Le processus issu de la conférence de Kyoto se préoccupe de l’effet des gaz à effet de serre sur le climat, et pose la légitime question de leur diminution dans l’atmosphère, donc la nécessité de rompre avec les énergies fossiles.Un autre processus est ignoré : celui de l’influence du cycle de l’eau, avec d’un côté sa perturbation qui dégrade le climat, de l’autre sa restauration pour le recouvrer. Il nous ouvre pourtant des perspectives d’action pour régénérer la planète. Deuxième partie.
Lire la première partie de cet article : Les trois grandes perturbations du cycle de l’eau
Dans son ouvrage plein d’enseignements précieux Tout peut changer, Naomi Klein évoque une perspective pour nos sociétés : mettre fin à l’ère des énergies fossiles et régénérer la planète [1]. Cette régénération est exactement ce qui permet l’action pour restaurer le cycle de l’eau, à une échelle de temps relativement brève, allant de quelques années à dix ou vingt ans. L’assèchement est réversible : on peut rendre l’eau à la terre
La forêt
La belle nouvelle « l’homme qui plantait des arbres » de Jean Giono, éditée dans plus de vingt langues, nous montre, au début du XX° siècle, une Haute-Provence dévastée par le disparition des forêts : étendues désolées, ravinées et battues par le vent, sources taries, présence humaine réduite à quelques communautés misérables. Le reboisement, décrit d’une manière imagée, mais qui s’est déroulé réellement, sous la conduite des Eaux et Forêts, a ramené de la fraîcheur l’été, les sources ont coulé à nouveau, l’agriculture a été possible et s’est développée, la vie est revenue.
Ce conte métaphorique de Giono recouvre une réalité universelle : la renaissance des forêts, en particulier quand elle s’est faite en respectant la diversité végétale, amène de profonds changements : la désertification recule, l’eau revient, la vie redevient possible. Ceci est confirmé tant par le mouvement « ceinture verte » au Kenya que par l’exemple de l’Instituto Terra au Brésil, dans la vallée du rio Doce, qui, en plantant 1 million 700.000 arbres a, en douze ans, fait couler à nouveau des sources, et modifié radicalement la vie des habitants en restaurant le cycle de l’eau : un éleveur, par exemple, témoigne du doublement de sa production de lait par vache, l’herbe étant revenue avec la forêt.
Restaurer la forêt, c’est faire renaître une forêt où les équilibres écologiques sont respectés, en particulier avec sa diversité végétale, garante du développement en son sein d’une vie pérenne. Ceci est évidemment à l’opposé des plantations d’arbres d’espèces uniques, à croissance rapide (eucalyptus, pins...) où on fera des coupes à blanc, laissant le sol nu et propice au ravinement pendant les longues années de repousse qui suivront. Cela ne veut pas dire que la forêt ne doit pas être utilisée par l’homme. Mais pendant des millénaires il avait su le faire sans nuire à la forêt. Si des coupes doivent être faites, c’est d’arbres sélectionnés, en quantité limitée, de manière à préserver le système vivant qu’est la forêt. Et l’agro-foresterie est un exemple de la combinaison entre agriculture et forêt, qui est bénéfique aux deux. Retrouver les symbioses du vivant, faire partout renaître la nature dans sa diversité et son exubérance est un horizon qui s’ouvre à nous avec la fin des énergies fossiles.
Dans un lointain passé, deux tiers des terres émergées étaient couvertes de forêts. Aujourd’hui des millions de km2 sont devenus désertiques, arides, ravinés, où portent des sols morts, dont la vie a été extirpée par notre civilisation productiviste.
De nombreux exemples montrent qu’en un temps assez bref, dépassant peu la dizaines d’années le retour de la forêt peut à la fois faire revenir le milieu naturel dans son ensemble (avec des sols restaurés, un régime hydrologique restitué et régularisé) et modifier le microclimat : les cas de la reforestation en France fin XIXe siècle, début XXe, la renaissance en 12 ans de la forêt au Brésil sur le rio Doce ou le mouvement de la ceinture verte au Kenya [2] ne sont que quelques exemples prouvant qu’une réussite est possible, et qu’elle modifie grandement le paysage, le climat local et surtout la vie des habitants.
Notre perspective, c’est pour demain une belle planète, régénérée, où la vie foisonnera de partout, adaptée aux divers milieux naturels. Cela est possible en restaurant le cycle de l’eau, l’arbre étant le pivot essentiel de cette réussite.
La campagne
Pendant des décennies l’agriculture productiviste a fait partout dans le monde des dégâts considérables : les milieux naturels ont été saccagés, les équilibres écologiques détruits, le cycle de l’eau gravement atteint, et surtout les sols ont été progressivement vidés de leur vie organique, rendant les terres stériles. Elles nécessitent alors toujours plus d’intrants chimiques pour produire... ce qui les détruit toujours plus.
