autant de tentatives pour donner au secteur de l’eau une autre orientation, en proposant des alternatives publiques viables et fonctionnelles à la privatisation, à partir de la base. C’est dans ce contexte et dans cette optique que les mouvements péruviens élaborent des revendications politiques et des propositions opérationnelles visant à « moderniser sans privatiser » le service public. Au niveau national, la FENTAP a réussi à mettre la question de la privatisation de l’eau à l’ordre du jour des débats politiques. Elle s’est par exemple impliquée dans un réseau national qui a réussi à faire barrage à un projet de loi-cadre sur l’eau qui aurait entraîné une libéralisation et une commercialisation accrues des ressources en eau et des services afférents. Au niveau local, la FENTAP a soutenu activement l’action syndicale menée par ses membres.

La stratégie de la FENTAP est d’encourager les syndicats locaux à organiser des forums publics sur la privatisation de l’eau, qui permettent aux différents groupes de la société civile de se réunir. L’objectif est d’établir des fronts de défense de l’eau en lien avec d’autres groupes. Ces fronts peuvent devenir un espace de résistance à la privatisation de l’eau pour les citoyens et les travailleurs. Malgré quelques échecs, dans des villes comme Tumbes où il a été impossible d’empêcher la PSP, l’expérience de villes comme Chiclayo, Ica, Puira et Paita montre que la FENTAP a développé une stratégie à la fois efficace et progressiste.

La FENTAP a l’intention d’inciter ces fronts locaux à passer de la simple résistance à la formulation de réelles propositions alternatives de « modernisation sans privatisation ». Cette stratégie a fonctionné à Chiclayo, où elle a permis d’enrayer le processus de PSP en 2005. Le syndicat et le front local ont élaboré une proposition alternative de réforme du service public, excluant la privatisation, sur laquelle ils ont basé leurs campagnes d’action. Mais l’exemple de Chiclayo a également démontré qu’il était difficile, pour les mouvements nationaux comme pour les mouvements locaux, de mettre en œuvre de façon concrète les propositions alternatives. Même s’il a joué un rôle déterminant dans le rejet de la participation du secteur privé, le projet alternatif s’est avéré compliquée à mettre en œuvre une fois que la menace directe de privatisation s’est estompée et que les gens se sont démobilisés.

Tirant les leçons des expériences antérieures, le syndicat et le front local de Huancayo se sont mobilisés et ont réussi à bloquer la tentative de prise de participation du secteur privé en faisant valoir qu’il existait des alternatives publiques. Mais au lieu de s’en tenir là, ils ont mis en œuvre un partenariat public-public qui a permis au processus de reconquête d’un service public de l’eau d’accomplir un pas de géant.

Huancayo : coup d’arrêt à la privatisation

La SEDAM Huancayo est une entreprise publique d’eau et d’assainissement qui a souvent été victime par le passé d’une très mauvaise gestion de la part de maires successifs, qui essayaient d’en tirer des gains personnels. Il en résulte un eau d’une qualité très médiocre et des effectifs pléthoriques, les maires ayant eu tendance à distribuer des emplois inutiles pour leurs amis politiques. En 2003, le nouveau maire, Barrios Ipenza, a engagé la privatisation de la SEDAM Huancayo S.A. L’agence nationale de privatisation ProInversión a élaboré initialement un modèle de concession, avant d’opter par la suite pour un modèle de contrat de gestion en réponse à l’opposition locale aux projets de privatisation.

En mars 2003, un front local fut créé à l’initiative du syndicat SUTAPAH. Nommé FREDEAJUN, ce front local s’est avéré un mouvement très dynamique, au sein duquel syndicat, fronts de défense des districts de Huancayo, associations de travailleurs du petit commerce et de parents d’élèves, agriculteurs pratiquant des cultures d’irrigation, et nombre d’autres, ont pu se mobiliser et s’organiser. Le mouvement de protestation a connu son apogée le 30 mars 2005, lors d’une journée de grève, qui a touché toute la ville, pour réclamer l’annulation du processus de privatisation. La revendication et l’élaboration d’une alternative publique devinrent progressivement le principal centre d’attention du front.

