Plusieurs facteurs concourent à faire des villes et de leurs habitants de grandes consommatrices d’eau : les modes de vie autant que la nature des infrastructures et du bâti. Économiser l’eau dans les villes implique donc un répertoire d’actions et de mesures qui vont bien au-delà de la responsabilisation des usagers individuels : il s’agit presque de repenser la ville dans son entier.
Si, dans les pays du Sud, les zones rurales, à travers l’agriculture irriguée, consomment la plus grande partie des ressources en eau, ce rapport s’inverse lorsque l’on s’attache non plus aux utilisations économiques de l’eau, mais aux usages domestiques. Le mode de vie urbain est, de manière générale, nettement plus consommateur d’eau que le mode de vie rural, car il est lié à des habitudes et des pratiques extrêmement dépensières en eau : il n’y a qu’à penser aux bains, machines à laver, toilettes à chasse d’eau, etc. En moyenne, au niveau mondial, un résident urbain utilise de 2 à 5 fois plus d’eau qu’un résident rural. La tendance générale à l’urbanisation et la croissance des villes qui s’ensuit entraînent donc une augmentation plus rapide encore de la demande d’eau, qui s’accentue davantage dans les cas où cette urbanisation s’accompagne d’un enrichissement de certains secteurs de la population. La demande des grandes villes entraîne donc, tout autant que celle de l’agriculture, des extractions massives d’eau, voire des projets de transferts sur de grandes distances. Il suffit d’évoquer les métropoles du Sud-ouest des États-Unis : Las Vegas, Phoenix, San Diego ou Los Angeles.
Ne serait-ce que parce qu’elles sont souvent directement confrontées, en tant que responsables de l’approvisionnement en eau, aux problèmes liés à l’augmentation de la demande, de nombreuses villes ont toutefois pris en main cette question et commencé à promouvoir les économies d’eau et la chasse aux gaspillages. Aux États-Unis même, certaines autorités municipales ont réussi à découpler croissance de la population et demande en eau (+ 35 % et + 7 % respectivement à Los Angeles depuis 1970) ou à promouvoir une réduction globale de la demande (- 34 % pour la demande per capita à New York depuis le début des années 80, et - 27 % pour la demande globale). Les principaux moyens d’action dont disposent les municipalités pour atteindre ces résultats sont les campagnes d’information et de sensibilisation, ainsi que les arguments financiers (économiser l’eau permet de réduire les factures), parfois associés à des hausses du prix de l’eau. En France, la ville de Lorient est réputée pour ses actions dans ce domaine (voir le texte La ville de Lorient réalise des actions exemplaires dans le domaine de l’économie d’eau ). Ce sont toutefois les villes allemandes qui font figure de pionnières au niveau européen grâce à leurs programmes de soutien à la récupération des eaux de pluie (voir le texte Économiser l’eau potable : les villes allemandes en pointe).
Au-delà de la question de la réduction des consommations au niveau individuel, certaines villes et certains urbanistes et architectes intègrent maintenant la question de l’eau dès la phase de conception de nouveaux quartiers et de nouveaux équipements collectifs.
L’eau dans les régulations urbanistiques
Dans certains cas, cette préoccupation est un reflet de la force des choses. Ainsi, une loi a été édictée en 2001 par l’État de Californie requérant que toute nouvelle opération de développement urbain ne soit autorisée que si ses opérateurs peuvent prouver qu’ils disposent d’un approvisionnement en eau assuré pour 20 ans. Cela a eu pour effet de doter les agences de l’eau d’une forme de pouvoir de veto sur les nouveaux aménagements. Avec la succession d’années de sécheresse au début des années 2000, les autorités locales se montrèrent de moins en moins disposées à garantir formellement un approvisionnement en eau aux promoteurs immobiliers. En conséquence, les délais, les demandes de modification des projets, voire les refus purs et simples, se sont multipliés. Les développeurs se trouvèrent obligés soit de modifier leurs projets pour les rendre moins gourmands en eau, soit de réduire leurs ambitions, soit de s’assurer des sources d’eau alternatives au réseau public, forcément plus coûteuses.
