Cette annonce, qui intervenait quinze ans jour pour jour après le début de la privatisation, fait suite à une vigoureuse campagne populaire animée par la coalition KMMSAJ (Koalisi Masyarakat Menolak Swastanisasi Air Jakarta, « Coalition populaire pour résister à la privatisation de l’eau à Jakarta ») qui regroupe des écologistes, des militants anti-corruption, des défenseurs des pauvres et de syndicalistes.
Le gouverneur se propose de racheter les parts de Suez dans sa filiale Palyja, en charge du service de l’eau de la partie Ouest de Jakarta [1]. Les militants anti-privatisation ont indiqué leur préférence pour une annulation unilatérale du contrat, dont ils ont calculé qu’elle coûterait moins cher à Jakarta, même en cas d’indemnisation. Ils ont initié plusieurs procédures judiciaires pour faire invalider le contrat de privatisation, qui contrevient aux dispositions de la constitution indonésienne sur les services fondamentaux.
Quinze ans de malheur pour les habitants de Jakarta
La gestion de Suez à Jakarta est à l’image de ce qui s’est passé dans nombre d’autres villes de la planète – Manille, Buenos Aires, La Paz ou Atlanta entre autres – où la multinationale s’était implantée dans l’euphorie privatisatrice des années 1990 et qu’elle a dû quitter par la petite porte quelques années plus tard. Conclu dans les derniers mois de la dictature de Suharto dans des conditions particulièrement opaques (le document est encore tenu secret à ce jour !), le contrat de privatisation garantit à Palyja des profits assurés, aux frais des autorités publiques.
Après quinze ans, malgré les promesses initiales, une grande partie des habitants de Jakarta n’ont toujours pas accès au réseau d’eau potable [2], l’eau n’y coule parfois que quelques heures par jour, sa qualité est parfois plus que douteuse, et le niveau de fuites et de pertes sur le réseau encore élevé. Et pourtant, le prix de l’eau à Jakarta est le plus élevé d’Indonésie et l’un des plus élevés d’Asie…
Les autorités de Jakarta essaient depuis plusieurs années d’obtenir une renégociation des termes du contrat, mais la firme française rechignait visiblement à laisser filer plusieurs millions de profits garantis chaque année. Elle se préparait d’ailleurs à céder ses parts dans Palyja – sans modification du contrat – pour une somme rondelette à Manila Water. Lors de son annonce, le gouverneur de Jakarta a indiqué que si Suez refusait son offre de reprise (dont le montant n’a pas été rendu public), il avait fait préparer un « plan B », dont il s’est refusé à révéler la teneur.