Abandon d’un projet de barrage chinois en Birmanie

Les autorités birmanes viennent d’annoncer la suspension du projet de barrage de Myitsone, sur le territoire de la minorité Kachin. L’abandon de ce barrage, qui avait fait l’objet d’un accord au plus haut niveau entre le gouvernement de Birmanie (Myanmar) et celui de la Chine, est riche de multiples enseignements sur l’influence (malgré les apparences) de la société civile dans un pays comme la Birmanie, ainsi que sur le devenir du boom hydroélectrique impulsé par les Chinois en Asie du Sud-est.

L’annonce du gouvernement birman, dans un contexte d’ouverture aux opposants suite à la transmission du pouvoir à un gouvernement "civil" en mars dernier, fait suite à de nombreuses manifestations de protestations de différents secteurs de la société birmane.

Il s’agissait d’une série de barrages dans le Nord de la Birmanie, dont le plus important, celui de Myitsone, au lieu où les rivières N’Mai et Mali se rejoignent pour former l’Irrawaddy. Le barrage de Myitsone aurait entraîné le déplacement d’une dizaine de milliers de personnes, principalement de l’ethnie Kachin, et détruit une zone très riche en biodiversité. Son réservoir aurait immergé près de 800 km2 de forêts et de villages.

Les travaux devaient être menées par le géant chinois de l’énergie China Power Investment Corp. Les financements provenaient également de Chine, et, malgré la prétention affichée de contribuer au "développement" de la région, il s’agissait bien d’exporter 90% de l’électricité produite vers la Chine toute proche.

Les autorités chinoises semblent avoir été prises de court par la décision birmane et ont manifesté leur mécontentement (lire le Guardian à ce sujet).

En français, voir la dépêche AFP qui résume l’affaire. En anglais, voir la synthèse du New York Times.

La zone où devaient être construit la série de barrage en question est en plein coeur de "l’État Kachin", région ancestrale du peuple Kachin, qui connaît des affrontements endémiques entre les militants indépendantistes et l’armée birmane. Ces combats avaient empiré au cours des derniers mois autour des sites des barrages (voir par exemple ici).

Les Kachin ont trouvé de nombreux soutiens dans le reste de la société civile birmane. L’Irrawaddy est en effet comme l’épine dorsale du pays, et possède à ce titre une grande importance symbolique. Un autre impact redouté des barrages était la dégradation progressive du delta de l’Irrawaddy, du fait de la réduction du flux de sédiments. Or cette région fertile assure une grande partie de l’approvisionnement en riz du pays.

Les opposants aux barrages - populations riveraines et écologistes - se sont réunis et coordonnés avec le soutien d’ONG régionales comme le Burma Rivers Network ou internationales comme International Rivers. Même l’opposante historique Aung San Suu Kyi s’est mise de la partie (voir en anglais cet article du Guardian).

Sur ces mobilisations de la société civile birmane (et sur les débats au sein des cercles dirigeants birmans), lire cet article du New York Times.

Un facteur important de cette mobilisation semble avoir été le ressentiment populaire envers l’omniprésence chinoise en Birmanie (le gouvernement birman se retrouvant en pratique, du fait des sanctions internationales, État client de la Chine).

La mobilisation a été largement couverte par The Irrawaddy, magazine publié par des militants démocrates birmans (indépendants) en exil en Thaïlande. Voir par exemple ici.

Dans un article très intéressant, Grace Mang, coordinatrice du programme "China Global" d’International Rivers sur les investissements hydroélectriques chinois dans le monde, tire les leçons du mouvement de protestation et de l’abandon du barrage. Quelques extraits :

Le succès inattendu des groupes de la société civile en Birmanie démontre que les ONG dans les pays hôtes ne peuvent être ignorées. À bien des égards, les projets de la China Power Investment se sont retrouvés bloqués parce que cette entreprise a négligé dès le départ de venir à la rencontre des communautés. À mesure que le projet fut mis en oeuvre, il devint clair pour beaucoup qu’il ne servirait que les besoins énergétiques de la Chine - pas le développement de la Birmanie... Alors que la Chine s’est lancée dans une construction frénétique de barrages sur ses propres rivières, il devient clair que les autres pays ne sont pas forcément disposés à sacrifier leurs propres rivières pour satisfaire ses besoins... Dans sa déclaration au Parlement birman, le président Thein Sein a dit que le gouvernement devait agir "selon les désirs du peuple". Le rejet du barrage de Myitsone par le peuple birman constituera un précédent important pour d’autres grands projets que les constructeurs de barrages chinois ont initié en Birmanie, au Laos ou au Cambodge...

Plus largement, la suspension du barrage de Myitsone est le dernier signe en date que les barrages ne peuvent pas être construits à n’importe quel prix. Il y a quelques semaines, le South China Morning Post rapportait que la China Southern Power Grid Company s’était retirée de plusieurs projets controversés au Cambodge parce qu’elle se considérait comme une entreprise socialement responsable. Cette semaine, à la veille de l’entrée en bourse à Shangaï de Sinohydro, les investisseurs potentiels, les analystes financiers et les médias gouvernementaux chinois ont débattu du projet de politique environnementale de cette compagnie - spécifiquement conçue comme une réponse aux questionnements sur ses investissements dans les pays tiers. En Éthiopie, les journaux ont rapporté que le plus important financeur au monde de grands barrages, la China EXIM Bank, reportait sa décision quant au financement du projet hydroélectrique Chemoga-Yeda sur le Nil, en réponse aux inquiétudes des pays d’aval. Il est manifeste que certains constructeurs de barrage chinois apprennent à tenir compte des revendications de la société civile. Le barrage de Myitsone est un rappel utile de ce qui peut leur arriver lorsqu’ils ne le font pas.

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