Lors des élections législatives de 2006, la privatisation de l’eau devint un enjeu politique national. Le parti de l’APRA (Alliance populaire révolutionnaire américaine) a essayé d’apaiser les mécontentements en annonçant que la privatisation n’était plus à l’ordre du jour, et a fait savoir officieusement à la FENTAP que le projet de participation du secteur privé à Huancayo était annulé. ProInversión fut donc obligée d’annuler son projet, qui était prévu pour le 26 septembre 2006.

L’émergence d’une alternative populaire

Début 2006, il est devenu évident qu’il était important de mettre en place au sein de la FREDEAJUN un mécanisme participatif partant de la base pour élaborer une proposition alternative, afin que celle-ci soit réellement appropriée collectivement. À partir d’avril 2006 fut lancée une série d’ateliers de formation, subventionnés par la FENTAP et des ONG internationales basées à Amsterdam. Dans le cadre de ces ateliers, des spécialistes de l’eau favorables au mouvement (bien trop peu nombreux), des représentants des organisations membres du front et le comité du front élaborèrent une base de savoir partagé sur les problèmes de la SEDAM et les options existantes pour démocratiser et moderniser ce service public. En septembre 2006, ils publièrent une « Ébauche de projet de modernisation participative, dépolitisée, viable, sans privatisation, de la SEDAM Huancayo ». Il y était notamment démontré que la SEDAM avait tous les moyens de devenir un service public viable. Le document exposait les nouveaux principes qui devaient permettre à un service public participatif de fournir des services d’eau et d’assainissement adéquats aux besoins des usagers-citoyens, lesquels exerceraient un droit de contrôle sur l’entreprise. Cette « ébauche » incluait des plans détaillés de réforme du système de gestion et de gouvernance, parmi lesquels une proposition de partenariat public-public.

Cette démarche, tout comme le projet qui en a résulté, illustrent le saut qualitatif effectué par le mouvement, devenu une force sociale proactive capable d’intervenir de façon constructive dans le domaine de la politique et des institutions publiques, de susciter des débats techniques et professionnels substantiels et de proposer des alternatives pour la SEDAM. Mais ce succès a fait surgir de nouveaux défis, à la fois au sein du front et au niveau de son action politique. Les responsables syndicaux étaient très actifs, mais l’inertie, les intérêts particuliers et la peur freinaient les membres du syndicat, qui étaient difficiles à mobiliser. Le front avait également besoin de mieux communiquer et d’organiser ses membres de façon plus efficace pour continuer à développer « l’ébauche » à travers un processus démocratique renforcé et vivant. L’« ébauche » devait être validée par toutes les organisations membres du front avant d’être affinée par le syndicat. Le front essaya d’imposer la proposition alternative par le biais du Conseil socio-technique que le nouveau maire, Freddy Arana, avait accepté de former et de doter d’un certain pouvoir de décision concernant l’avenir de la SEDAM. Ce Comité devait être composé de représentants locaux de la société civile, de l’église, de l’université, etc. Toutefois, lorsqu’il devint clair que le front aurait une position influente au sein de ce Comité, Arana et plusieurs autres groupes de la société civile se sont rétractés, refusant de donner aux mouvements sociaux la maîtrise de l’avenir de la SEDAM. La mise en œuvre, fin 2006, d’une nouvelle stratégie permit finalement au front de remporter la victoire, en négociant directement avec la direction de la SEDAM une proposition de partenariat public-public.

