Eau et climat, place aux alternatives (1) : Les trois grandes perturbations du cycle de l’eau

, par  Daniel Hofnung

Le processus issu de la conférence de Kyoto se préoccupe de l’effet des gaz à effet de serre sur le climat, et pose la légitime question de leur diminution dans l’atmosphère, donc la nécessité de rompre avec les énergies fossiles.Un autre processus est ignoré : celui de l’influence du cycle de l’eau, avec d’un côté sa perturbation qui dégrade le climat, de l’autre sa restauration pour le recouvrer. Il nous ouvre pourtant des perspectives d’action pour régénérer la planète.

Cet article a été publié initialement sur le site d’Attac France.

La communauté internationale, après le sommet de Rio de 1992 a pris en charge la lutte contre ce qui apparaissait comme un lent et inexorable processus de réchauffement climatique. La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques s’est mise en place, avec le protocole de Kyoto de 1997 et les Conférences des Parties (COP) annuelles. Le lien a été fait entre le réchauffement et l’augmentation des gaz à effet de serre. Sa confirmation par des données scientifiques a été faite sur des analyses de l’évolution du climat à travers des périodes longues : l’évolution de la composition de l’atmosphère et l’élévation des températures sont très lentes toutes deux.

La question du cycle de l’eau, de l’interaction entre l’eau et les sols ont ainsi été analysés essentiellement comme des conséquences du réchauffement climatique.

Le processus de réchauffement climatique lié à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est lent, il comporte des effets différés et cumulatifs. Le CO2 émis, par exemple, se stocke dans l’océan bien plus que dans l’atmosphère, ainsi que dans les sols, celui émis hier s’ajoute à celui émis aujourd’hui, et leurs effets s’additionnent. Il est d’emblée mondial, puisque l’air n’a pas de frontières. Il n’est réversible que sur le long terme, puisqu’il s’agit non seulement limiter ou arrêter les émissions, mais en plus ramener le taux de gaz à effet de serre à un niveau plus bas qu’actuellement.
Cette focalisation sur le rôle de l’atmosphère a fait négliger l’analyse du rôle de l’évolution d’autres milieux, où les actions se déroulent sur un temps plus court.

Un autre processus de réchauffement climatique, lié au cycle de l’eau, agit directement et rapidement : une forêt coupée, c’est immédiatement de la vapeur d’eau en moins. Des nappes asséchées, c’est immédiatement des sources qui ne coulent plus. Des sols imperméabilisés, c’est rapidement de l’air plus chaud l’été. Mais ici, si on corrige la cause, des effets à court terme se font sentir : les interventions portant sur le réchauffement climatique liés au cycle de l’eau ou à la biosphère donnent des résultats relativement rapides, qui se chiffrent en années ou au plus en décennie.

La crise climatique nous confronte à de plus en plus d’événements violents, des inondations catastrophiques tuent, alors qu’ailleurs dans le monde la sécheresse sévit et l’eau se raréfie. Ces extrêmes qui se succèdent nous masquent la tendance longue : l’assèchement des sols lié à l’activité humaine et à la modification des écosystèmes locaux. Car, derrière l’assèchement des sols, il n’y a pas que l’élévation des températures analysée par le GIEC, il y a aussi l’action directe de l’humanité, avec la déforestation, l’irrigation pour l’agriculture intensive, l’artificialisation des sols par l’urbanisation.

L’humanité, qui s’est rendue maîtresse de la nature, croit pouvoir en disposer sans que cela n’aie de conséquences. Mais la réalité est toute autre : l’humanité, par son action, est en train de détruire la planète.

Une première cause d’assèchement des sols est la déforestation

Pour vendre le bois exotique, la forêt tropicale est coupée. Les espaces libérés servent à nourrir le bétail, ou sont cultivés en soja ou en maïs, à moins qu’ils ne soient utilisés pour produire des agrocarburants. Ailleurs la forêt est détruite pour réaliser des infrastructures de transport, ou pour ouvrir des mines ou des champs de pétrole. Ailleurs encore, c’est la course à l’or qui détruit la forêt. Chaque année, 127 000 km2 de forêts sont détruites, surtout des forêts tropicales (Amazonie, Asie du sud-est, Afrique centrale).

Probablement une bonne partie de ceux qui coupent les forêts n’ont pas conscience de détruire la planète, et croient que cela n’a pas beaucoup de conséquences, que le sol servira aussi bien à un autre usage. Pourtant la forêt a un rôle irremplaçable. Quoi, mieux qu’elle, maintient l’humidité de l’atmosphère, par l’évapotranspiration des feuilles ? Quoi, mieux qu’elle, rafraîchit naturellement l’air, sachant qu’un grand arbre, c’est un appareil à air conditionné de 50 kw dont la source chaude est … dans les nuages ?

