La forêt, l’eau et le changement climatique

, par  Olivier Petitjean

Le changement climatique vient encore renforcer le lien très étroit entre l’état des forêts et celui des ressources en eau, aussi bien en quantité qu’en qualité. La situation actuelle fait craindre que le cercle vicieux de la déforestation et de la sécheresse ne soit désormais hors de contrôle.

La déforestation, qui a pour effet de libérer le gaz carbonique stocké dans les arbres et dans le sol des forêts, constitue l’une des causes principales du changement climatique, représentant à elle seule entre un cinquième et un quart des émissions de gaz à effet de serre dues à l’activité humaine – davantage que le secteur du transport dans son ensemble. Plus grave encore, la déforestation a eu tendance à s’accélérer au cours des dernières années dans certaines régions, poussée par la hausse du prix des matières premières agricoles (les terres gagnées sur la forêt sont majoritairement affectées à la culture intensive du soja ou de l’huile de palme, mais aussi à l’élevage des bovins, le tout à destination de l’exportation), ainsi que, dans le cas de l’Asie du Sud-est, par la forte demande de bois émanant de Chine (qui a interdit l’abattage des arbres sur son propre territoire).

D’autre part, la photosynthèse opérée par la végétation est le seul processus naturel qui absorbe de larges quantités de carbone et le retire de l’atmosphère. La FAO estimait qu’en 2005, les écosystèmes forestiers stockaient 638 Gt de carbone, soit davantage que l’atmosphère, à la fois dans la végétation (283 Gt), dans le bois mort (38 Gt) et dans le sol (317 Gt). Cette capacité de rétention varie selon les régions : elle est sensiblement plus forte en Amérique latine et en Afrique subsaharienne qu’en Asie.

C’est donc à juste titre que la lutte contre la déforestation et la promotion de la reforestation (reboisement des forêts encore existantes) et de l’afforestation (création de nouvelles forêts) figurent parmi les priorités de la communauté internationale en matière de lutte contre le changement climatique. Même si les projections prévoient qu’en l’absence de toute mesure, les émissions liées à la déforestation s’arrêteront de toute façon vers 2050, lorsque 85 % des forêts de pays comme le Brésil ou l’Indonésie auront disparu, mettre fin à la déforestation plus rapidement atténuerait substantiellement le réchauffement planétaire.

Nombre des entreprises qui s’affichent « neutres en carbone » ne peuvent le faire avec une relative justification que dans la mesure où elles s’efforcent de planter autant d’arbres que cela est théoriquement nécessaire pour compenser leurs émissions. On notera toutefois que les arbres nouvellement plantés mettent souvent plusieurs dizaines d’années avant d’atteindre la capacité de stockage de CO2 d’arbres plus anciens, et que souvent les espèces indigènes sont remplacées par de nouvelles espèces qui n’apportent pas les mêmes bénéfices environnementaux, notamment en ce qui concerne la rétention et le filtrage de l’eau ou la résistance à l’érosion. Les actions de reboisement ne sauraient donc compenser la perte des forêts anciennes. Certaines des espèces replantées, comme l’eucalyptus, consomment même trop d’eau et ont pour effet d’aggraver les sécheresses.

Les forêts jouent un rôle essentiel pour les ressources en eau

Outre leur capacité de rétention du carbone, les forêts remplissent en effet de nombreuses fonctions écosystémiques, dont la moindre n’est pas leur rôle dans la disponibilité des ressources en eau, à la fois du point de vue de la quantité et de la qualité. Dès lors, la disparition des forêts contribue à rendre plus aigus les phénomènes de sécheresse liés au changement climatique. Lutter contre la déforestation n’est donc pas seulement une question de réduction des émissions, mais également d’adaptation au changement climatique, car le maintien d’une couverture forestière peut contrecarrer des effets néfastes comme la sécheresse ou les risques d’inondations.

Le premier effet bénéfique des forêts est d’améliorer la disponibilité de l’eau. On estime que 75 % des ressources en eau douce au niveau mondial proviennent d’une zone de captage boisée. Les racines des arbres font que les sols ont une plus grande capacité de rétention de l’eau issue des précipitations, ce qui entraîne une meilleure recharge des aquifères ainsi qu’une régulation du débit des cours d’eau tout au long de l’année, rendant les périodes sans pluie moins douloureuses. D’autre part, les forêts favorisent les précipitations à travers l’évapotranspiration. Il a été observé, par exemple, que la déforestation de l’Amazonie tendait à causer une baisse des précipitations dans la région, d’où en retour une menace plus grande pour la forêt restante. 40 % de la forêt amazonienne pourrait ainsi être remplacée à terme, même si la déforestation s’arrêtait, par un écosystème plus résistant à la sécheresse, à la hausse des températures et aux incendies. Cette transformation entraînerait en retour une baisse du carbone stocké dans la végétation. De même, la déforestation est certainement l’une des principales causes de la sécheresse qui sévit en Afrique de l’Est et notamment au Kenya (voir le texte "Les modèles de développement à l’épreuve de la sécheresse et du climat. L’exemple du Kenya"). À l’inverse, à Bornéo, la plantation d’une nouvelle forêt de 2000 hectares, contenant 1040 espèces d’arbres différentes, destinée à sauvegarder la population locale d’orangs-outans, a eu pour effet bénéfique inattendu d’augmenter localement la couverture nuageuse de 12 % et les précipitations de 25 %. La nouvelle forêt permet de récolter une eau quasi pure qui devrait prochainement être acheminée vers la ville voisine de Balikpapan pour en assurer l’approvisionnement.

