Afrique du Sud : sonder les eaux des partenariats public-public

, par  SMITH Laïla

Le premier partenariat public-public d’Afrique du Sud illustre le potentiel de ces accords pour s’attaquer à certaines des difficultés cruciales auxquelles les gouvernements locaux sont confrontés pour approvisionner en eau les populations pauvres. En l’espace de tout juste trois ans, le partenariat entre Rand Water et la collectivité locale de Harrismith a eu des résultats significatifs qui établiront, espérons-le, un précédent pour le développement de futures initiatives dans le domaine des services de l’eau.

Ce qui a contraint Harrismith à un partenariat sur l’eau est la négligence avec laquelle les infrastructures ont été entretenues, avec pour résultat un contrôle très médiocre des effluents. La situation a atteint le point où l’on voyait « les eaux usées non traitées couler au milieu de la rivière ». La municipalité de Harrismith était obligée de s’associer à un prestataire de service extérieur pour améliorer la gestion de l’eau et de l’assainissement, et dans cette optique elle a étudié de nombreuses options de partenariat.

Les difficultés rencontrées par Harrismith dans le domaine de la fourniture des services doivent être resituées dans le contexte de la région et de la récente délimitation municipale des zones de couverture. Harrismith fait partie de la municipalité locale de Maluti-a-Phophung (MAP), dans la province d’Afrique du Sud de l’État-Libre. La juridiction de Harrismith comprend l’ex-ville blanche de Harrismith, au township de Intabazwe, cinq kilomètres au Nord, et des portions de l’ex-patrie des Qwa Qwa, que l’on appelle Tshiame, située 15 à 20 kilomètres vers l’Ouest. Il s’agit donc d’un groupement urbain éclaté dont les différentes composantes n’offrent que peu de possibilités de connexion ou d’intégration.

Le complexe urbain de Harrismith est peu dense et disséminé dans l’espace à partir du noyau de l’activité économique. Intabazwe est le township africain originellement associé à Harrismith. Bien que la plupart des foyers de cette zone soient des foyers pauvres, les infrastructures du township sont relativement bien développées. La plupart des maisons sont équipées de compteurs, sont raccordées à l’électricité et ont un réseau d’égouts. Il y a toutefois un grand nombre de villages de la région qui dépendent des bornes d’eau communautaires, et à peu près 1500 foyers ont encore recours à des seaux. Le township est à l’écart du centre économique et offre peu d’opportunités de travail régulier, obligeant la plupart de ceux qui cherchent un emploi à chercher à l’extérieur.

Combattre la pauvreté à Intabazwe et à Tshiame représente un défi important. En dépit des avantages de sa localisation, la région de Harrismith connaît un taux de chômage de 38% [1]. Ce taux pourrait être réduit par un accroissement de l’activité industrielle, mais les opportunités d’investissements commerciaux, en particulier dans les zones de townships, sont limitées par les conditions socio-économiques qui y règnent. Ceux qui sont salariés ont des emplois sous-payés et non qualifiés de domestiques et d’agents d’entretien.

Pourquoi un partenariat public-public a-t-il été choisi pour répondre au retard accumulé dans la fourniture de service ? Au milieu de tout le battage qui a entouré la mise en place d’une série de partenariats public-privé (PPP) en Afrique du Sud dans les années 1990, bizarrement, peu d’attention a été accordée à l’intérêt des partenariats public-public (PUP) comme alternative viable. À la fin des années 1990, le gouvernement national, par le biais de la Banque de développement d’Afrique du Sud (DBSA) et en particulier du Département des affaires des eaux et forêts (DWAF), commença à comprendre qu’il fallait étendre les options de fourniture de service au-delà de ce qu’offrait le secteur privé.

Quand la municipalité de Harrismith commença à étudier l’option d’un recours au secteur privé, elle comprit qu’il serait très difficile d’attirer des capitaux au vu du niveau de pauvreté élevée de la zone et les tarifs de base relativement faibles de la ville. La municipalité estima aussi qu’une éthique du secteur public était nécessaire pour protéger les foyers à revenus faibles contre la recherche de profits du secteur privé, qui pourrait se traduire par une restriction de l’accès aux services de base. La municipalité doutait également qu’un partenaire du secteur privé assume l’obligation constitutionnelle municipale à améliorer la qualité des services à destination des populations historiquement marginalisées.