Et la forêt a de multiples autres bénéfices : elle évite le ravinement des sols, elle stocke le gaz carbonique qu’elle respire, tant dans les arbres eux-mêmes que dans le sol, où s’accumulent ses parties mortes. Ses racines, plongeant profondément dans le sol, y conduisent l’eau de pluie qui alimente les nappes phréatiques.

Les sols tropicaux sont peu profonds, les pluies y sont parfois violentes. Après quelques décennies, parfois moins, la prairie ou le champ qui avait remplacé la forêt laissera place à un espace raviné dont le fertilité aura disparu : la semi-désertification aura succédé à la forêt.

On estime qu’au cours de l’histoire, 50 millions de km2 de forêts (soit un tiers des terres émergées, plus que la surface de toute l’Asie) ont disparu au profit de l’agriculture, de l’élevage et de l’urbanisation.

Ce processus, débuté au néolithique, a modifié progressivement le climat de la planète.
Actuellement il s’accélère, tant au niveau de la déforestation que de l’urbanisation : des zones jusqu’ici préservées sont touchées, en particulier les forêts tropicales : Amazonie, Afrique centrale, Asie du sud-est, et il se produit en une trentaine d’années le processus qui s’est produit en plusieurs millénaires (depuis l’invention de l’agriculture) en Europe et au Moyen-Orient.

Les conséquences commencent à apparaître.

Au Brésil, avant de concerner l’Amazonie, la déforestation avait touché toute la forêt « pluviale » tropicale qui bordait l’océan Atlantique. Les régions prospères du Brésil, les grandes villes (São Paulo...) s’y sont installées. Mais le Brésil a continué de profiter d’un climat humide, grâce à l’énorme forêt amazonienne. Le bassin amazonien émet plus de 20.000 milliards de m3 de vapeur d’eau par jour qui forment des « fleuves aériens de vapeur » [1]. La cordillère des Andes les renvoie vers le sud et toute l’Amérique latine en bénéficie.

Mais aujourd’hui, la déforestation remet tout en cause : elle avait déjà touché 90 % de la forêt tropicale atlantique, elle représente maintenant 18 % de l’Amazonie, auxquels il faut ajouter 29 % de zones forestières dégradées.

Les premières conséquences apparaissent. São Paulo et sa région ont connu une sécheresse exceptionnelle ; au début 2015, les nombreux réservoirs se sont retrouvés à sec, et tout l’activité, les conditions de vie de la population, se sont trouvés affectés.

L’activité du Brésil s’était basée sur son régime de pluies abondantes, celui-ci étant apporté par la forêt. L’agro-industrie consommait 70 % de l’eau : si cette eau s’amenuise avec la disparition de la forêt, que deviendra le Brésil ? Les mesures annoncées (lutter contre la déforestation illégale, reforester certaines zones) ne font en effet que la limiter sans y mettre fin.

En Afrique, les conséquences de la déforestation sont les mêmes : le cycle de l’eau est perturbé. Au Kenya, dans la région des grands lacs, la forêt Mau a vu un quart de sa surface, soit 100.000 hectares être déforesté en une décennie. Trente ans de déforestation ont eu des conséquences dramatiques [2] : baisse des précipitations, diminution des écoulements causant un manque d’eau au niveau des lacs, des villes et des rivières. Cette zone alimentait 12 rivières et 6 grands lacs, dont le lac Victoria. Le nouveau barrage Sondu-Miriu, construit sur la rivière du même nom, n’a jamais pu produire les 60 MW escomptés, suite au manque de pluies ou aux inondations.

L’Institut Technique de Prague a fait une étude comparative sur la forêt Mau subsistante et sur les zones déforestées, avec des thermographies donnant la température de surface du sol ou des arbres. Les résultats sont clairs : une vingtaine de degrés dans les forêts d’acacias subsistantes, avec un sol frais et humide, mais de 60 à 70° sur le sol nu sans arbre, cuit par le soleil.

Pourtant, les scientifiques et les conférences climatiques n’envisagent le rôle de la forêt qu’en tant que capacité de stockage de carbone, abstraite, détachée de son support, qu’on pourrait échanger contre une autre diminution des gaz à effet de serre. C’est ne pas prendre en compte la transformation du climat local qu’entraîne la perte de la forêt, la baisse de la pluviométrie liée à la perte de quantités gigantesques de vapeur d’eau que produisait la forêt. C’est ne pas prendre en compte l’élévation directe de la température du sol liée à la disparition de la forêt, et à la perte du rafraîchissement qu’apportent naturellement les arbres.

Une deuxième cause d’assèchement des sols est l’agriculture intensive irriguée et non-irriguée.

