Assurer l’accès à l’assainissement dans des quartiers urbains informels requiert des démarches et des techniques adaptées, conçues et mises en œuvre de manière participative.
Contexte et enjeux
40 % de la population de Karachi demeure dans des quartiers d’habitat précaire. En 1978, un programme national de régularisation des zones d’habitat spontané a été adopté par le gouvernement pakistanais.
A Baldia, quartier sélectionné pour lancer ce programme, un réseau d’adduction d’eau géré par la Karachi Metropolitan Corporation (KMC) délivre de l’eau cinq heures par jour à très faible pression. Cela ne permet de desservir que la partie basse du quartier. Les habitants des parties hautes, organisés en coopérative, ont construit des réservoirs approvisionnés par camions-citernes et charrettes à âne. La consommation est alors estimée à 19 litres par personne et par jour. 70 à 90 % des habitations disposent d’un système d’assainissement par fosses étanches. Le trop-plein des latrines se déverse dans les rues ou dans les terrains adjacents.
Description de l’action
Une première phase d’expérimentation a permis de tester l’applicabilité et l’acceptabilité de nouvelles latrines munies de puits d’infiltration. Un plan d’action combinant organisation sociale et appui technique a ensuite été mis en œuvre. Des enquêtes sur les projets et sur la motivation des bénéficiaires ont été menées au travers de comités sanitaires locaux. Des actions de sensibilisation visant essentiellement les jeunes filles ont été engagées. En phase de consolidation, un suivi en matière de soins de santé primaires a été initié. Le cadre institutionnel a été particulièrement étudié pour assurer la pérennité des actions.
Historique
En matière d’assainissement, la KMC ne connaissait que le système du tout-à-l’égout, conventionnel, peu réaliste dans le contexte et d’un coût prohibitif. La coopération néerlandaise a mandaté deux consultants de WEDC pour mettre au point une solution alternative suivant un cahier des charges précis : être aisément réalisable, peu coûteux, adapté aux conditions locales (physiques et sociales), évolutif et d’une maintenance facile ; tenir compte de la faible solvabilité des habitants, des pénuries d’eau chroniques, des coutumes régissant le nettoyage des latrines (une caste particulière est chargée de cette tâche « impure »), de la méconnaissance des principes d’hygiène par la population. Après analyse poussée des habitudes locales, WEDC a recommandé un type de latrines à faible consommation d’eau. Un réseau de drainage conçu par le Centre international de l’eau et de l’assainissement (IRC) a été réalisé sur financement du gouvernement hollandais. Les puits d’infiltration pourront éventuellement être raccordés à ce réseau.
Objectifs
Il s’agissait d’améliorer la situation sanitaire (élimination des excrétions, traitement des eaux usées) en cherchant d’abord à améliorer le système en place. La réalisation du programme d’action, allant de la fourniture de latrines au développement communautaire, devait s’appuyer sur l’acquisition d’un savoir-faire local et les capacités propres de la population.
Résultats
L’amélioration des conditions sanitaires est devenue une priorité pour la population. Pour les latrines, la technique adoptée s’est avérée adaptée aux conditions locales. Elle a fait l’objet d’un consensus entre les comités sanitaires, les artisans locaux et les techniciens, ce qui a encouragé ces derniers à participer à l’extension de l’initiative à d’autres îlots du quartier. De nouveaux projets ont été lancés. Une participation financière par bénéficiaire est exigée (500 roupies, environ 100 FF par habitant). Au total, près de 5 000 latrines ont été construites (1/4 subventionnées, 3/4 sans autre aide que l’animation technique). Pour chaque dollar investi par le projet, la collectivité a ainsi mobilisé 3 dollars.
Les femmes ont largement participé au projet. Des centres de soins de santé primaire ont été installés. La population, ayant pris confiance en elle, s’est sentie apte à orienter le développement de son quartier. Les habitants ont constaté qu’en s’organisant ils pouvaient mobiliser des soutiens extérieurs, gouvernementaux et non gouvernementaux. Cependant, la cohésion entre membres de la communauté s’est altérée dès que les questions d’argent sont entrées en jeu, l’information et la répartition des responsabilités étant insuffisamment claires. Les organisations communautaires préexistantes au projet ont poursuivi seules leurs efforts de développement, celles constituées en cours de réalisation ont requis un accompagnement externe beaucoup plus soutenu.
Leçons à tirer de l’expérience
L’approche technique et méthodologique doit être souple et adaptée aux conditions locales. La stabilité sociale, un certain niveau d’organisation communautaire et des sources régulières de revenus sont nécessaires à l’approche prônée par le projet. Si la démarche de développement communautaire et les méthodes de sensibilisation à domicile sont reproductibles, la technique employée n’est recommandée que lorsque l’alimentation en eau est insuffisante pour permettre d’utiliser un système d’égout.
SOURCE
– L’eau et la santé dans les quartiers urbains défavorisés, publié par le GRET, Groupement (France), 05/1994, p. 106-107.
Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2008)
L’expérience décrite illustre la nécessité et l’efficacité d’une démarche socialement participative, et donc basée sur des techniques adaptées, pour favoriser l’accès à l’assainissement dans un contexte où les services officiels ne peuvent ou ne veulent pas intervenir. Une expérience similaire s’est déroulée également à Karachi, dans le quartier voisin d’Orangi, qui est souvent citée en exemple au niveau international. Au début des années 80, Orangi était une zone d’habitat informel qui, pour cette raison, n’était pas prise en compte dans les programmes officiels de développement et ne bénéficiait d’aucun investissement en matière d’assainissement. Une organisation nommée Orangi Pilot Project (OPP), créée et dirigée par Akhtar Hameed Khan, a initié des actions de sensibilisation et des débats avec les habitants, pour les encourager à prendre en mains eux-mêmes le problème. Une coopération s’est mise en place entre voisins et au niveau d’une même ruelle pour construire des canalisations d’égouts, puis des conduites de quartier. OPP s’est occupé de former les techniciens et de concevoir des systèmes adaptés. La ville a finalement accepté en 1991 de construire un égout principal pour collecter tous ces déchets et les acheminer ailleurs. Les bénéfices sanitaires de ces travaux ont été immédiats : la mortalité infantile est tombée de 130 pour mille naissances à 40 aujourd’hui. La mobilisation de la communauté a permis d’atteindre ces résultats à un coût bien moindre (10 dollars US par ménage en moyenne) que les investissements qui auraient dû être mobilisés par les services officiels.