Que ce soit le remembrement et la destruction des haies en France ou en Europe, les kolkhozes ou des fermes coopératives géantes d’Europe de l’Est à l’époque socialiste, la révolution verte dans les pays du « tiers-monde » de l’époque, un seul modèle a prédominé : les engrais chimiques, les pesticides, les fongicides, les semences hybrides puis les OGM le tout accompagné d’une irrigation ne se souciant pas de la reconstitution des nappes.
Ils ont été perçus (et vendus) comme pouvant nous délivrer des aléas de la nature, comme des outils pour la dominer et nous soumettre ses mécanismes. Le résultat de cette prétention orgueilleuse de l’humanité est tragique : sols « morts », sols encroûtés où l’eau ruisselle au lieu d’alimenter les nappes, terres asséchées : des petits pas vers la désertification – la planète Mars serait-elle notre modèle ? L’autre version de cette réalité d’un cycle de l’eau bouleversé est les inondations catastrophiques qui deviennent de plus en plus fréquentes, pas seulement à cause du réchauffement climatique, mais aussi à cause du ruissellement favorisé, de l’imperméabilisation des sols par l’urbanisation.
L’alternative c’est de rompre enfin avec le productivisme, sortir d’une agriculture où ceux qui la gèrent ont pour objectif le revenu financier bien plus que de nourrir la population.
Le retour à une agriculture en symbiose avec le milieu naturel, qui ne cherche plus à dominer la Nature mais à coopérer avec elle, qui respecte ses équilibres et ses cycles – dont avant tout le cycle de l’eau – est désormais à l’ordre du jour : l’agriculture paysanne, utilisant un minimum ou pas d’intrants chimiques préserve le milieu naturel tout en utilisant ses fonctionnalités, elle améliore la fertilité des sols, y séquestre durablement du carbone dans l’humus et elle veille à préserver la ressource en eau.
Les exemples de transformation radicale du milieu naturel par la restauration du cycle de l’eau en lien avec une agriculture respectueuse de l’environnement sont nombreux : au Rajasthan, le district d’Alwar, naguère semi-désertique, est aujourd’hui fertile et prospère, des rivières qui ne coulaient plus depuis quarante ans coulent à nouveau.
L’agriculture désormais préserve et améliore les sols à nouveau, avec le développement de l’agriculture biologique : le levier de cette métamorphose n’a été que redonner l’eau de pluie à la terre, l’y faire s’infiltrer naturellement, en creusant à nouveau les « johads », petites réserves d’eau ou creux dans le sol.
En région semi-désertique, en Afrique, des exemples prouvant qu’il est possible de redonner l’eau à la terre, et après quelques années d’obtenir l’arrivée de végétation sur un sol nu à l’origine et de pouvoir le cultiver existent comme au Burkina-Faso, avec le zaï pour infiltrer l’eau ou avec des cordons de terre [3] pour la retenir et éviter le ruissellement.
En climat tempéré, même sur une zone aride, les résultats peuvent être spectaculaires. Au Portugal, l’éco-village de Tamera, dans un environnement asséché, contraste par sa verdure avec les alentours : lacs et espaces multiples de rétention d’eau favorisent l’infiltration de la pluie dans le sol, cultivé suivant les méthodes de la permaculture.
Partout, le constat est le même : quand l’eau a été rendue à la terre, la végétation revient, l’humidité aussi – en rapport évidemment avec le zone climatique – et la nature est restaurée, parfois plus belle qu’elle ne l’était bien auparavant, avant les nuisances dues à notre civilisation.
Les villes
Les villes sont impactées de deux manières par le changement climatique : la chaleur étouffante l’été, et les destructions liées aux inondations catastrophiques.
Dans les deux cas, la croissance urbaine et l’imperméabilisation des sols sont en cause. La croissance urbaine augmente l’effet d’îlot de chaleur urbaine (lié au rayonnement solaire sur les surfaces imperméables : béton, toitures, asphalte) et à la faible évaporation liée aux faibles surfaces de terre naturelle et au peu d’arbres donc au manque de rafraîchissement apporté par la végétation. Les sols imperméabilisés accroissent le ruissellement en cas d’orage ou de forte pluie. Au delà d’une certaine quantité, les réseaux sont saturés et débordent. Les rivières, souvent canalisées et enserrées dans des digues, ne peuvent s’épandre (en ville ou en amont) et débordent : le phénomène est récurrent, il s’est produit encore fin août 2015 à Montpellier, puis avec de nombreuses victimes, et début octobre dans les Alpes Maritimes.
Comme partout, la solution est de « rendre l’eau à la Terre », en la faisant s’infiltrer là où elle tombe, en dés-imperméabilisant les sols, en libérant les rivières, en ville ou sur leur parcours. Ainsi on peut limiter le ruissellement (en évitant les coûteux ouvrages de stockage des eaux d’orage) et alimenter les nappes phréatiques, au lieu de rejeter l’eau dans les réseaux d’assainissement puis finalement à la mer. L’augmentation du niveau de la mer liée à la croissance urbaine (évaluée à 2,1 mm par an) n’est pas à négliger... or les experts du climat ne la comptabilisent pas : il faut dire que cela remettrait en cause notre développement actuel.
