Crise de l’eau dans le monde : risques et opportunités pour les intérêts nationaux américains

À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, Hillary Clinton a lancé en grande pompe un rapport de synthèse des services de renseignement américains sur les enjeux géopolitiques liés à l’eau. Ce rapport confirme un risque accru de conflits dans de nombreuses zones de la planète, notamment en Asie du Sud, jugées importantes pour les « intérêts nationaux » des États-Unis. Il suggère aussi que la situation mondiale des ressources en eau implique certes des risques, mais aussi des opportunités pour les intérêts américains, notamment en termes d’exportations agricoles et de valorisation du « savoir-faire » des entreprises US.

photo US Army

Le rapport dans sa version publique non classifiée (en anglais) est accessible ici.

Son élaboration reflète la prise de conscience progressive, par les responsables de la politique étrangère et militaire des États-Unis, de l’importance de l’eau d’un point de vue géopolitique et pour assurer le succès de leurs opérations diplomatiques et militaires dans des pays tels que l’Afghanistan, le Pakistan ou l’Irak (voir déjà L’aide des Etats-Unis au Pakistan accorde une large place à l’eau et La "guerre contre la terreur" et l’eau)

Le rapport identifie une série de bassins versants particulièrement sensibles au niveau géopolitique, et évalue les institutions en place pour gérer les éventuels conflits autour du partage de la ressource. De manière intéressante, le rapport conclue que les deux bassins qui présentent le plus de risques sont le Brahmapoutre et l’Amou Daria – qui ne figurent pas habituellement sur la liste des principaux points chauds planétaires. Mékong, Jourdain, Indus, Nil, Tigre et Euphrate sont bien évidemment aussi mentionnés. Le rapport ne manque pas non plus d’évoquer les problèmes domestiques des États-Unis.

Le rapport admet que l’eau, d’un point de vue historique, a davantage été une source de coopération que de conflits entre pays dans le passé, mais souligne qu’il risque de ne plus en aller de même dans le futur. Il suggère également que l’obligation de tourner leur attention vers leurs problèmes croissants d’eau pourraient distraire certains pays et les empêcher de collaborer avec les États-Unis autour de certains « objectifs politiques clés » (sous-entendu la « guerre contre la terreur »).

Plus généralement, le rapport estime que les problèmes d’eau risquent d’affecter la performance économique de nombreux partenaires commerciaux stratégiques des États-Unis, en réduisant la capacité de production agricole et hydroélectrique.

Lire ici la présentation du Washington Post et ici celle, plus approfondie, de Circle of Blue. (Voir aussi ici.)

Risques et opportunités

En ce qui concerne les « opportunités », le rapport note la possibilité de booster les exportations agricoles américaines vers les régions touchées par la rareté de l’eau. Il souligne aussi les opportunités de soigner l’influence et le prestige des États-Unis (ainsi que l’accès à de nouveaux marchés pour les entreprises nationales) à travers les programmes de coopération et de partenariats public-privés visant à transférer l’expertise américaine en matière de gestion (sous-entendu de gestion financiarisée basée sur les droits de propriété), de productivité agricole et d’infrastructures de l’eau.

Parallèlement à la présentation de ce rapport, Hillary Clinton annonçait d’ailleurs une série d’initiatives à la frontière entre l’aide, la diplomatie et la politique commerciale, notamment le lancement du « Partenariat états-unien de l’eau » (US Water Partnership), qui rassemble entreprises, ONG, chercheurs et agences publiques dans le but de « catalyser de nouvelles opportunités de coopération ». Un nouveau site portail visant à valoriser l’expertise américaine dans le domaine de l’eau est également prévu.

Cet article présente plus en détail les initiatives annoncées en marge du lancement du rapport.

Le rapport procède notamment à une réhabilitation du rôle des grands barrages contre les arguments environnementalistes, et suggère que les États-Unis gagneraient à relancer leurs investissements dans la réalisation d’ouvrages de ce type dans les pays du Sud.

Les auteurs du rapport soulignent que 70% de l’eau du monde étant utilisée pour l’agriculture, c’est ce secteur qu’il faut cibler en priorité, et que les solutions, en termes de technologie et de « gestion »(économique) existent pourvu que le cadre de gouvernance soit adéquat.

De manière significative, le rapport cite la surveillance et gestion des ressources en eau par satellite – un secteur en plein boom – comme l’un des avantages critiques que les États-Unis ont à offrir pour une gestion intégrée de l’usage des terres et des ressources en eau.

On notera en revanche que le rapport est très prudent en ce qui concerne la désirabilité d’étendre la privatisation des services de l’eau – alors même que la diplomatie américaine est souvent très active sur ce front, comme on l’a vu récemment en Inde.

Modèle américain contre modèle chinois

À l’arrière-plan du rapport et des annonces d’Hillary Clinton, il y a aussi la rivalité avec la Chine en termes de leadership et d’influence dans les pays d’Asie et d’Afrique. L’Union européenne elle aussi s’efforce d’ailleurs de lancer des initiatives de cet ordre.

Une tribune publiée par le directeur (d’origine indienne) du Columbia Water Centre sous le titre The Water-Energy-Food Security Challenge : America As The Global Savior ? formule les enjeux de manière plus crue. Il défend l’idée que les États-Unis se doivent de mener le monde vers une nouvelle révolution verte – basée cette fois sur une gestion soutenable des ressources en eau en partageant son expertise en termes de productivité agricole et d’innovation technologique avec les pays du Sud. Les États-Unis auraient la responsabilité d’exercer leur leadership « éclairé » et « bienveillant » (et profitable) pour ne pas laisser le champ libre au « modèle chinois » basé sur l’accaparement des ressources à travers des investissements massifs en Afrique, Asie et Amérique latine.

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