Recycler les eaux usées. L’exemple du comté d’Orange en Californie

, par  Olivier Petitjean

La réutilisation des eaux usées pour faire face à la rareté relative de la ressource est une pratique séculaire. Grâce aux technologies modernes, il est désormais envisageable de construire des installations de recyclage des eaux usées à destination de la consommation humaine.

Là où l’eau est une ressource rare et précieuse, la tentation peut être grande de tirer le maximum de la moindre goutte, et en particulier de ne pas laisser les eaux usées se perdre dans la nature. L’utilisation des eaux usées domestiques pour l’irrigation est une pratique aujourd’hui relativement répandue dans de nombreux pays rencontrant des problèmes de rareté de l’eau : c’est vrai de plusieurs pays du Sud, mais aussi de pays plus riches comme Israël. Dans certains cas, quand cette eau n’est pas traitée du tout, l’utilisation agricole des eaux usées peut d’ailleurs entraîner des problèmes sanitaires.

Dans d’autres endroits de la planète, on va plus loin encore, jusqu’à traiter les eaux usées pour les réutiliser comme eau potable. Des expériences pionnières dans ce domaine ont été menées dans des villes ou des régions soumises à une pénurie chronique d’eau, telles que Singapour, Windhoek en Namibie, ou encore plusieurs comtés du Sud-ouest et du Sud-est des États-Unis. Singapour fait figure de leader dans ce domaine. La ville a construit ses premières usines de recyclage en 2000, après que des avancées technologiques (membranes) aient permis de faire baisser significativement le coût du recyclage de l’eau. Une cinquième usine a été inaugurée en juin 2009. En 2010, 30 % de l’eau potable de Singapour sera issue de ces unités de retraitement des eaux usées.

L’usine du comté d’Orange en Californie

L’agence de l’eau du comté d’Orange en Californie (à une cinquantaine de kilomètres au Sud-est de Los Angeles) a également privilégié cette solution et a inauguré début 2008 la plus grande usine au monde dédiée au retraitement des eaux usées pour les rendre à nouveau potables. Le comté était confronté à une augmentation régulière de la demande d’eau du fait de l’urbanisation, et d’un autre côté à une hausse continue du prix de l’eau qu’il devait faire venir de Californie du Nord ou du fleuve Colorado. Parallèlement, le volume d’eaux usées produit par les résidents connaissait une croissance exponentielle, ce qui aurait nécessité la construction d’une nouvelle canalisation pour envoyer ces eaux dans l’océan Pacifique.

La décision de mettre en place un recyclage de l’eau a été considérée comme une manière de répondre à tous ces problèmes à la fois. Cela a bien sûr un prix : la construction de l’usine a coûté 480 millions de dollars US, et les coûts annuels d’opération de l’usine sont estimés à 29 millions. Les techniques les plus récentes de traitement de l’eau y sont mises en œuvre. L’usine permet toutefois à l’agence de l’eau de faire des économies à la fois au niveau des ses coûts d’approvisionnement et d’assainissement. L’usine a une capacité de production de 320 millions de litres d’eau par jour, ce qui correspond seulement à 10 % de la demande des 2,3 millions d’habitants du comté. Il s’agit toutefois d’un approvisionnement sûr, non soumis aux risques de sécheresse – un facteur décisif en Californie.

L’usine reçoit les eaux usées des ménages, mais aussi de l’industrie. Elle soumet cette eau à un processus de purification en plusieurs étapes, visant à en éliminer les métaux, produits chimiques, agents pathogènes, pollution organique, mais aussi les sources de pollution dites émergentes, comme les disrupteurs endocriniens et plus généralement les traces de produits pharmaceutiques contenues dans les urines.

L’eau est d’abord filtrée pour en éliminer les éléments solides les plus massifs (bois, etc.). On laisse se déposer les solides en suspension comme les grains de café. Vient ensuite l’étape de clarification : on ajoute à l’eau des sels métalliques qui font que la matière en suspens s’agglomère et peut être éliminée, puis des bactéries et micro-organismes qui décomposent le matériel organique, y compris les excréments. À ce stade (dit stade secondaire), l’eau serait d’habitude rejetée dans l’océan telle quelle. Dans l’usine d’Orange, l’eau est soumise à plusieurs étapes supplémentaires de purification. Tout d’abord, on ajoute de l’hypochlorite de sodium (eau de Javel) pour désinfecter l’eau. Vient alors une étape de microfiltration (à travers des membranes de 0,2 µm) qui élimine une grande partie des micro-organismes et solides qui demeurent encore dans l’eau. Ensuite, l’eau est traitée par osmose inverse pour enlever les contaminants dissous dans l’eau (minéraux, virus, ammoniacs). Seuls restent alors dans l’eau des substances dont le poids moléculaire est très faible : certains produits pharmaceutiques et cosmétiques, des solvants industriels. Elles sont finalement éliminées partiellement en ajoutant à l’eau du peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée), puis en la soumettant à un rayonnement UV qui entraîne leur oxydation.

L’eau ainsi produite est, pour moitié, injectée dans des aquifères côtiers pour y contrecarrer les intrusions d’eaux salées, et, pour l’autre moitié, acheminée vers un lac, d’où elle s’infiltre lentement dans le sol et rejoint les aquifères et le cycle hydrologique naturel, bénéficiant de l’effet supplémentaire de filtration du sol. On a calculé qu’il faut environ 6 mois pour que l’eau traitée dans l’usine revienne dans les robinets des particuliers.

L’eau traitée est, en un sens, plus pure que l’eau « naturelle » qu’elle rejoint, et elle perd donc en qualité en rejoignant l’aquifère. Cette dernière étape est toutefois apparue nécessaire aux gestionnaires de l’usine pour des raisons psychologiques : il s’agissait de ne pas rebuter les populations.

Il n’existe pas pour l’instant d’autres projets comparables à l’usine d’Orange, quoique l’idée en soit caressée dans plusieurs régions d’Australie, de Floride ou de Californie, où le recyclage apparaît comme une alternative au dessalement, qui demeure la solution massivement privilégiée aujourd’hui. Tout comme le dessalement, le recyclage de l’eau entraîne des besoins énergétiques élevés. Il entraîne toutefois des économies en termes d’acheminement et de rejet des eaux usées, et est dépourvu des autres conséquences environnementales problématiques du dessalement (voir le texte "Enjeux environnementaux et économiques du dessalement de l’eau"). Souvent, ces projets se heurtent à des résistances psychologiques chez les populations concernées : elle est régulièrement rejetée dans les référendums locaux. Le projet d’installer une usine de ce type à Tampa en Floride semble le plus avancé à ce jour (été 2009). Les installations de recyclage de l’eau pour des fins autres que la consommation humaine (irrigation principalement) sont en revanche plus nombreuses.

SOURCES
 Jyllian Kemsley, « Treating Sewage For Drinking Water », Chemical & Engineering News, 28 janvier 2008.
 Elizabeth Royte, « A Tall, Cool Drink of… Sewage ? », New York Times, 8 août 2008. http://www.nytimes.com/2008/08/10/m...

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