Les exemple ici sont multiples, et les bonnes politiques commencent, par endroits à être appliquées. De plus en plus de villes prescrivent l’infiltration des eaux de pluie dans leur plan local d’urbanisme, au moins partiellement. Des zones construites sont réalisées avec 100 % d’infiltration des eaux de pluie. Des voiries de même. Ou les villes poussent à recourir aux toitures végétalisées, et exigent des plantations en pleine terre.
Depuis une vingtaine d’années le cours du Rhône a été renaturé, une nouvelle gestion des rivières se fait jour, avec des méandres, des bras morts ou des zones humides restaurés, un parking de plusieurs niveaux en bord de Rhône à Lyon a été détruit pour reconstituer des berges naturelles. Ailleurs, ce sont des rivières jadis recouvertes qui sont restaurées, avec des berges naturelles et arborées.
La prévention des inondations peut aussi prendre d’autres formes, l’expérience du programme mené en Slovaquie en 2010-11 prouve l’efficacité de milliers de petits ouvrages de retenue, réalisés avec des matériaux locaux et à faible coût, dans des talwegs d’écoulement intermittent d’eau d’orage ou sur des cours de ruisseau. Avec 70 petits barrages sur 2 km de talweg, sur une zone inondée en 2010 lors des crues sur le bassin du Danube, tout problème a été évité lors des inondations de 2013. La photo montre l’état lors de la réalisation ; aujourd’hui, le même lieu, que j’ai pu visiter en septembre dernier est totalement encombré de végétation et d’orties, l’infiltration des pluies ayant rendu ce vallon humide.
Ces réalisations, avec d’autres, seront visibles dans le film de Valérie Valette « Les fleurs du futur, Dobra Voda » consacré à la restauration du cycle de l’eau et au climat, qui doit sortir fin novembre 2015.
Mais au delà de ces solutions prometteuses, le problème principal reste : partout les villes prévoient d’imperméabiliser des surfaces nouvelles, avec de nouveaux projets de zones commerciales, d’activités ou d’habitations, souvent en détruisant des terrains agricoles ; les projets de la métropole du Grand Paris sont particulièrement significatifs à ce sujet, comme l’est le projet d’aéroport de Notre Dames des Landes, avec un maître-mot : la sacro-sainte compétitivité.
Au niveau global
Le GIEC s’est saisi de l’enjeu du changement climatique global, lié à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il ne parvient pas à nous engager vers un monde d’où disparaissent les énergies fossiles, c’est pourtant la voie de l’avenir.
Par contre il ignore le changement climatique lié au cycle de l’eau, celui qui s’effectue à l’échelle locale et est tout autant que le changement global, lié à l’action destructrice de notre civilisation. La restauration du cycle de l’eau pourtant, peut changer la face de notre planète.
En partant du local, la mise en place d’un « plan d’action global pour la restauration des cycles naturels de l’eau et du climat » est à l’ordre du jour. Il a fait l’objet d’une proposition élaborée par l’hydrologue slovaque Michal Kravčík et la journaliste et éditrice de "The Green Valley Journal" (USA) Jan Lambert.
Il doit être pris en charge par les instances internationales, comme le fait le GIEC pour le changement climatique global.
Nous avons ici une nouvelle tâche : travailler ensemble à la constitution d’un nouveau collectif international d’experts scientifiques, de citoyens et de représentants politiques pour rendre l’eau à la terre à l’échelle de la planète, et par là, nous donner les moyens de régénérer celle-ci.
C’est toute l’eau dont les sols ont été privés par le ruissellement et qui a été extraite des nappes par le puisage excessif qu’il s’agit de redonner à la terre, si nous voulons restaurer celle-ci. Ceci pourrait représenter 760 milliards de m3 d’eau de pluie par an.
Cette tâche en apparence gigantesque n’est l’est pas en réalité, puisqu’elle peut et doit reposer sur la réalisation de centaines de millions de petites rétentions, stockages, lieux d’infiltration et être accomplie partout dans le monde : pas de grands ouvrages ni de gros investissements, mais du travail partout pour des millions de personnes sans-emploi [4].
Le résultat en sera des sols à nouveaux humides, une végétation vivifiée, des terres reconquises sur le désert, des forêts replantées au lieu d’être supprimées, un climat apaisé.
Une nouvelle étape pourra ensuite s’ouvrir pour l’humanité : comment sera-t-elle appelée ?
L’après-anthropocène, ou une deuxième phase de celui-ci, à l’opposé de la première, si destructrice ? Car elle marquera une nouvelle union entre l’activité humaine et celle de la nature, celle d’une Terre-Mère restaurée avec ses sols vivants, son eau et son atmosphère sains à nouveau : pour le millénaire qui s’ouvre, un nouveau paradigme pour une humanité qui ne domine plus la Nature mais s’allie à elle, et qui ne soit plus prédatrice des énergies fossiles enfouies dans son sol.
Daniel Hofnung
Cet article a été publié initialement sur le site d’Attac France.
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