Le barrage des Trois Gorges

, par  Olivier Petitjean

Le barrage des Trois Gorges est un barrage en cours de construction depuis 1993 sur le fleuve Chang Jiang (Yangtsé) en Chine, destiné à être à la fois le plus haut, le plus long et le plus important du monde en termes de capacité hydroélectrique, avec à la clé un impact social et environnemental dramatique. Au-delà des bénéfices attendus en termes de régulation de cours du fleuve et de production hydroélectrique, la décision de construire ce barrage correspond à l’évidence à des enjeux symboliques et politiques forts pour le pouvoir chinois.

photo : Oliver Laumann, licence CC

Le barrage des Trois Gorges n’est en un sens que le cas le plus extrême d’un ensemble d’autres méga-barrages projetés ou en cours de construction au niveau mondial, notamment en Asie (dont un grand nombre en Chine) ou en Amérique du Sud. Les travaux ayant commencé en 1993, le barrage a été mis en service à partir de 2003, mais ne sera achevé et n’atteindra sa capacité totale qu’en 2009. En termes quantitatifs, il bat (provisoirement, peut-être) tous les records : 2 335 mètres de largeur, 175 mètres de hauteur lors de son achèvement, 18 200 mégawatts de capacité, production annuelle estimée à 84,7 milliards de kWh, retenue d’eau de 39 milliards de mètres cubes, écluse sur 5 niveaux pouvant faire passer des bateaux de 10 000 tonnes, création d’un lac de 632 kilomètres carrés, 25 milliards de dollars US de budget initial, 40 milliards au final selon certains estimations… Mais aussi : entre 1,3 et 1,9 million de personnes déplacées et logées dans des villes construites à la hâte, 30 000 hectares de terres agricoles submergées, 162 sites archéologiques disparus, dont certains hauts lieux de la culture chinoise.

Pourquoi un tel projet ?

L’objectif principal du projet, selon le discours officiel, est de maîtriser les crues du Chang Jiang et d’éviter les inondations dévastatrices qui ont marqué le passé de la région. L’image de la « maîtrise des eaux » a une résonance symbolique forte dans la culture politique chinoise, renvoyant à l’image légendaire du premier empereur qui aurait réussi à dompter les fleuves, créant ainsi les bases de la civilisation chinoise. L’actuel président chinois Hu Jintao, comme d’autres dirigeants du pays avant lui, est d’ailleurs détenteur d’un diplôme d’ingénieur hydroélectrique. Cela explique que l’idée de ce projet ait été caressée depuis longtemps : le projet actuel a en fait été imaginé dès 1919, et sa conception s’est lentement précisée au cours des années jusqu’en 1992, où un régime alors en pleine crise de légitimité a forcé la décision de lancer les travaux. Près d’un tiers des députés au Congrès national du peuple s’est pourtant abstenu ou opposé à cette décision, signe à la fois du vertige qui a pris certains délégués face à l’ampleur du projet et ses conséquences et de l’influence au sein des couches dirigeantes des critiques du projet. De nombreux responsables et scientifiques avaient ainsi essayé de faire valoir qu’il existait des alternatives plus modestes et plus efficaces pour atteindre l’objectif de maîtrise des eaux, le barrage des Trois Gorges étant d’ailleurs situé en amont des plus importants affluents du Chang Jiang.

Yangzi à Fengdu, en amont des 3 Gorges, photo Olivr Laumann, licence CC

Si la réalisation d’un tel ouvrage s’inscrit donc à la fois dans la tradition politique chinoise et dans celle d’une certaine conception développementiste de l’État, dont il s’agissait aussi de réaffirmer la validité, l’autre objectif principal du barrage, la production hydroélectrique, a pris de plus en plus d’importance depuis les années 90. Cela s’explique bien sûr par la montée en puissance des thèmes du changement climatique et de la nécessité pour la Chine de réduire à la fois sa dépendance au charbon et au pétrole et ses émissions de gaz carbonique. Comme pour d’autres projets récents de barrages, tel celui du Rio Madeira au Brésil (voir le texte Les barrages du Rio Madeira : une certaine conception du développement de l’Amazonie), les autorités ne se sont pas privées de faire valoir cet argument écologique, davantage à la mode qu’une conception du développement qui fait désormais l’objet de critiques de tous bords (du moins dans les pays riches).

Autre avantage apporté par le nouveau barrage, la zone navigable du Yangtsé devrait se trouver augmentée de près de 600 kilomètres vers l’intérieur des terres, ce qui devrait permettre le développement de régions jusqu’ici reculées. Enfin, la réalisation du barrage s’inscrit dans le gigantesque projet de transfert d’eau du Sud vers le Nord du pays (voir le texte Les voyages de l’eau).

Un impact écologique redouté et redoutable

Loin d’être conçu isolément, le barrage des Trois Gorges constitue en effet l’une des pièces maîtresse d’un vaste ensemble de projets énergétiques et hydrauliques qui contribuent à redessiner profondément la carte géographique et écologique de la Chine. En ce sens, plus encore que l’impact de ce projet sur les populations locales et que la perte de sites culturels importants, c’est son impact écologique à court et à long terme qui suscite le plus d’inquiétudes.

Un premier problème est celui de la sédimentation, d’autant que le barrage est situé en aval d’une région de loess, sujette à une forte érosion. L’accumulation de sédiments aurait fatalement pour effet de réduire progressivement la capacité de production du barrage des Trois Gorges. Selon certains observateurs, la multiplication des annonces de nouveaux projets de barrages dans la Chine du Sud-ouest s’expliquerait ainsi, non seulement par la nouvelle politique énergétique du gouvernement, mais aussi par l’objectif caché de protéger le barrage des Trois Gorges en bloquant une partie de la sédimentation en amont. En retour, les conséquences écologiques de la baisse de la quantité d’eau et de sédiments qui atteindront l’embouchure du fleuve suscitent toutes sortes d’inquiétudes.

Un second problème est celui de la pollution, alors que le Chang Jiang est déjà fortement mis à contribution de ce point de vue : à travers les barrages et le détournement de ses eaux vers le Nord, on réduit son débit, et simultanément la quantité de polluants à diluer augmente. Les sols soumis à l’érosion entraînent souvent avec eux les engrais et les pesticides issus de l’agriculture intensive, ce qui favorise le développement incontrôlé d’algues dans le réservoir du barrage et dans plusieurs lacs de la région. En outre, la submersion d’anciennes villes et zones industrielles entraînera immanquablement des problèmes de pollution de l’eau, à mesure que mines, latrines, usines, fermes, cimetières, hôpitaux et abattoirs seront recouverts.

Malgré les assurances des autorités qui soulignent notamment que l’ouvrage est conçu pour résister à un séisme de grande ampleur, la stabilité du terrain autour du barrage est un autre sujet de préoccupation. Selon certains observateurs, des défauts dans la planification géologique de l’ouvrage ont déjà entraîné des glissements de terrains de grande ampleur. Les pressions exercées par l’immense masse d’eau créée par le barrage sur les parois instables des vallées englouties pourraient encore aggraver le problème. Or on pense maintenant que le tremblement de terre qui a dévasté le Sichuan en mai 2008 pourrait justement avoir été causé par le barrage du Zipingpu, de 156 mètres et achevé en 2006, situé juste au-dessus d’une zone sismique.

Sources
 Larbi Bouguerra, Les Batailles de l’eau : pour un bien commun de l’humanité, Enjeux Planète, 2003, p. 202-206.
 « Le barrage des Trois Gorges, Grande Muraille du XXIe siècle ». http://aventure.blogs.liberation.fr...

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