Évaluation de la pollution du lac Taihu en Chine au moyen de bio- marqueurs

, par  Larbi Bouguerra

Le lac Taihu (ou Tai) est le troisième plus grand lac d’eau douce de Chine. Il a un périmètre de 400 km et compte une cinquantaine d’îles. Les villes de Shanghai, Wuxi (avec sa grande zone touristique) et Suzhou en dépendent pour leur eau potable. Mais le lac fournit aussi son précieux liquide à l’agriculture et à l’industrie.

Malheureusement, une forte démographie ainsi que les activités agricoles et industrielles près de ses bords ont dégradé la qualité de son eau. Cette détérioration est accentuée par des explosions d’algues toxiques et nauséabondes de plus en plus fréquentes. L’extension rapide de la pollution de l’eau du lac et l’accélération de l’eutrophisation dans le bassin versant du lac Taihu au cours des dernières années constituent les obstacles principaux au développement durable de la région.

En vue de réduire drastiquement l’apparition des algues et d’améliorer la qualité de l’eau, il a été proposé - et réalisé - dès 2002, de transférer vers le lac de l’eau provenant du fleuve Yangtzé, avec lequel il communique du reste naturellement via la rivière Taipu ; d’autant que le fleuve lui-même est indemne d’algues. Ce transfert s’est soldé par des effets positifs en abaissant la concentration de phytoplancton d’une part, ainsi que celle de l’azote d’autre part, dans certaines sous-zones du lac. Cependant, les niveaux de polluants organiques persistants et les métaux lourds n’ont pas baissé.

Pour étudier ces polluants et leur impact sur les organismes vivants, les chercheurs de l’Université Hochai à Nanjing ont fait appel à des bio-marqueurs comme mesures de substitution de l’impact biologique des contaminants présents dans le milieu pollué sur les êtres vivants du lac. On utilise en fait des carpes (Carassius auratus) ou des moules élevées dans des eaux propres, que l’on transfère, encagées (cages en colonne de polyéthylène non toxique), en différents points du lac Taihu. Le suivi de certains enzymes de transformation dans le foie de ces sentinelles permet de tirer des conclusions sur la nature du polluant et le domaine de sa concentration, et donc sur les effets de la contamination chimique. On peut ainsi détecter les réponses au stress environnemental. On parle alors de « Réponse Intégré du Bio-marqueur » (IBR).

L’approche bio-marqueur multiple combinée à l’analyse chimique classique permet une meilleure évaluation des risques environnementaux. On a ainsi de meilleurs résultats quant à l’état de santé de l’écosystème étudié. En fait, les organismes déjà présents dans le milieu pollué ne rendent pas bien compte de la situation, car ils se sont souvent adaptés aux conditions de leur environnement. Par cette méthode, on a pu étudier, dans le lac, l’effet de la diversion des eaux provenant du fleuve sur la présence, la prévalence et la variation spatiale des polluants organiques persistants et des métaux lourds.

Commentaire

Les bio-marqueurs – bien que connus depuis un certain temps - n’ont acquis que tardivement droit de cité dans le suivi de routine de la pollution. Les carpes (Carassius auratus) sont en effet une espèce très sensible pour ce type d’investigation. L’analyse physico-chimique, bien que devenue très puissante (on peut détecter dans l’eau d’une piscine olympique une concentration de sucrose ou saccharose (sucre de canne ou de betterave) de l’ordre de 5 grammes, soit un morceau de sucre raffiné cristallisé), ne rend pas compte des variations spatiales et temporelles de la concentration d’un polluant. Elle fournit une mesure valable uniquement pour un point précis de l’espace à un instant t. L’utilisation des carpes ou des moules donnent une image bien plus réaliste de la situation et, surtout, montre l’effet du stress chimique sur un être vivant. Elle permet aussi, par le sacrifice d’un seul sujet, d’avoir des informations concernant de nombreux agents polluants : PCB, composés organochlorés (COC), hydrocarbures polyaromatiques (PAH), métaux lourds... Dans le cas de ce travail, alors que les paramètres obtenus par analyse physico-chimique montraient des différences insignifiantes pour les différentes stations étudiées du lac au plan spatial, les profils pour les polluants organiques et les métaux différaient de manière remarquable.

Cette étude prouve que la pollution de l’eau en Chine est importante et multiforme. L’industrialisation à bride abattue et la recherche du rendement en agriculture ont introduit dans l’environnement – et dans l’hydrosphère en particulier - des produits dangereux voire toxiques, que les scientifiques essaient de caractériser et de mesurer. De plus, on ne compte plus les accidents qui ont gravement atteint l’alimentation en eau des populations. C’est ainsi qu’un camion transportant 20 tonnes de phénol a répandu sa cargaison le 4 juin 2011 dans la rivière Xin’an, condamnant ainsi l’eau potable du million et demi d’habitants des faubourgs de la ville de Hangzhou (capitale de la province de Zhejiang) et provoquant un rush vers les rayons d’eau minérale des supermarchés dans cette cité de neuf millions d’âmes. Deux jours plus tard, la concentration de phénol était encore de 900 fois la limite permise dans l’eau de la rivière. Ce produit est utilisé dans la fabrication de nombreux plastiques (polymères) et comme désinfectant.
Le dernier rapport annuel de gouvernement chinois sur « l’état de l’environnement » note que « la pollution des eaux de surface à travers le pays est encore relativement grave… 59,9% des rivières sont de grade 3 ou mieux ; 23,7% des cours d’eau sont de grade 4 ou 5 et on ne peut attribuer de grade à 16,4% d’entre eux. S’agissant de 26 lacs et retenues, 42,3% sont affectés par l’eutrophisation. » Le quotidien londonien The Guardian interprète ainsi ces données : « L’eau de 40% des cours d’eau peut vous rendre malade et 1/6 de ces mêmes rivières a une eau si contaminée qu’elle n’est d’aucune utilité et ne convient à aucun usage. Sur dix lacs, quatre ont pris une couleur verte et sont envahis par les algues. » C’est dire si la situation est grave. Un quart des eaux côtières est extrêmement contaminé. Le rapport du gouvernement affirme : « Les eaux côtières marines sont affectées par une légère pollution. 62,7% ont atteint les grades 1 ou 2. 14,1% ont atteint le grade 3 et 23,2% ne peuvent être classées. L’état de la baie de Jiaozhou s’est amélioré de 25% depuis 2009 alors que celui de la baie de Bohai, ainsi que les estuaires du Yangtzé et de la rivière des Perles, se sont détériorés de 20%... Les eaux côtières de la mer de Bohai sont de mauvaise qualité et celle de la mer de Chine Orientale sont de très mauvaise qualité. »
On voit ainsi que les chercheurs de l’Université de Hohai ont du pain sur la planche, avec ou sans bio-marqueurs, d’autant que les eaux du fleuve Yangtzé destinées au sauvetage du lac Taihu sont elles-mêmes dans un piètre état !

SOURCES
 Chao Wang et al, « Assessment of environmental pollution of Taihu lake by combining active biomonitoring and integrated biomarker response », Environmental Science and Technology, 17 mars 2011.
 “China Chemical Spill Taints City’s Water Supply”, The Guardian, 7 juin 2011
 “A Report Card for China’s Environment”, The Guardian, 3 juin 2011.

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