Rand Water, basée dans la province sud-africaine du Gauteng, est une société provinciale qui s’occupe d’approvisionnement d’eau en gros depuis plus de 100 ans, et alimente en eau plus de 10 millions de Sud-Africains. C’est elle qui remporta l’appel d’offres pour devenir le fournisseur de service externe de la région de Harrismith. Le risque était perçu comme relativement limité puisque le contrat devait uniquement concerner l’exploitation et la maintenance, pour une durée limitée à trois ans. Après avoir examiné les différentes structures institutionnelles mises en place pour la fourniture de l’eau dans le pays, Rand Water proposa un modèle entrepreneurial. Plutôt que mettre en place des mécanismes pour que la municipalité crée une entreprise publique séparée, Rand Water, à la place, gérerait une unité commerciale au sein de la municipalité, à laquelle serait donc garanti un certain degré d’autonomie.

En 1999, un processus de négociation de 18 mois débuta entre les travailleurs, les résidents de la région et la municipalité, qui mena à un accord de principe sur le contrat. Les négociations étaient structurées en différents groupes de travail sur les questions financières, techniques, de ressources humaines, légales, institutionnelles et de communication, chacun de ces groupes apportant des informations et des recommandations à la municipalité. Ce long processus fut très coûteux pour la municipalité et pour Rand Water, mais il était nécessaire pour assurer le plein soutien de toutes les parties. Le processus de consultation fut particulièrement efficace pour assurer la représentation des syndicats locaux et nationaux, non seulement sur les questions syndicales, mais concernant tous les aspects du partenariat (Floss and Chipkin, 2002). Rand Water et la municipalité étaient d’accord pour assumer les coûts supplémentaires de ce processus prolongé en raison de leurs expériences respectives de coopération avec les syndicats. En 2001, un contrat de gestion fut signé entre Rand Water et la municipalité de Harrismith pour la création d’Amanziwethu (AWS), une unité commerciale au sein du département de l’eau et de l’assainissement. AWS devait se charger pendant trois ans de l’exploitation et de la gestion au sein du département, ainsi que du recouvrement des recettes pour tous les services municipaux au sein de la collectivité locale.

Le partenariat

Le partenariat était positif à différents égards pour l’autorité locale. Tout d’abord, les intérêts de l’autorité publique étaient protégés par la manière dont le contrat était conçu. Rand Water assumait le risque commercial en garantissant à la municipalité 1 million de rands (145 500 USD de l’époque) si le contrat devait être interrompu prématurément. Deuxièmement, alors que les recettes liées à l’eau et à l’assainissement étaient soumises à une obligation de réinvestissement dans le secteur, l’autorité locale avait la garantie de percevoir 5% des revenus du secteur afin de compenser le coût des services non rentables, par exemple les centres communautaires ou les bibliothèques publiques. Troisièmement, les impératifs de recouvrement de coûts de Rand Water étaient plafonnés afin d’assurer que pas plus de 5% des revenus ne lui reviennent à titre de frais de gestion. Ceci afin de conserver des tarifs abordables en plafonnant les hausses de prix de l’eau et de l’assainissement.

La structure réglementaire de ce partenariat était bien conçue et intégrait les suggestions de plusieurs comités. Des forums de l’eau furent organisés au niveau du district afin de donner l’opportunité aux usagers des services d’exprimer leurs préoccupations relatives aux problèmes de fonctionnement et de paiement. Ces problèmes étaient ensuite évoqués au cours des commissions mensuelles de coordination composées des parties prenantes pertinentes, comme des cadres dirigeants de Rand Waters, des cadres de AWS et des représentants de la municipalité. Ces réunions de coordination servaient à résoudre les problèmes soulevés dans les forums de l’eau, ainsi qu’à examiner les rapports de contrôle technique fournis par l’autorité régulatrice.

Le succès de ce partenariat est en partie due à la proactivité des conseillers du district, qui ont communiqué les détails du contrat au niveau de leur circonscription. À travers les comités de district, les forums de l’eau et des campagnes de démarchage porte-à-porte, les conseillers du district expliquèrent le fonctionnement des services de l’eau et rappelaient l’importance de s’inscrire en tant que foyer pauvre pour ceux qui avaient des revenus inférieurs à 1100 rands par mois (160 USD) [2]. Les conseillers du district prirent également sur eux la responsabilité d’empêcher que l’eau soit coupée aux foyers pauvres lorsqu’ils n’arrivaient pas à payer. Ils accompagnaient le responsable des liens avec la communauté d’AWS dans sa ou ses tournées pour informer les usagers de cette politique. Si les foyers étaient trop pauvres pour payer, le conseiller encourageait l’usager à se faire inscrire comme pauvre pour toucher une subvention de l’État et faire en sorte que l’eau lui soit limitée plutôt que coupée.