Le partenariat public-public

Le second saut qualitatif effectué par le mouvement de Huancayo fut le développement, à l’initiative de la FENTAP, d’un partenariat public-public Sud-Sud. Le partenariat public-public était partie intégrante de « l’ébauche » et son lancement fut caractérisé par une très grande politisation. Le front local et le syndicat durent non seulement nouer des liens avec les réseaux activistes internationaux dans le domaine de l’eau, mais aussi prendre directement contact avec le service public de la SEDAM pour lui faire une proposition concrète capable de surmonter les résistances locales. Pour résumer, une fois la menace directe de PSP écartée, les élus locaux restant opposés à un processus de réforme participatif, le PUP devint un instrument de changement au niveau de l’entreprise publique elle-même. En octobre 2006, la FENTAP et le syndicat argentin SOSBA (Sindicato de Obras Sanitarias de la Provincia de Buenos Aires), tous deux membres de Public Services International (PSI), ont été amenés à se rencontrer lors des événements de l’« Octobre Bleu » [2] en Uruguay. Il fut alors convenu que la possibilité d’un partenariat public-public entre l’ABSA - opérateur public de l’eau de l’État de Buenos Aires, en Argentine, contrôlé et géré par le syndicat de ses travailleurs -, et la SEDAM serait étudiée. C’est une illustration du rôle primordial que peuvent jouer les réseaux transnationaux du mouvement mondial de l’eau dans l’émergence de projets innovants. La FENTAP et l’ABSA ont essayé d’élaborer un concept de partenariat public-public basé sur une assistance technique à but non lucratif et une collaboration dans la recherche de stratégies de réformes managériales et institutionnelles incluant une participation renforcée des mouvements sociaux et des syndicats.

Après quelques débats préliminaires et la signature d’un accord de financement avec une ONG européenne, Josefina Gabriel, de SUTAPAH, se rendit à La Plata, en Argentine, en février 2007. En mars 2007, un représentant de SOSBA et un membre de la direction de la 5 de Septiembre - opérateur détenu et géré par SOSBA, et faisant partie de l’ABSA – se deeplaça à son tour à Lima et à Huancayo. Cela donna lieu à une Déclaration d’intention, signée en mars 2007 par la FENTAP, la FREDEAJUN, SUTAPAH et SOSBA, qui s’engageaient par là à s’efforcer de mettre en œuvre un partenariat public-public entre l’ABSA et la SEDAM et à renforcer le mouvement en cours à Huancayo. C’est sur cette base que le responsable de la 5 de Septiembre rencontra des dirigeants de la SEDAM pour leur présenter la proposition de partenariat public-public et se faire une vision d’ensemble des réalités de la SEDAM. En avril 2007, SOSBA publia un rapport d’évaluation de la SEDAM qui établissait qu’il était possible de rendre l’entreprise plus performante, avec des investissements moindres que prétendu dans le cadre du projet de participation du secteur privé. Ce rapport évaluation montra également que la SEDAM pouvait tout à fait devenir un service public efficace, à condition de prendre les bonnes décisions managériales. SOSBA élabora également un projet de contrat de partenariat public-public, ainsi que des programmes visant à impliquer les gouvernements de la région dans les problématiques de gestion des ressources en eau.

L’objectif partagé des mouvements sociaux et des acteurs dyndicaux était d’obtenir un accord au niveau politique et managérial. Initialement, ils espéraient y parvenir dans le cadre du Comité socio-technique mentionné ci-dessus, lequel avait été crée par le maire de Huancayo Freddy Arana sous le nom de « table de concertation » (mesa de concertación).

Le front avait cherché à faire de cette « table de concertation » un forum public pour s’attirer un soutien politique et social plus important à Huancayo. Mais comme elle ne fut jamais entièrement mis en place, pour les raisons mentionnées plus haut, la décision relative au partenariat public-public dut être obtenue au niveau de la direction de l’entreprise. L’avancée décisive eut lieu quand le directeur général de la SEDAM décida de soutenir le partenariat public-public, décision qui conduisit à la signature solennelle du contrat entre la SEDAM et l’ABSA, le 21 juin 2007. L’« Accord-cadre de coopération entre l’ABSA et la SEDAM Huancayo » stipulait des objectifs et des actions, comme le développement technologique, les échanges de personnel, les échanges de savoir, le développement de compétences du personnel et des usagers, le transfert de technologie et des propositions d’amélioration de la gestion. Le plan d’action prévoyait ensuite une visite du personnel de la SEDAM à l’ABSA et une démarche, menée par l’ABSA, d’appropriation et d’intégration des propositions concrètes de l’ABSA, devant mener à un nouveau cycle de planification et de mise en œuvre de la réforme de l’entreprise. Au moment où ces lignes sont écrites, le processus est bloqué, car la municipalité de Huancayo et le personnel dirigeant tournent le dos au processus de réforme. Telle est la réalité de la gouvernance de l’eau à Hunacayo, et le front et le syndicat tentent d’y faire face à l’aide de cet outil technique – mais aussi fortement politique – que constitue le partenariat public-public.