Un phénomène similaire a été constaté dans les régions du Sud-est de l’Angleterre qui ont constitué le territoire de prédilection du dernier boom immobilier et où les ressources en eau sont limitées : comme la loi obligeait les autorités locales à assurer l’approvisionnement en eau de tout nouvel habitant, celles-ci ont commencé à freiner les nouveaux projets pour ne pas avoir à assumer des responsabilités dont elles ne voulaient pas. Dans les Flandres, où le problème des inondations s’ajoute à celui de l’approvisionnement, chaque nouveau projet de construction fait l’objet d’une procédure de vérification de ses conséquences hydrologiques. Cette vérification est particulièrement approfondie s’il s’agit d’une zone exposée aux inondations, importante pour l’infiltration des eaux de pluie, ou située à proximité d’une zone de captage. Sur cette base, les autorités peuvent ensuite exiger des mesures spécifiques, par exemple l’utilisation de matériaux perméables pour les sols.
La conservation de l’eau dans les équipements collectifs
Une autre manière d’intégrer la question de l’eau dans la planification urbaine est d’appliquer les principes de récupération et de recyclage de l’eau de pluie non plus seulement au niveau des bâtiments et maisons individuels, mais au niveau des grands équipements collectifs ou des ensembles urbains. Là aussi, l’Allemagne se démarque par le nombre d’initiatives qu’elle a mises en œuvre. Les aéroports de Francfort et de Hambourg récupèrent ainsi l’eau de pluie au niveau de leurs toitures et la réutilisent dans les toilettes et pour la sécurité incendie. Ces procédés sont également appliqués pour des campus universitaires.
L’Allemagne a également été novatrice en matière de perméabilisation des sols urbains pour favoriser une infiltration des eaux de pluie sur place, ce qui a de nombreux avantages : éviter de saturer le réseau d’assainissement et plus généralement réduire la quantité d’eau à traiter ; prévenir les inondations ; recharger les aquifères souterrains. Souvent, comme à Nuremberg ou à Hanovre, une partie de ces eaux est stockée dans des bassins souterrains pour des usages collectifs, ou renvoyée vers des bassins d’agrément en surface.
La vaste opération urbaine de reconstruction de la Postdamer Platz à Berlin constitue l’un des meilleurs exemples de mise en œuvre de ces principes de gestion des eaux de pluie. Les toitures y ont été végétalisées, ce qui permet de retenir une partie de l’eau, de ralentir son écoulement, mais aussi de limiter l’impact de la chaleur en ville. L’eau venant des toits de différents édifices (comme le Centre Sony) est récupérée dans de vastes cuves et est ensuite réutilisée dans les toilettes, pour l’arrosage des parties collectives et pour la réserve incendie. En cas de pluies trop abondantes, l’eau est envoyée vers les bassins extérieurs qui occupent une partie de la place.
Les toits végétalisés font également des progrès aux États-Unis, où des villes comme New York ont mis en place des programmes incitatifs. Une usine de Ford reconstruite en 2003 a vu son toit végétalisé, de même que la nouvelle Académie des sciences construite à San Francisco par Renzo Piano.
De nombreuses villes ou collectivités territoriales tout autour de la planète commencent à obliger les développeurs à intégrer des structures de récolte des eaux de pluie et/ou de réutilisation des « eaux grises » dans leurs nouveaux projets. D’autres plus nombreuses encore l’envisagent. C’est le cas aussi bien à Mumbai, Bangalore et autres villes indiennes [1] qu’en Californie.
Quelques expériences existent également en France. La ville de Saint-Denis récupère les eaux de pluie sur le toit de la halle du marché, la stocke en sous-sol, puis la réutilise pour nettoyer la place une fois que le marché est fini. La municipalité des Mureaux a mis en place une démarche similaire lors de la rénovation du bâtiment de la mairie. Des villes comme Bordeaux, Lyon ou Douai ont mis en œuvre des techniques alternatives d’infiltration et de ruissellement des eaux de pluie. À noter également un mur végétalisé (nettement plus rare que les toits végétalisés, mais apportant les mêmes bénéfices, notamment en matière de climatisation des bâtiments) sur le pont-route Max-Juvénal à Aix-en-Provence.