Pour ce qui est des usagers, l’ample consultation qui a accompagné le processus de négociation a été capitale pour obtenir le soutien général des différentes communautés de la région. Dans le partenariat AWS, la stratégie de participation communautaire avait deux composantes : une initiative éducative et un mécanisme de remontée de l’information. L’objectif éducatif était d’informer le public que la municipalité avait l’intention de changer le mode d’approvisionnement en eau. Grâce à la coopération entre la municipalité et AWS, la campagne de sensibilisation se servit de différents médias : émissions radio, projections de vidéos et œuvres de théâtre réalisées en partenariat avec la population, articles de journaux, encarts publicitaires et réunions publiques dans les communautés. La remontée d’information fut assurée par les structures politiques locales et diverses parties prenantes comme les syndicats, les ONG locales, les partis politiques et les petites entreprises. Ce fut en général perçu comme une dynamique constructive. Ces forums de consultation furent transformés en un forum des services de l’eau, destiné à encourager la participation populaire dans les véritables processus de décision. Il était espéré que ce forum transformerait les approches consultatives basiques de l’approvisionnement en eau en mécanismes plus participatifs permettant d’examiner plus en profondeur l’extension des services, la structuration des tarifs, ou encore les objectifs et priorités stratégiques.

Les structures institutionnelles de participation publique ont grandement contribué à gagner le soutien des usagers au projet de partenariat. L’amélioration apportée à la fourniture de service fut très visible, grâce à l’installation dans un certain nombre de townships officiels de robinets dans les cours communes, de raccordements dans les maisons et de toilettes extérieures reliées au réseau d’égouts – un niveau de service perçu comme élevé par rapport au degré de pauvreté de la région. Des entretiens avec les résidents et les conseillers ont également relevé la compréhension dont a fait preuve AWS vis-à-vis des difficultés socio-économiques que peuvent rencontrer les résidents. Dans de nombreux cas, des foyers ne pouvant pas se faire inscrire comme indigents (pauvres) se sont retrouvés en situation d’arriérés sans qu’on leur coupe le service lorsqu’ils dépassaient la quantité à laquelle ils avaient droit gratuitement. Dans de tels cas, AWS s’est efforcé de se montrer flexible, pourvu que les foyers s’engagent à payer leurs dettes dans des conditions acceptables pour eux et faisant l’objet d’un commun accord. Par ailleurs, dans les cas où les résidents étaient restreints à six kilolitres d’eau en raison de leur statut de pauvre, mais qu’il leur fallait dépasser cette limite pour une urgence, AWS s’est montré flexible en autorisant un flux d’eau plus important [3].

Le sentiment généralisé d’une amélioration de la qualité des services fournis par AWS, ainsi que les efforts qu’ils ont faits pour institutionnaliser des mécanismes de participation publique dans la fourniture de services, ont généré un soutien massif en faveur du partenariat. Le rôle de ce soutien ne peut pas être sous-estimé : il a contribué à ce que les résidents se conforment dans l’ensemble aux mesures de contrôle des niveaux de consommation, ce qu’illustre le taux très bas de branchements illégaux. Le niveau de non-paiement est en revanche extraordinairement élevé dans certains quartiers du township, par exemple 8% à Tshiame. Ce niveau de non-paiement est en grande partie lié au taux de chômage élevé et à la pure et simple incapacité de payer l’eau. Malgré ce problème, dans les endroits où les foyers peuvent se permettre de payer les services municipaux de base, il semble y avoir un taux relativement important de foyers qui se conforment aux mesures de contrôle des niveaux de consommation. C’est une anomalie dans les villes sud-africaines, où le non-paiement est une menace très sérieuse pesant sur la capacité des autorités locales à continuer à financer la fourniture d’un service vital.

Leçons apprises

En dépit de ces réussites, le partenariat a soulevé différents problèmes. Le transfert de compétence est souvent considéré comme l’un des avantages essentiels à attendre de tels partenariats, mais c’est un objectif difficile à atteindre. Les connaissances liées à l’expérience opérationnelle et gestionnaire de Rand Water n’ont pas été suffisamment transférées à la municipalité pour lui permettre de renforcer sa propre capacité à gérer le secteur ou de mieux contrôler un partenariat ultérieur avec un autre prestataire. Alors que les conseillers municipaux ont bien participé à ce processus de contrôle, leur propre compréhension des subtilités du contrat reste limitée, et ils ont donc tendance à suivre l’avis des experts techniques. En résumé, malgré le contrat de 3 ans, le partenariat n’a pas remédié à la situation de dépendance des autorités locales envers un fournisseur externe. Ce problème est lié à la rotation des conseillers municipaux au cours de cette période d’intense restructuration municipale, et constitue un facteur récurrent dans les difficultés auxquelles sont confrontées les autorités locales dans l’ensemble du pays pour remplir leur rôle de régulation.

