Les océans deviennent de jour en jour moins aptes à absorber le gaz carbonique d’origine anthropogénique. Selon des rapports scientifiques publiés à la mi-novembre 2009, la concentration en CO2 dissous dans l’Océan Arctique est déjà en train de faire des dégâts chez les organismes marins qui y vivent.
Selon une étude parue dans la grande revue scientifique britannique Nature (2009, vol.462, p. 346), les niveaux de gaz carbonique absorbés par les océans sont en augmentation constante du fait que les activités humaines en libèrent toujours plus.
Ce travail a analysé de très nombreuses mesures et données océanographiques afin de déceler la manière dont les océans ont agi comme réceptacle (ou trappe) pour l’anhydride carbonique depuis l’aube de l’industrialisation au XVIIIe siècle. C’est ainsi que l’océanographe Samar Khatiwala et son équipe de l’Université Columbia à New York ont découvert que bien que les océans continuent à dissoudre le gaz carbonique anthropogénique, la vitesse de dissolution a presque baissé de 10% depuis l’an 2000. En 2008, affirment ces spécialistes, 150 milliards de tonnes de CO2 provenant des activités humaines ont été absorbées par les océans. Ces chercheurs ajoutent que, s’agissant de la teneur en carbone des océans, cette quantité ne provoque qu’une modeste perturbation mais, pour ce qui est de l’atmosphère, on est en présence d’une diminution importante de la concentration du carbone. Khatiwala explique que si les mers relâchaient dans les airs tout le carbone d’origine anthropogénique qu’elles ont dissous, la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère bondirait de 20%.
En fait, sans les océans, la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère aurait atteint les 450 ppm (parties par million), niveau que les modèles climatologiques prédisent comme conduisant à une augmentation de température de 2°C. Or, pour éviter des changements climatiques majeurs, il faut absolument rester au dessous de ce seuil.
Conclusion de Khatiwala : « Les océans nous ont fait gagner du temps ».
Mais le temps gagné par les hommes semble l’être aux dépens de la faune de l’Océan Arctique, révèle une publication de la prestigieuse revue américaine Science (2009, vol. 326, p.1098). Des chercheurs canadiens y rapportent des données sur la concentration d’aragonite – une forme de carbonate de calcium utilisée par le plancton et une foule d’invertébrés marins pour élaborer leur coquilles. L’acidification de l’eau de l’océan du fait de l’importante dissolution du gaz carbonique pourrait attaquer les coquilles riches en calcium d’un grand nombre d’invertébrés marins. L’équipe canadienne estime que les niveaux d’aragonite ont baissé considérablement ; ce qui entraîne de facto la dissolution des coquillages concernés. L’absorption continue du gaz carbonique produit par l’homme par les eaux des océans va encore réduire les quantités d’aragonite. Pire : la fonte des glaces polaires, apportant davantage d’eau douce dans l’Arctique, va exacerber le phénomène. Les crustacés et tous les petits invertébrés munis d’une coquille vont ainsi être exposés à de grands dangers, et la chaîne alimentaire de l’Arctique sera gravement affectée, car ces petits mollusques et le plancton sont le fondement même de cette chaîne qui pourvoit à la nourriture d’une multitude d’êtres vivants.
Pour les géochimistes de l’Université de Caroline du Nord aux États-Unis, les mollusques à coquilles des océans situés aux hautes latitudes et ayant besoin de carbonate de calcium pour former leur coquille ne sont plus loin du point de non-retour.
Commentaire
L’océan est un acteur clef du cycle de l’eau, ce cycle qui accompagne la Terre depuis son apparition dans le Cosmos il y a 4,5 milliards d’années et qui a permis la Vie, puis sa permanence sur ce globe.
La dissolution du gaz carbonique d’origine humaine qui se produit dans l’océan est de nature à changer les propriétés physico-chimiques de l’eau des mers (acidification notamment) et de se traduire par une perturbation probable de ce cycle essentiel.
Les travaux rapportés ici montrent les effets insoupçonnables de nos comportements et de nos modes de vie et de consommation sur les équilibres de base des écosystèmes. Ils montrent aussi que les problèmes auxquels nous faisons face sont multifactoriels (dissolution du gaz carbonique dans les mers, perturbation de la teneur en aragonite, acidification de l’eau, intrusion de l’eau provenant de la fonte des glaces dans les eaux marines…)
Il y a urgence donc à refréner la consommation des combustibles fossiles de nos contemporains pour réduire la production de gaz carbonique. Ce qui suppose d’autres modes de transport que l’avion à réaction, les bateaux au mazout ou au fioul lourd, les véhicules à moteur diesel ou à quatre (ou deux) temps, d’autres moyens de chauffage, de cuisson des aliments…
La disparition des mollusques de l’Océan Arctique serait un bien mauvais présage et conduirait à terme à la disparition d’autres espèces (ours polaires, voire cétacés) étant donné la position importante que ces animaux marins occupent dans les chaînes trophiques de cet océan.
Bien entendu, le phénomène ne saurait être confiné à cet océan uniquement. Il menace en fait toutes les eaux marines de la planète qui ne représentent pas moins de 97,5% de l’hydrosphère, c’est-à-dire de l’ensemble des eaux de la terre. De plus, la fonte des glaces, cette fois de l’Océan Antarctique (dont la superficie équivaut à 28 fois le territoire français), ferait monter le niveau de la mer de 45 mètres : la moitié des humains verrait disparaître leurs terres.
Rappelons pour finir que dans le Golfe du Mexique (entre autres endroits) la pollution provoquée par les produits chimiques et les hydrocarbures des industries situées le long du cours du fleuve Mississipi a provoqué l’apparition d’une énorme « zone abiotique » d’où toute vie marine a disparu. Avec la dissolution du gaz carbonique, on passerait du local au global : c’est la mer entière qui deviendrait « abiotique », sans vie !
Or, disait la grande océanographe américaine Rachel Carson (auteure du très célèbre Silent Spring ou Le printemps silencieux, paru en 1962), « notre vie est intimement liée à celle des animaux. »
L’océan nous a probablement fait gagner du temps mais il ne saurait le faire éternellement face à notre production de gaz à effet de serre. Il faut espérer que les participants à la Conférence de Copenhague sur le climat le 15 décembre 2009 en tiendront compte.
SOURCE
– Sarah Everts, « Climate change : Earth’s saltwater cover may be near its limit as a home for marine life and a sink for CO2”, Chemical & Engineering News, 23 novembre 2009.