La gestion de l’eau, une autre facette de la démocratie participative à Porto Alegre

, par  Olivier Petitjean

La ville de Porto Alegre au Brésil est mondialement renommée pour la procédure de « budget participatif » que sa municipalité a mise en place à la fin des années 80. La gestion des services municipaux de l’eau et de l’assainissement constitue un autre modèle (d’ailleurs étroitement lié au précédent) de mise en oeuvre d’une gouvernance participative.

Porto Alegre se vante d’afficher les indicateurs de développement humain les plus élevés du Brésil. L’une des raisons principales de cet état de fait est la qualité et le taux de couverture du service de l’eau et de l’assainissement, qui se traduit immédiatement en bénéfices sanitaires. Le service municipal des eaux et des égouts (DMAE : Departamento municipal de Agua e Esgoto) est en charge de ces deux services. Cette entité entièrement publique est financièrement indépendante : elle parvient à couvrir entièrement ses coûts grâce aux factures payées par 1,4 million d’habitants de la ville. Tous les profits sont réinvestis pour l’amélioration du réseau.

Une structure de gestion démocratique

La gestion et le contrôle du DMAE font l’objet d’une large implication du public, à plusieurs niveaux. Le directeur général, en charge de la gestion opérationnelle, est désigné par le maire de la ville pour 4 ans, mais toutes les grandes décisions sont validées et contrôlées par un Conseil délibératif. Composé d’ingénieurs, de médecins, de défenseurs de l’environnement et de représentants de diverses organisations de la société civile (secteurs économiques, syndicats, associations d’habitants, universités), ce Conseil reflète différentes sensibilités politiques.

Enfin et surtout, les orientations en termes de fonctionnement et d’investissement sont soumises à la procédure du budget participatif, qui compte l’eau parmi ses 6 grands domaines d’action. Au cours des réunions publiques qui se déroulent chaque année dans les 16 quartiers de la ville, les habitants sont amenés à voter sur leurs priorités en matière d’investissement sur la base de discussions avec des représentants du DMAE. Les habitants examinent aussi le budget de l’année précédente et la manière dont les dépenses réelles reflètent les investissements décidés les années précédentes. Ces réunions sont aussi plus généralement une occasion pour le personnel du DMAE d’écouter les critiques et suggestions des habitants.

Les priorités établies par les citoyens sont ensuite analysées par le DMAE en fonction d’un ensemble précis de critères, puis traduites en plan d’investissement. Critères et plan d’investissement sont validés par le Conseil du budget participatif (composé de représentants élus lors des réunions de quartier), qui met également en place des commissions de suivi de chaque investissement particulier.

Politique de tarification

Dans le souci d’assurer son autosuffisance financière sans pénaliser les habitants les plus pauvres, le DMAE a mis en place une politique de tarification progressive de l’eau en fonction de la consommation. En plus de cette tarification par bloc, un système de prix social préférentiel est appliqué pour les habitants les plus pauvres et pour les institutions qui sont à leur service. Même sans cela, le prix de base de l’eau pour le consommateur à Porto Alegre fait très bonne figure par rapport au prix moyen de l’eau dans les autres villes brésiliennes. En revanche, le prix de l’eau pour des usages allant au-delà d’un niveau basique (par exemple pour remplir des piscines) se situe au-dessus de la moyenne brésilienne. Cette grille tarifaire permet au DMAE de dégager un excédent moyen de 15 à 25 % du budget, qui est alloué aux nouveaux investissements dans le cadre de priorités décidées démocratiquement.

Résultats

Le réseau municipal d’approvisionnement en eau couvre 99,5 % des habitants de la ville ; le DMAE tel qu’il fonctionne actuellement a hérité d’un réseau complet et a continué à l’étendre au fur et à mesure de l’urbanisation. Le réseau d’évacuation des eaux usées couvrait 84 % des ménages en 2001 (contre 70 % en 1990). Cette même année, 27 % des ces eaux usées étaient traitées (2 % en 1990), et des projets d’équipements étaient en cours de validation pour porter ce taux à 77 %. L’extension du réseau s’est faite prioritairement dans les quartiers pauvres, en accord avec les souhaits exprimés par les habitants dans le cadre du budget participatif.

Les pertes d’eau du système, qui s’élevaient à 50 % en 1990, ont été réduites à 34 % (un chiffre qui demeure trop élevé ). Globalement, la demande en eau des habitants a décliné, à la fois en raison de la tarification progressive appliquée par le DMAE et des campagnes de sensibilisation qu’il a menées auprès des habitants. Ces campagnes ont certainement été rendues plus efficaces par la crédibilité démocratique de l’institution. Le fait que les habitants soient étroitement associés aux décisions les a rendu plus sensibles à la thématique de la conservation de l’eau, conçue comme une propriété collective, et même plus disposés à accepter des augmentations du prix de l’eau, dont ils savaient qu’elles serviraient à améliorer le service et non à enrichir des investisseurs extérieurs.

Avec l’arrivée du pouvoir en 1998 du Parti des Travailleurs au niveau de l’État du Rio Grande do Sul, dont Porto Alegre est la capitale, la compagnie régionale de l’eau (CORSAN : Companhia Riograndese do Saneamento) a également été réorganisée sur un modèle proche de celui du DMAE, parallèlement à la mise en place de budgets participatifs au niveau de l’État. Cette expérience a toutefois été remise en cause par la défaite du PT aux élections suivantes.

L’autonomie opérationnelle et financière du DMAE, la transparence de sa gestion politique et budgétaire, la mise en place d’une gouvernance participative, la priorité accordée aux habitants les plus pauvres… – tous ces facteurs ont créé les conditions d’un « cercle vertueux » : l’amélioration du service et du réseau se traduit par un meilleur développement humain de la ville et en particulier des plus pauvres, et donc par un accroissement des revenus collectés, qui débouche sur des investissements supplémentaires. Le fait d’être assis sur une gestion participative a renforcé le DMAE et a sans aucun doute joué un rôle considérable dans les résultats atteints.

SOURCES
 Hélio Maltz, « Porto Alegre’s Water : Public and For All », in Transnational Institute, Reclaiming Public Water
 DMAE et Public Services International (PSI). “Water in Porto Alegre, Brazil – accountable, effective, sustainable and democratic”. http://www.psiru.org/reports/2002-0...

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