Des chercheurs de Hong Kong, de Chine continentale, du Japon et des États-Unis ont réuni leurs efforts pour analyser une vingtaine de composés perfluorés dans l’eau de robinet de 19 villes dans cinq pays entre 2006 et 2008. Les composés perfluorés sont des contaminants émergents de l’environnement, qui soulèvent des inquiétudes chez les spécialistes de santé publique.
Ces pays et ces villes sont les suivants : Chine (Taipeh, Hong Kong, Macao, Beijing, Shenzen, Nanjing, Wuhan, Shanghai, Shenyang), Japon (Osaka, Tokyo et Toyama), Inde (Patna, Goa, Chennai, Coimbatore), États-Unis (Albany, capitale de l’État de New York) et Canada (Niagara-on-the-Lake). Pour la plupart, ces villes sont de grands centres urbains qui connaissent un développement industriel et commercial rapide. Les échantillons proviennent directement des robinets, sans filtration ni aucun traitement préalablement à l’analyse. En fait, le travail a essentiellement porté sur l’eau de robinet de Chine. Les échantillons provenant des autres pays, étant en petit nombre, ont servi seulement comme ligne de base pour la comparaison.
L’état de la régulation
Depuis 1958, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié des valeurs recommandées pour les contaminants chimiques dans l’eau potable. Celles-ci sont disponibles pour plus de 80 produits chimiques se trouvant naturellement dans l’eau, comme le fluor, l’arsenic, le manganèse… ou provenant des activités industrielles et agricoles comme les pesticides organochlorés.
A l’époque, les composés perfluorés (CPF) n’existaient pas dans le commerce. Ces dernières années, ces substances ont toutefois été détectées dans l’eau de robinet dans plusieurs pays : en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Espagne, au Japon, en Malaisie, en Thaïlande et au Vietnam.
A l’heure actuelle, les CPF ne sont pas encore proposés pour un monitoring réglementaire par l’OMS. Cependant, l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis a publié un « Avis provisoire » proposant un « quotient de risque » pour les eaux contaminées par les CPF. De son côté, le Département de la Santé du Minnesota a défini un HBV à ne pas dépasser dans l’eau potable pour certains CPF (le HBV est la quantité d’un produit chimique considérée comme sans danger pour une personne qui boit quotidiennement cette eau sa vie durant).
Les composés perfluorés : de quoi s’agit-il ?
Les CPF sont fabriqués depuis les années 1960 et on les trouve dans une foule de produits industriels, ainsi que dans des articles destinés à la grande consommation. De par leur structure chimique, ce sont des composés particulièrement stables, et la plupart sont très résistants face à la dégradation thermique, chimique et biologique. De plus, ils ont des propriétés hydrofuges, anti-taches, et repoussent les graisses et les huiles ; ce qui fait qu’on les trouve dans les textiles, les papiers, les tapis… Ils sont aussi employés comme lubrifiants et comme tensioactifs dans les shampoings, les pesticides et les mousses pour éteindre les incendies. Leur fabrication, leur emploi et leurs résidus dans les tissus, papiers et les articles usagés font qu’ils ont une distribution importante dans les divers compartiments de l’environnement. C’est ainsi que l’analyse chimique par les moyens les plus performants les retrouve dans l’air, dans l’eau, dans les sédiments, dans la faune, ainsi que dans le sang et le lait maternel.
Les études toxicologiques des CPF montrent qu’au moins deux acides perfluorés - le perfluorooctane sulfonate (PFOS) et le perfluorooctonoate (PFOA) – induisent des effets négatifs chez les animaux de laboratoire. Les études récentes suggèrent que l’exposition de la population au PFOS se fait via les aliments, mais d’autres travaux mettent en cause l’eau de boisson spécialement pour le PFOA. L’eau de robinet peut être, par ingestion, une source importante de CPF. A l’heure actuelle, les recherches dans le domaine de l’eau se sont intéressées uniquement au PFOS et au PFOA, bien que d’autres CPF soient eux aussi présents dans l’eau.