Un second problème est que la valeur concrète de la formation fournie aux salariés reste étroitement liée à la présence de Rand Water aux côtés de leur direction. Dans quelle mesure les bénéfices de cette formation pour la performance du réseau se perpétueront-ils alors que l’équipe de direction ne bénéficie plus de l’assistance de Rand Water ?

Un troisième problème est la grande difficulté qu’il y a à essayer de maintenir en équilibre les impératifs de recouvrement de coûts et l’impératif constitutionnel d’étendre le service à des foyers auparavant totalement exclus. C’est une bataille qui reste à gagner. Amanziwethu a fait de grands pas en déterminant qui peut se permettre de payer et qui ne le peut pas, et a adopté des mesures d’encadrement de la consommation plus sévères pour ceux qui ont les moyens de payer. En conséquence, la ville a pu effectuer un dénombrement des familles pauvres pour garantir que l’accès mensuel aux 6000 litres d’eau gratuits [4] ne leur soit refusé. Mais lorsque les foyers pauvres, dont la plupart comptent un grand nombre de personnes, en sont réduits à tenter de survivre avec un simple filet d’eau, la dignité que devrait signifier le droit à l’eau n’est plus qu’un vain mot. Cela soulève des questions plus larges à propos des directives nationales et de la mise en œuvre par les autorités locales des six kilolitres d’eau comme minimum de base, une quantité tout simplement insuffisante pour répondre aux besoins d’un foyer pauvre.

Tant que l’expertise technique et la gestion resteront une contribution externe au partenariat, certaines questions politiques complexes resteront sans réponse. Le défi que doivent relever les partenariats de service public de ce type est de garantir le renforcement de la capacité de gestion de l’autorité locale au cours du processus de partenariat. Ce qui doit ensuite permettre à l’autorité locale d’être en position de choisir si elle administrera le secteur elle-même, ou si elle conclura un partenariat avec un prestataire, mais dans une position renforcée de supervision et de contrôle.

Pour terminer sur une note positive, il y a lieu d’espérer que les autorités locales opteront de plus en plus pour des partenariats public-public en Afrique du Sud. Le pays, depuis la fin des années 1990, a connu deux concessions d’eau de longue durée à des firmes privées, qui ont toutes deux entraîné un grand nombre de difficultés. Elles ont prouvé que les options offertes par le secteur privé ne garantissaient pas nécessairement une amélioration de la fourniture des services, ni ne protègent les collectivités locales de la nécessité de devoir trouver des financements sur le marché. Un certain nombre de partenariats public-public sont actuellement en développement dans le pays, entre municipalités et conseils de l’eau, aussi bien avec des organisations communautaires qu’avec d’autres communes. Plus les autorités locales accepteront de « sonder les eaux » de ces partenariats, plus il y aura d’exemples dont on pourra s’inspirer pour prouver que les partenariats public-public peuvent être une alternative viable de service public.

Cet article a été publié pour la première fois en 2005, dans l’édition originale de ‘Reclaiming Public Water’.

Références
 Floss, MM et Chipkin, I. 2002. A New Model of Service Delivery : Amanziwethu in Harrismith. Rapport commandité par Rand Water.
 Smith, L. et Fakir, E. 2003. The struggle to deliver public services to the indigent : A case study on the public-public partnership in Harrismith with Rand Water. Centre d’études politiques. Rapport de recherche.

[1Recensement de l’Afrique du Sud. 2001.

[2Les foyers gagnant moins de 1100 rands par mois sont considérés comment vivant au-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire, en sud-africain vernaculaire, dans l’indigence.

[3Une interview réalisée dans un foyer d’Intabazwe illustre clairement ce point. L’approvisionnement en eau de ce foyer avait été restreinte par l’installation d’un réducteur de débit, suite à quoi une personne de la famille a trouvé la mort. Après que cela ait été établi, documents à l’appui, le réducteur de débit fut retiré et l’on autorisa un flux illimité d’eau. Alors que le flux d’eau libre était prévu uniquement pour la durée du deuil, aux dires du propriétaire, le réducteur de débit n’a jamais été réinstallé. (Smith and Fakir 2003).

[4En 2001, le Département des eaux et forêts a établi des directives nationales afin de garantir que tous les foyers aient accès mensuellement à 6000 litres, ou six kilolitres, d’eau gratuits par mois. L’idée qui sous-tendait cette allocation était de permettre à un foyer de huit personnes d’avoir accès à 25 litres par personne et par jour afin de satisfaire leurs besoins minimums.

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