De l’iode radioactif partout dans les eaux des mers du Nord de l’Europe et au delà ?

, par  Larbi Bouguerra

Des chercheurs de l’Université d’Uppsala en Suède ont détecté de l’iode radioactif 129 I tant dans les eaux de surface que dans les précipitations dans le centre du pays. Les concentrations sont de 3 à 4 ordres de grandeur plus importants que les valeurs rapportées lors de l’ère pré-nucléaire. Les spécialistes, en 2001, pensaient que ces valeurs ne présentent pas de risque pour la santé humaine mais expriment une certaine inquiétude pour l’avenir si les unités de retraitement du combustible nucléaire persistent à se débarrasser de leurs déchets dans l’environnement. D’autres scientifiques doutent cependant que cet iode radioactif puisse jamais atteindre des concentrations dangereuses pour la santé humaine. Ils affirment que ce qui est plus important est le fait que si cet iode est produit en quantités importantes, des radionucléides bien plus dangereux tels le Krypton 85 (85 Kr) seront aussi produits en fortes quantités. Or ces radioéléments sont bien plus difficiles à détecter.

L’iode radioactif a une demi- de vie de 15,7 millions d’années alors que le krypton ne persiste qu’une dizaine d’années. Bien que demeurant dans l’environnement une très longue période, sa demi-vie le rend moins dangereux à en croire Jean E. Moran du Lawrence Livermore National Laboratory, le grand centre d’études nucléaires américain qui précise : « L’iode se fixe directement sur la thyroïde mais dans le corps, il ne se désintègre pas tellement. Il s’agit d’une désintégration ’bêta faible’, dans le jargon technique, qui n’atteindra vraisemblablement jamais un niveau dangereux. Il n’en demeure pas moins que l’iode radioactif a une longue durée de vie et il est relativement facile à mesurer aux niveaux actuellement décelés dans le milieu.

Contrairement à la plupart des autres radionucléides, l’iode radioactif produit lors des tests de bombes nucléaires entre 1945 et les années 1960, n’est pas retourné à ses concentrations pré-nucléaires dans les eaux des océans. Les niveaux de cet élément continuent plutôt à augmenter, au plan global, à cause des émissions des deux usines de retraitement européennes : Sellafield au Royaume Uni et La Hague en France. L’iode provenant de ces deux unités a même été détecté aux États-Unis alors que la Suède accuse des concentrations 1 à 2 fois plus élevées du fait de sa proximité de la France et de la Grande-Bretagne. Pour Ala Aldahan, l’auteur de cette publication, ces deux usines continuent à déverser de grandes quantités d’iode radioactif dans la Mer du Nord et dans la Manche, et une partie de ces rejets a atteint l’Océan Arctique. Pour cet auteur, la Scandinavie devient de plus en plus un champ d’épandage pour les déchets d’Europe centrale et d’ajouter : « Nous avons, entre la Suède et le Danemark, quelques unes des eaux les plus polluées de la Mer Baltique. Aldahan et son équipe étudient aussi la présence de l’iode dans tous les cours d’eau autour de la Mer Baltique et trouvent que les rivières de la Suède méridionale accusent des teneurs plus élevées en iode radioactif que celles du Nord. En fait, 90% de l’iode radioactif des unités de retraitement sont directement rejetés en mer, les 10% restants allant dans l’atmosphère - bien qu’on connaisse moins bien ces émissions dans l’atmosphère et les endroits où elles se déposent. A noter qu’il faut un peu plus qu’une semaine pour que la masse d’air contaminée se répande sur tout le globe.

Nombreux sont ceux qui pensent que la France et la Grande Bretagne sont devenues des poubelles de déchets nucléaires à cause de Sellafield et de la Hague qui traitent les déchets nucléaires des autres pays et ils s’en inquiètent. Les auteurs suédois trouvent que ces deux unités sont responsables de 90% des émissions d’iode radioactif et que les rejets ont augmenté depuis 1990. L’industrie, les essais des armes atomiques et les accidents nucléaires contribuent, eux-aussi, à ces rejets. Ils trouvent aussi que la neige contient moins d’iode radioactif que la pluie, en général. On notera enfin que, naturellement, l’iode radioactif n’a qu’une concentration fort faible. Les scientifiques utilisent cette présence du radioélément pour étudier les courants océaniques et les transports de masses d’eau dans l’Atlantique Nord, l’Océan Arctique et les mers qui communiquent avec ces océans.

Commentaire

Il paraît important, à l’heure où on parle de contamination radioactive suite au séisme japonais, au tsunami qui l’a accompagné et à l’accident de la centrale de Fukushima Daichi, et notamment suite à la contamination de l’eau de mer et de l’eau potable au Japon par l’iode radioactif, de regarder ce que la science disait de cet élément.

En laissant de côté pour le moment sa radioactivité, l’iode est un élément connu depuis 1811, année de sa découverte par le Français Courtois et classé alors parmi les éléments rares. Sa chimie est complexe. Certaines de ses solutions sont utilisées pour leurs propriétés antiseptiques et désinfectantes et, aux plans chimique, biochimique et biologique, il est couramment utilisé en analyse et pour la détermination des structures. Mais, les chimistes l’utilisent avec précaution car il irrite les yeux et le nez, provoque des maux de tête, brûle la peau et provoque des démangeaisons voire des allergies.

L’iode possède en fait un total de 13 isotopes radioactifs dont la demi-vie va de quelques heures ou quelques jours sauf – notable exception- l’isotope 129 dont la demi-vie est de 15,7 millions d’années et qui a une radioactivité bêta (émission de particules bêta).

Nous avons relu les travaux de l’équipe de l’Université d’Uppsala relatifs à ce dernier élément chimique. La première publication date de 2001. Plusieurs leçons peuvent être tirées : d’abord, ce radioélément n’existe dans la nature qu’à très faible dose, et ensuite, sa désintégration produit du krypton, difficile à détecter. On apprend aussi que sa concentration ne cesse d’augmenter dans l’eau et dans l’atmosphère. On apprend enfin qu’il ne provient aujourd’hui en grandes quantités que des deux seules unités de retraitement existant dans le monde. On relèvera que le 31 mars 2011, on a décelé de l’iode 131 (demi-vie 8,04 jours) dans l’eau de pluie en France et aux États Unis, dans l’État de Washington, on l’a mis en évidence dans le lait.

En conclusion, l’exposition à ce radioélément quasiment éternel (comparé à la durée de vie des humains) ne date donc pas de la catastrophe de Fukushimi Daichi. L’industrie, le retraitement nucléaire, les essais d’armes atomiques l’ont aussi déversé dans notre environnement, dans les océans, les mers et l’air. Sa présence est avérée dans la Manche, la Baltique, la Mer du Nord, l’Océan Arctique. L’iode radioactif ne va pas quitter l’eau de cette frêle planète de si tôt, hélas ! Fukushima est le terrible reflet d’une réalité plus large.

SOURCES
 Nadia Bureglio, Ala Aldahan et al., "129 I from the nuclear reprocessing facilities traced in precipitations and runoff in N. Europe", Environmental Science & Technology, 2001, 35 (8), p. 1579- 86.
 Xiaolin Hou, Ala Aldahan et al., "Speciation of 129 I and 127 I in seawater and implication for sources and transport pathways in the North Sea", Environmental Science and Technology, 2007, 41 (17), p. 5993-99
 Edvard Englund, Ala Aldahan et al., "Modeling Fallout of Anthropogenic 129l”, Environmental Science and Technology, 2008, 42 (24), p. 9225-30.

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