Le partenariat public-public fut ainsi initié au niveau des entreprises publiques concernées, mais il ne bénéficia que d’un soutien timide de la part de Arana, le maire de Huancayo. Ceci s’avéra être un facteur limitant lors de sa mise en œuvre. Un autre problème est le fait de ne pas avoir mené à bien la démarche de construction de mécanismes de contrôle social du partenariat public-public, et de n’y avoir pas rattaché plus étroitement le processus démocratique que constituait le front.

Au moment où ces lignes sont écrites, le partenariat public-public apparaît comme une étape cruciale et essentielle dans le processus de reconstruction d’une SEDAM Huancayo publique et participative. Il s’agit toutefois aussi d’un goulet d’étranglement, car la politique locale et les réticences au sein même de l’entreprise publique font obstacle aux changements nécessaires au sein de la SEDAM, en grande partie parce que les réformes proposées détruiraient le système de clientélisme, de népotisme et de contrôle politique excessif qui prévaut depuis plusieurs décennies. Le développement ou l’acquisition d’infrastructures de bonne qualité réduiraient aussi les opportunités de corruption. La situation est également rendue plus difficile du fait que les responsables du secteur de l’eau et le gouvernement national actuels ne sont pas favorables au succès du partenariat public-public, qui va tout à fait à l’encontre de la politique de participation du secteur privé prônée par le gouvernement central. De plus, au Pérou, la politique locale et la vie publique dans son ensemble sont si compliquées que le front peut difficilement compter sur un soutien fiable de la part des responsables politiques.

Le partenariat public-public a pourtant empêché toute nouvelle tentative de privatisation de la SEDAM Huancayo et représente un véritable succès pour le FREDEAJUN, SUTAPAH et la FENTAP. Il est important de reconnaître le potentiel du partenariat public-public, et également qu’il a permis, via la coopération avec l’ABSA, de mettre en place d’une part un plan d’action de réforme et de rénovation sérieux et viable de l’entreprise, visant à réduire les coûts, améliorer la maintenance et les investissements, donner au service une plus grande réactivité vis-à-vis des besoins de la population, et d’autre part une réforme institutionnelle visant à démocratiser la structure et à la rendre plus responsable vis-à-vis du public.

Perspectives et conclusions

L’exemple de Huancayo montre qu’un mouvement d’action local fort, impliquant citoyens et salariés, peut transformer la lutte contre la privatisation en un mouvement de reconquête populaire des services publics de l’eau. Il montre également que les partenariats public-public sont des outils techniques, mais également politiques, de transformation des services publics. Cet exemple illustre également une nouvelle forme de solidarité à l’œuvre dans les mouvements activistes internationaux et chez les opérateurs publics. Il peut à ce titre constituer une source d’inspiration et d’idées sur les meilleures manières de susciter des alternatives publiques et des partenariats public-public.

Enfin, même si le partenariat public-public apparaît comme une réussite significative pour les mouvements péruviens de l’eau, comme rempart à opposer à la privatisation, il ne faut pas oublier qu’on en est encore à ses premiers pas. La démocratisation du service public via le partenariat public-public demeure un processus conflictuel et difficile, qui appelle de la part du front et du syndicat des réponses à la fois sur les plans organisationnel et politique. Il reste à voir de quelle façon les mouvements locaux pourront mettre pleinement en œuvre le partenariat, malgré l’opposition des élus locaux, du gouvernement national et la forte résistance au changement au sein même de l’entreprise publique SEDAM elle-même.

Cet article a été publié pour la première fois en avril 2008 dans l’édition arabe de ‘Reclaiming Public Water’.

[1Ce chapitre se base sur des recherches militantes de Phillip Terhorst au sein de la FENTAP menées en 2006 et 2007, dans le cadre des études de doctorat de l’auteur au Centre de l’eau, de l’ingénierie et du développement (WEDC) de l’Université de Loughborough.

[2« Octobre Bleu » était une initiative commune des réseaux agissant dans le domaine de l’eau au niveau mondial, qui visait à commémorer leurs luttes communes et à organiser un mois d’action dans leurs régions respectives.

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