Un second effet de la capacité de rétention des forêts est la prévention des inondations : en cas de précipitations intenses, les eaux s’écoulent moins rapidement.

Enfin, les forêts ont un rôle bénéfique en ce qui concerne la qualité de l’eau, grâce aux effets de filtration rendus possible par la rétention de l’eau. L’eau issue de zones boisées est plus propre que celle qui provient des zones de culture ou d’élevage, où l’eau pénètre plus rapidement dans le sol (et entraîne avec elles les polluants agricoles). La déforestation est donc souvent accompagnée d’une dégradation de la qualité des eaux.

Certaines des réponses apportées au changement climatique ont pour effet d’aggraver la situation des forêts

Outre la problématique du remplacement des forêts anciennes par de nouvelles plantations souvent monovariétales, certaines des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre traditionnellement mises en avant au sein de la communauté internationale pourraient avoir des effets négatifs en matière de déforestation.

Le premier est l’usage du bois, à la fois comme source d’énergie alternative aux hydrocarbures et comme matériau de construction pouvant remplacer l’acier, le béton, l’aluminium ou le verre (toutes matières dont la production requiert des quantités significatives d’énergie). Le bois représente encore entre 10 et 15 % de l’énergie consommée au niveau mondial, et son usage industriel est effectivement en expansion : suite aux accords de Kyoto, la tentation devient plus forte pour les industriels de s’appuyer sur le bois comme source d’énergie renouvelable. Cette tendance peut avoir des conséquences négatives si les exploitations forestières ne sont pas gérées de manière soutenable.

Une seconde menace est la promotion indiscriminée des biocarburants. Les objectifs ambitieux fixés par l’Union européenne et les États-Unis dans ce domaine pourraient avoir pour effet d’augmenter à la fois la demande de terres cultivables et les prix agricoles, et par conséquent la pression à la déforestation. Par ailleurs, certains biodiesels et bioéthanols dits de seconde génération sont basés sur les ressources en bois, et leur faisabilité économique dépendra de la disponibilité de ces ressources.

Un dernier risque est qu’à mesure que certaines terres agricoles s’assèchent du fait du changement climatique, les cultures concernées soient déplacées davantage en altitude, entraînant une nouvelle vague de déforestation.

Le « paiement des services environnementaux », outil pour lutter contre la déforestation ?

Au vu de l’importance des forêts en ce qui concerne la rétention du carbone et des multiples autres bénéfices associés à leur préservation, de nombreux pays ont mis en place une forme de « paiement des services environnementaux », consistant à compenser financièrement les propriétaires fonciers s’ils acceptent de maintenir la couverture forestière de leurs terres. Le Costa Rica a été pionnier dans la mise en place de ce type de systèmes, et la pratique s’est étendue au niveau régional puisqu’elle a été reprise au Nicaragua et en Colombie. L’idée est de monétiser et de rémunérer les différents « services environnementaux » rendus par la forêt en termes d’accès à l’eau, de rétention du carbone, de préservation de la biodiversité et tout simplement de protection du paysage. D’autres programmes ont été mis en place ailleurs, comme au Mexique ou en Chine, qui se focalisent exclusivement sur les services hydrologiques des forêts, mais leur principe est similaire. Ces programmes font l’objet de critiques, notamment parce qu’ils bénéficieraient principalement aux grands propriétaires fonciers privés, et non aux autres communautés des forêts. De plus, ce type de système risque fort, s’il était étendu, d’accentuer la tendance à la marchandisation de l’environnement qui accompagne la lutte internationale contre le changement climatique pour autant qu’elle est basée sur la possibilité de monnayer des droits d’émissions.

Pour autant, la mise en œuvre d’une politique efficace de lutte contre la déforestation au niveau international ne peut sans doute faire l’économie d’une forme de compensation financière des pays où sont situées les principales forêts du globe, ne serait-ce que pour les aider à mettre en place les structures de gouvernance indispensables. Même en tenant compte de cette nécessaire compensation, les auteurs du rapport Stern sur le coût du changement climatique estiment que la lutte contre la déforestation est, avec la promotion de l’efficacité énergétique, le moyen le plus économique de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de prévenir les effets les plus néfastes du réchauffement planétaire.

SOURCES
 Rapport Stern sur l’économie du changement climatique. http://www.sternreview.org.uk
 Rapport technique du GIEC/IPCC sur le changement climatique et l’eau. http://www.ipcc.ch/ipccreports/tp-c...
 « Plant a Forest, Save an Orangutan, Make Rain ? », Radio Netherlands, 16 octobre 2008.

Recherche géographique

Recherche thématique