Depuis 4 ans la Californie est victime d’une terrible sécheresse. 80 % de l’eau consommée y est destinée à l’agriculture intensive, la production agricole et de fruits et légumes de Californie alimente largement les États-Unis ou est exportée. L’irrigation est subventionnée, sans soucis pour le renouvellement de la ressource, à tel point que dans la vallée centrale de Californie le niveau du sol s’affaisse de 30 cm par an du fait des puisages et que les agriculteurs les plus aisés forent de plus en plus profond, car le niveau des nappes phréatiques descend régulièrement. Les quatre dernières années, la sécheresse a fait des ravages et causé de nombreux incendies de forêt.

Le sur-pompage dans les nappes existe aussi dans les sud de l’Espagne, avec moins de conséquences pour le moment, et au Moyen-Orient. Au Maghreb, il concerne des nappes fossiles, qui se sont constituées il y a des centaines de milliers d’années à une époque où le climat y était plus clément. Entre 1960 et 2000, le prélèvement dans les nappes phréatiques a augmenté de 50 %, comme si celles-ci étaient à notre disposition sans conséquences et comme si l’humanité pouvait en disposer à sa guise.

C’est en fait toute l’agriculture productiviste qui pose problème : l’usage des pesticides tue la vie biologique des sols et les lombrics qui l’aèrent. La couche supérieure d’un sol naturel comporte 50 % d’air. A l’opposé, la surface d’un sol tué par l’agriculture productiviste forme une croûte, dure, qui laisse peu passer l’eau et la fait ruisseler à sa surface : le ruissellement est un des problèmes de l’agriculture actuelle, qu’elle résout de diverses manières (couvert végétal permanent, plantation de haies, fascines, culture sans labour, bandes enherbées entre les cultures...) sans que soit apportée la seule vraie réponse : l’abandon des pesticides et la restauration des sols naturels, avec l’agriculture paysanne non-productiviste qui envisage la pleine prise en compte du cycle de l’eau (ceci suivant plusieurs méthodes : agriculture biologique, agriculture durable, permaculture, agroforesterie...).

Un troisième processus conduit à l’assèchement des sols : l’urbanisation
Chaque année, 55.000 km2 sont gagnés par les villes et imperméabilisés. L’eau perdue par les sols du fait de la croissance urbaine pourrait représenter 760 milliards de m3 par an (soit 2,1 mm de hausse du niveau de la mer).

Notre pays n’est pas à l’abri d’un assèchement des sols. Différents scénarios de réchauffement climatique ont été étudiés par le BRGM [3]. Leur conclusion est claire : dans les divers scénarios, on va vers un assèchement des sols. Le scénario moyen pour 2070 donne une seule zone (autour de l’embouchure du Rhône) où la recharge des nappes serait meilleure qu’actuellement,et quelques petites zones où un petit gain serait constaté. Partout ailleurs, la situation se dégraderait, en particulier sur des bassins de l’Hérault et l’Aude, où le déficit par rapport à la situation actuelle pourrait atteindre 50 %.

Notre mode de développement, avec la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation avec ses surfaces imperméables d’asphalte ou de béton, entraîne une perturbation du cycle de l’eau et agit directement sur notre climat.

Un sol drainé (sol imperméable des villes, la plupart des champs) transforme la majorité du rayonnement solaire en chaleur sensible.

En ville, c’est ce qui amène les « îlots de chaleur urbains », zones où la température est de quelques degrés plus élevée que dans la campagne (environ 4° l’été pour une grande ville, voire plus pour une mégapole).

Par contre une forêt, et dans une moindre mesure une toiture végétalisée, ou une prairie humide va transformer ce rayonnement solaire en partie, voire pour une forêt en grosse partie en rafraîchissement par le biais de l’évapo-transpiration des feuilles.

C’est cette action des arbres qui est utilisée en ville dans les « îlots de fraîcheur » pour contrer l’îlot de chaleur urbain par des zones arborées. Les toitures végétalisées peuvent aussi y contribuer, de même que les plantes grimpantes en façade, qui, combinées avec une aspersion de fines gouttelettes d’eau dans les gaines de ventilation constituent une alternative efficace et très économique à l’air conditionné [4].

Daniel Hofnung

Lire la suite de cet article : Rendre l’eau à la terre.

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Photo : Dirk van der Made CC

[1« São Paulo, Mégapole à sec » Anne Vigna « le Monde diplomatique » 4/2015

[2Harper, D., Pokorný, J., Hesslerová, P., Pacini, N., Morrison, Ed-. Infrared images document “how vegetation regulates the temperature and the water cycle in a tropical catchment”. SIL XXXII Congress, 4 – 9 August 2013, Budapest, Hungary

[3BRGM dossiers de presse 16 04 2015

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