Dans le monde arabe, le manque d’eau et le changement climatique font sentir leurs effets sur la santé des populations. Extraits d’un article paru dans la revue médicale The Lacent.
Le monde arabe connait un déclin certain de ses ressources environnementales. Des menaces existent dans trois domaines clefs : l’expansion urbaine, l’eau, les terres et l’alimentation, des domaines inter-reliés par des dynamiques communes sous-jacentes. Les tendances indiquent que quelques villes et pays arabes (ou des parties substantielles de ceux-ci) sont en voie d’épuisement des ressources nécessaires pour la viabilité de l’être humain. Par exemple, la récente sécheresse prolongée en Syrie a occasionné des mouvements de populations et des bouleversements majeurs. Damas, Sanaa et Amman ont toutes établi sur place des régimes drastiques de rationnement de l’eau. L’infrastructure, la détérioration environnementale et les pénuries d’eau dans la bande de Gaza et les territoires palestiniens occupés les rendront inhabitables d’ici 2020. La productivité économique dans les agglomérations côtières, au Qatar et en Égypte, est extrêmement sensible aux élévations du niveau de la mer, dont l’effet serait la disparition de vastes étendues du Delta du Nil. Les villes d’Abu Dhabi, Dubaï et Mascate envisagent toutes la construction (si elle n’a pas déjà commencé) de réservoirs d’eau géants comme réponse aux pénuries ou aux guerres. L’Arabie saoudite investit dans la production alimentaire sur des terres africaines, alors qu’elle réduit son programme d’investissement dans l’agriculture locale qui date de plusieurs décennies. Apparemment, ce n’était pas viable. (...)
La rareté de l’eau et la « sécurité » alimentaire
La rareté de l’eau joue un rôle multiforme dans le monde arabe. C’est une caractéristique constante de cette région aride de la planète, une difficulté immédiate dans l’approvisionnement qui serait géré par la société et aussi un déterminant important de plusieurs maladies infectieuses comme la diarrhée, le choléra, la dysenterie et le typhoïde, ainsi que d’autres maladies non-infectieuses. Par exemple, on estime que la prévalence élevée de la méthémoglobinémie chez les enfants dans la Bande de Gaza est due aux niveaux élevés du nitrate dans l’eau potable. L’approvisionnement en eau par personne est le quart de ce qu’il était en 1960 et la demande totale est supérieure de l’ordre de 16% aux ressources renouvelables en eau douce. Une augmentation de la demande - conséquence de la croissance démographique et l’accroissement de l’aisance - combinée à une baisse d’approvisionnement due au changement climatique (particulièrement les changement dans la précipitation des pluies et l’intrusion de l’eau de mer dans les réserves en eau souterraines) et à l’usage excessif des eaux souterraines, poussera ce chiffre à 51% d’ici 2050 et mettra la majorité des pays arabe au-dessous du seuil de pauvreté absolue en eau (déterminé comme étant de 500 m3 par personne). La dépendance envers le dessalement s’est accélérée (79% de tout l’approvisionnement en eau au sein des pays du Conseil de Coopération du Golfe, CCG), causant des effets néfastes sur l’environnement - principalement les niveaux élevés de la consommation d’énergie aboutissant à de larges émissions des gaz à effet de serre et les effluents des eaux salées et de chlorite, entrainant des effets néfastes sur la santé humaine, sur l’eau souterraine, sur les dunes de sable et les écosystèmes des zones humides.
La rareté de l’eau, perçue comme une contrainte énorme sur les (ainsi que comme la conséquence de) voies de développement, le changement démographique et les politiques concernant les populations est très pertinente pour nos analyses. D’un point de vue stratégique autour de la demande en eau, une forte déconnexion existe entre les tendances démographiques et l’allocation des ressources en eau, donnant lieu à des pressions contradictoires sur les politiques et les orientations du développement. 57% des Arabes vivent en ville alors que 88% de l’eau douce disponible est utilisée pour l’agriculture de façon inefficace, ne contribuant qu’à 5,4% du produit intérieur brut (PIB). Historiquement parlant, le secteur agricole a été adopté comme une voie de développement au sein de certains pays arabes (ex. l’Égypte, l’Arabie saoudite et le Soudan) afin d’assurer la « sécurité » alimentaire, la régénération rurale et la réduction de l’urbanisation, des objectifs qui n’ont pas vraiment été atteints. Malgré tous ces investissements, la productivité des cultures, surtout les céréales, est parmi les plus faibles au monde et la part croissante des importations de céréales dans le régime alimentaire arabe génère une dangereuse dépendance sur les fluctuations internationales des prix. La tendance la plus récente de certain pays du CCG à investir dans des terres agricoles dans certaines régions en Afrique pourrait être problématique, car elle met plus de pressions sur les denrées alimentaires indispensables. Cela soulève des questions sur la compétition autour des aliments et des droits relatifs à l’eau entre l’investisseur et les populations locales, crée également des conditions qui peuvent aboutir à la famine dans les pays d’accueil et laisse l’approvisionnement alimentaire des investisseurs exposé à l’incertitude géopolitique.
