Delhi : la nouvelle municipalité institue un quota d’eau gratuite pour tous

, par  Olivier Petitjean

La métropole de Delhi vient de se doter de nouveaux dirigeants. Le parti anti-corruption Aam Aadmi (« l’homme ordinaire ») a créé la surprise en remportant les dernières élections. À peine arrivé au pouvoir, le nouveau chief minister Arvind Kejriwal, leader d’Aam Aadmi, a annoncé que les résidents de la métropole bénéficieraient désormais de presque 700 litres d’eau gratuite par jour. Au grand dam d’une coalition de fonctionnaires pro-privatisation, de politiciens et d’intérêts privés qui profitaient du business de la distribution de l’eau via camions-citernes.

Chaque foyer devra désormais bénéficier de 20 000 litres d’eau gratuite par mois. L’annonce d’Arvind Kejriwal ne signifie malheureusement pas que tous les habitants de Delhi pourront bénéficier immédiatement de la mesure, au vu de l’état du réseau d’eau et du grand nombre d’Indiens pauvres encore non connectés. Ce qui ne la rend pas nécessairement moins significative, si elle est effectivement mis en oeuvre progressivement, en tant qu’affirmation du droit à l’eau et de sa nature de bien public. Les critique diront au contraire que la mesure est un bon exemple du caractère utopique ou irréaliste des promesses du parti Aam Aadmi, qui ne résisteront pas aux réalités du terrain et à l’expérience du gouvernement.

Sur ces enjeux et sur l’état du service de l’eau de Delhi, voir l’état des lieux dressé par le magazine Down to Earth (en anglais).

Selon la presse, certains opposants à ces mesures - une coalition de fonctionnaires corrompus et de businessmen qui profitaient du marché juteux de la distribution d’eau par camions-citernes - s’efforcent déjà d’accentuer une pénurie artificielle d’eau dans certains quartiers pour saboter les efforts d’Aam Aadmi.

Delhi, en théorie, a les infrastructures nécessaires pour alimenter sa population en eau, mais en pratique, il y a de très grandes inégalités entre les quartiers. Cela fait des années que les fonctionnaires du Delhi Jal Water Board (DJB), l’autorité de l’eau, sont accusés de collusion avec la mafia des camions-citernes. Cet exemple montre les difficultés qui pourraient attendre le gouvernement d’Aam Aadmi dès lors que sa nouvelle politique ne pourra pas bénéficier (immédiatement du moins) à la plupart des populations les plus pauvres, non reliées au réseau d’eau.

Arrivé au pouvoir à Delhi, Arvind Kejriwal a immédiatement marqué sa différence en se rendant à la cérémonie d’inauguration en métro et en refusant la plupart des privilèges attachés à sa fonction. En plus de l’octroi d’un quota d’eau gratuite, il a également promis de diviser le prix de l’électricité par deux.

L’ancienne municipalité de Delhi était ouvertement favorable à la privatisation de l’eau, et la plupart des fonctionnaires pro-privatisation au sein du DJB, sont encore en place (seul son directeur, opposé au principe de l’eau gratuite, a été remplacé). Après plusieurs tentatives infructueuses, Delhi venait de mettre en place quatre projets pilote de « partenariats publics-privés » (PPP) avec des multinationales de l’eau (Veolia, Suez environnement et Jerusalem Water), dans des conditions très controversées.

On lira à ce sujet la dernière partie de l’enquête de l’Observatoire des multinationales sur la privatisation de l’eau en Inde et le rôle des entreprises françaises.

On ne sait pas encore si ces PPP seront remis en cause ou renégociés. La nouvelle municipalité a seulement annoncé une commission d’enquête, pour laquelle elle a sollicité l’aide de militants anti-privatisation.

En principe, la gestion privée n’est pas incompatible avec la distribution d’un quota d’eau gratuite à tous, mais l’exemple sud-africain montre que la confrontation des deux logiques peut mener à des problèmes sérieux (lire ici et ici). On notera que le quota d’eau annoncé par Aam Aadmi est bien supérieur à la quantité d’eau gratuite accordée aux Sud-Africains.

Le parti Aam Aadmi, issu du grand mouvement social anti-corruption qui a secoué l’Inde au cours des dernières années, s’est explicitement positionné contre la privatisation de l’eau. Il a promis de rendre le fonctionnement du DJB plus transparent, de généraliser la pratique de la collecte des eaux de pluie et d’encourager la conservation de l’eau, et enfin de construire des dizaines de milliers de toilettes publiques.

En attendant, la municipalité d’Hyderabad (qui se débat elle-même avec un contrat de privatisation de l’eau problématique) a déjà envoyé une mission d’enquête à Delhi pour étudier la possibilité d’appliquer le principe d’une distribution d’eau gratuite aux plus pauvres.

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Photo : Sayantan Bera / Down to Earth

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