Dans l’étude de l’équipe internationale présentée ici, une nouvelle méthode d’analyse a été testée pour mettre en évidence la contamination de l’eau de robinet par les différentes molécules de CPF (les experts parlent de CPF à longue ou à courte chaînes).
Les résultats de l’étude
S’agissant de la contamination par les CPF, les résultats obtenus pour les eaux analysées sont les suivants :
En Chine, la contamination la plus élevée se rencontre à Shanghai puis viennent, dans l’ordre décroissant de contamination, les villes de Wuhan, Nanjing, Shenzen, Macao, Hong Kong, Taipeh, Xiamen, Shenyang et Beijing. D’après les auteurs de l’étude, les différences sont à chercher du côté des diverses sources de contamination par les CPF, et ce travail donne le profil unique, la signature en somme, de la source de pollution des différentes localités étudiées. Ce profil se retrouve dans l’eau des fleuves et des rivières auxquels s’alimentent ces villes. C’est ainsi que l’eau du fleuve Yangzi (ancien Fleuve Bleu), qui donne son eau potable à Shanghai et à Nanjing, a un profil très proche de celui de l’eau de robinet de ces deux métropoles. Il est donc clair que les traitements de potabilisation n’arrivent pas à éliminer les CPF.
Quant aux eaux des villes des autres pays, elles renferment toutes des CPF mais à des concentrations inférieures à celles relevées pour Shanghai en Chine, la cité japonaise de Toyama présentant la plus faible concentration détectée dans ce travail. Il ne faut cependant pas perdre de vue que les échantillons non originaires de Chine sont en très petit nombre.
S’agissant du cas des villes chinoises, les auteurs soulignent que les plus fortes concentrations jamais rapportées par la littérature quant aux teneurs des eaux potables en CPF ont été découvertes en Allemagne (dans une région agricole de la Ruhr suite à l’emploi de boues des stations d’épuration) et des États-Unis dans le système d’adduction d’eau de Little Hocking (contamination probable par une usine de production de polymères fluorés).
Les auteurs concluent néanmoins qu’il n’y a pas de risques sanitaires immédiats – au regard des valeurs provisoires de l’EPA - pour les consommateurs de ces eaux où la présence de CPF est avérée. Cependant, s’agissant de l’eau potable de Shanghai et de Chennai (Inde), dans laquelle les teneurs de CPF sont élevées, ils demandent des mesures pour protéger la population des dangers de ces composés.
Commentaire
Ces composés se trouvent aujourd’hui autour de nous, partout dans notre environnement dans les formes et les présentations les plus multiformes : ustensiles de cuisine et autres, tissus d’ameublement, moquettes… et dans l’équipement d’un bon nombre de voitures.
Ces composés inquiètent les spécialistes vu les tonnages déversés dans l’environnement, leurs propriétés chimiques et les effets de leur mélange.
Le principe de précaution devrait prévaloir vis-à-vis de leurs usages.
Leurs effets sur la santé ne sont pas connus avec précision à l’heure actuelle, mais on les trouve d’ores et déjà dans le sang de nos contemporains et dans le lait maternel, le premier aliment du bébé. Ce qui rappelle la « mésaventure » de l’humanité avec les composés organochlorés, répandus dans la Nature au début des années 1940 pour lutter contre certains insectes nuisibles, et qui aujourd’hui contaminent tous les compartiments de l’environnement jusques et y compris notre sang et le lait maternel. Pour ne rien dire de leurs tragiques impacts sur l’avifaune. On sait aujourd’hui que ce sont des cancérigènes probables. Ils ont été interdits dans les pays riches depuis 1973.
Ce travail montre les inconvénients de la société de consommation et le lourd tribut qu’elle impose à la Nature. Il met en lumière, s’agissant de l’eau potable, le fait que l’hydrosphère demeure le réceptacle ultime de toutes les pollutions et qu’à ce titre, elle doit être particulièrement protégée pour le bénéfice de tous les humains, voire de tout le Vivant.
SOURCE
– Yim Ling Mak et al., “Perfluorinated compounds in tap water from China and several other countries”, Environmental Science & Technology (American Chemical Society), 2009, 43 (13), pp. 4824-4829 (sur le web : 29 mai 2009).