La question qui se pose alors est de savoir comment assurer un approvisionnement adéquat en nourriture et en eau à court et à long termes, en dépit du déclin des réserves, des menaces du changement climatique, de l’amenuisement des terres arables, des demandes grandissantes de la population et de la pollution croissante. Une grande partie des publications sur l’eau dans le monde arabe appellent à des mesures environnementales majeures comme la coopération régionale qui protège les bassins hydrographiques, l’amélioration de l’efficacité de distribution, l’introduction de stratégies de tarification pour différents usages et la mise en œuvre d’incitations à la conservation, notamment dans les villes arabes du Golf persique comme Dubaï, la ville de Koweït, Doha et Manama où la demande par habitant est parmi les plus élevées au monde. Le potentiel pour l’amélioration de l’infrastructure est effectivement important, puisque les eaux de surface proviennent généralement de l’extérieure de la région en destination des centres urbains qui sont souvent localisés à l’extrémité en aval, avec des fuites atteignant les 50%.
Le changement climatique
Le changement climatique anthropique sape, encore plus, les bases écologiques et socio-économiques de la vie dans la région. Les changements dans le cycle hydrologique mèneront au déclin de l’approvisionnement en eau douce et à la diminution de la production agricole. La montée des niveaux de mer anticipée va inonder et éroder de vastes étendues d’agglomérations côtières, et les périodes prolongées de sécheresse causent déjà des pertes des terres agricoles et de pâturage ainsi que des moyens de subsistance ruraux. Ces effets (assignés de différents niveaux de confiance par le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat GIEC et considérés comme étant illustratifs plutôt que prédictifs) sont prévus d’avoir des répercussions importantes sur la « sécurité » hydrique et alimentaire, ainsi que sur la santé et la propagation des maladies. L’augmentation de la fréquence et de l’ampleur des événements météorologiques extrêmes comme les sécheresses, les inondations, les vagues de chaleurs, rend obsolètes les traditions et les arrangements de longue date qui ont évolué à travers l’expérience de la gestion des événements météorologiques, comme les infrastructures de drainage, les services d’urgence et les systèmes de partage d’eau.
Les récents épisodes prolongés de sécheresse en Algérie et en Syrie ne peuvent pas être fermement attribués au changement climatique duu aux émissions de gaz à effet de serre, mais ce sont des exemples d’événements climatiques catastrophiques qui ont dépassé et submergé la capacité des structures sociales et institutionnelles actuelles, conçues pour s’en occuper, causant de la souffrance, des blessures et des décès. Une étude au Yémen prévoit un déclin considérable dans le revenu des ménages non-dépendants de l’agriculture à cause des inondations, de la perte du rendement et la hausse globale des prix des denrées alimentaires. Les résultats d’une autre étude ont démontré que les limites de la tolérance physiologique au stress thermique pourraient mener à une perte de productivité au sein des pays à revenus faibles et intermédiaires, dans lesquels le travail manuel à l’extérieur, notamment dans le secteur agricole, est répandu. Dans le cadre d’un scénario de petites réductions des émissions globales des gaz à effet de serre dans les prochaines décennies, on prévoit plus de 15% de chance d’une augmentation de la température globale moyenne de plus de 4°C d’ici 2100. Cette augmentation pourrait avoir lieu plus tôt sous des politiques de non-réduction, provoquant encore plus d’effets dévastateurs. En accentuant les perspectives de pauvreté pour cette partie de la population, le changement climatique risque de réduire à néant d’importants acquis du développement humain et économique qui ont été réalisés lors des dernières décennies.
Les projections des effets du changement climatique doivent être interprétées dans un contexte marqué par des transformations démographiques et écologiques dans la région, par un changement global dans le commerce, par les relations internationales et par un déclin des États-providence. Le processus selon lequel des populations rurales se déplacent vers les villes, vivant dans des conditions de subsistance précaires et exerçant davantage de pression sur les écosystèmes urbains, est reflété et amplifié par deux pressions climatiques : d’une part, la sécheresse et la diminution de la pluviométrie qui compromettent les moyens de subsistance ruraux et d’autre part, l’élévation du niveau de la mer, les inondations et les vagues de chaleur qui menacent les citadin(e)s les plus faibles. Généralement, les nouveaux venu(e)s des zones rurales ou les réfugié(e)s comme les Palestiniens au Liban ou les Darfouriens au Caire, qui tentent de vivre sur des terres plus exposées au stress environnemental, sont les plus exposés. Par conséquent, le changement climatique aggrave essentiellement les faiblesses et les insuffisances existantes et déjà urgentes, qui sont étroitement liées à la pauvreté et aux inconvénients. Par ailleurs, l’adaptation aux effets du changement climatique (ex. la désertification, la montée du niveau de la mer, et la gestion de l’eau) ne réussira probablement pas sans une coopération régionale entre les nations arabes, ce qui est peu probable dans les conditions politiques actuelles.
Source : Cet article est un extrait d’un article publié dans la revue de médecine The Lancet : Abbas El-Zein, Samer Jabbour, Belgin Tekce, Huda Zurayk, Iman Nuwayhid, Marwan Khawaja, Tariq Tell, Yusuf Al Mooji, Jocelyn De-Jong, Nasser Yassin, Dennis Hogan, "Health and ecological sustainability in the Arab world : a matter of survival", Lancet 2014, 383 : 458-76.
Un extrait plus long est publié dans le numéro 12 de la revue de Ritimo Passerelle, « La prochaine révolution en Afrique du Nord : la lutte pour la justice climatique », dont nous reprenons la traduction.
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Photo : EvieMaeDavid CC @ flickr