Dans le désert, des ingénieurs piègent l’eau du brouillard avec des filets

, par  Larbi Bouguerra

Des ingénieurs chiliens ont redécouvert et développé une technique, connue depuis des siècles en Arabie, de « récolte » de l’eau du brouillard au moyen de filets. Très simple et ne nécessitant aucune énergie, elle semble pouvoir être adaptée à un certain nombre de pays sur tous les continents.

Le petit village chilien d’El Tofo, situé à 780 mètres d’altitude et à 360 kilomètres au Nord-ouest de Santiago dans une zone désertique, peut revenir à la vie après avoir été abandonné par les dieux – en l’occurrence les dieux ont pour forme terrestre la compagnie minière américaine Bethlehem Steel Cy – au début des années 1970. En effet, quand le géant américain décida d’abandonner l’exploitation de la mine de fer, il emporta avec lui le système de distribution d’eau et le générateur d’électricité. La petite communauté de 350 âmes, on l’imagine aisément, vécut l’enfer. L’eau ne fut plus délivrée que par un camion poussif et elle était plutôt contaminée.

Mais, dans la vie de cette modeste localité, la date du vendredi 6 mars 1992 est à marquer d’une pierre blanche. Ce jour-là, en effet, l’eau revint dans les canalisations et, depuis lors, chacun de ses habitants a pu jouir de 25 litres d’eau par jour. Derrière cet exploit, il y a une technique connue depuis des temps immémoriaux des nomades du Rùb El Khali, l’immense désert de l’Arabie. L’eau provient en fait du brouillard. De grands filets tendus sur son passage obligent les minuscules gouttelettes d’eau qui le constituent à se condenser en eau qui emprunte des canalisations et, par gravité, arrive au réservoir du village. Les filets qui remplissent 70 % de l’espace sont les plus efficaces et, en fait, on en tend deux de façon à ce que, lorsqu’ils frottent l’un contre l’autre sous l’effet du vent, les gouttelettes se condensent mieux. Un filet de 12 mètres sur 3,5 produit 180 litres d’eau/jour. Cette technologie ne nécessite aucune énergie, demande des constructions simples dont la maintenance peut se faire localement avec des matériaux courants.

Le coût de cette eau est de l’ordre du quart du prix du transport par camion-citerne. Mieux : comme on obtient ici de l’eau distillée, sa qualité chimique et bactériologique est impeccable. La quantité d’eau obtenue est, par ailleurs, non seulement suffisante pour alimenter les villageois, mais encore les spécialistes chiliens comme Waldo E. Canto, directeur des forêts, espèrent pouvoir replanter des arbres de la région, arbres qui deviendront autosuffisants au bout de cinq à six ans car ils condenseront eux-mêmes l’eau du brouillard par leur feuillage.

Les recherches prouvent que vingt-deux pays sur tous les continents ont les caractéristiques indispensables pour amener l’eau du brouillard à se condenser en altitude. On peut citer : le Mexique, le Honduras, l’Équateur, Gibraltar, l’Angola, le Kenya, la Namibie. A Oman, la technique est aussi appliquée et l’ingénieur chilien Juan Sebastian Barros, qui a collaboré au projet omanais, calcule qu’en fonction de la densité du brouillard, un collecteur peut produire jusqu’à 3 000 litres/jour. Les études entreprises au Chili dès 1960 sur les brouillards se sont axées sur El Tofo en 1980 et ont impliqué l’Université du Chili, l’Université catholique et un institut international de développement de l’Ontario au Canada. La technique est simple, peu coûteuse et de réalisation aisée si les conditions physiques et climatiques le permettent. Donc, technique idéale pour le Tiers-monde.

Source

"Chilean Engineers Find Water for Desert by Harvesting Fog in Nets", par Nathaniel C. Nash, New York Times, 14 Juillet 1992. http://www.nytimes.com/1992/07/14/s...

Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)

Après une dizaine d’années de services globalement satisfaisants, les filets d’El Tofo sont malheureusement tombés en désuétude et ont été abandonnés en 2003. L’approvisionnement par camions-citernes a repris. Il semble que la municipalité n’ait pas pris le relais d’un projet porté au départ par des scientifiques et la Coopération canadienne, bien que des efforts aient été faits pour mettre en place une gestion participative. La technique de récolte de l’eau du brouillard par filets, quant à elle, s’est heureusement étendue dans de nombreux pays : non seulement Oman et Chili, mais aussi Afrique du Sud, Canaries, Hawaii ou Népal. Comme dans le cas d’El Tofo, la technique est souvent utilisée également pour aider au reboisement dans des zones où les précipitations sont faibles. La technique a également été redéployée par un ingénieur français, Marc Parent, en s’appuyant sur l’énergie éolienne pour accélérer le phénomène de condensation.

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