Une mobilisation citoyenne en faveur de la représentation des usagers dans la gestion de l’eau peut être illustrée par l’expérience de l’association Eau secours !
En juillet 1994, les grenoblois apprenaient par la presse dans quelles conditions les services publics de distribution et d’assainissement de l’eau avaient été privatisés en 1989. Scandalisés, une cinquantaine de citoyens décidèrent de créer l’association "Eau Secours" en se fixant pour objectif la défense du service public de l’eau.
Cette initiative pose de manière exemplaire les problèmes de démocratie et de solidarité dans la ville, elle soulève un certain nombre de questions relatives à la prise de décision dans la commune et au contrôle que peuvent exercer les citoyens sur les services publics.
« Défendre les usagers » : objectifs, mobilisations et actions d’Eau Secours
« Démontrer, démonter et dénoncer les pratiques obscures dans la gestion des services publics d’eau et d’assainissement à Grenoble ». Telle se définissait la mission d’Eau Secours. Les usagers de l’eau grenoblois ont pu disposer, grâce au dossier monté par le collectif, de toutes les preuves de la stratégie mise en oeuvre par les groupes privés pour contrôler le marché de l’eau à Grenoble :
– effets inflationnistes des prix de base
– recettes supplémentaires procurées par l’augmentation programmée des tarifs
– application rétroactive des tarifs [1]
– transfert des produits de l’exploitation, à partir de 1996, vers le service d’un remboursement de 45 M.F à la Lyonnaise des Eaux.
– indexation supplémentaire pour compenser la diminution de la consommation.
D’une part, les membres de l’association ont fourni un important travail de décryptage des pratiques tarifaires de la COGESE afin de dénoncer la méthode et d’entamer des poursuites judiciaires. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Grenoble a condamné la méthode de facturation rétroactive en 1999 et a obligé la COGESE à rembourser les usagers. D’autre part, ils ont interpellé les élus sur leur responsabilité en matière de gestion. Malgré l’affermage, la fixation des tarifs des services publics revient au Conseil municipal et au maire et non pas à la SEG (Société des Eaux de Grenoble).
Le Conseil d’État a annulé la délibération du Conseil Municipal de 1989 obligeant les autorités municipales à régulariser la situation. C’est un retour en régie qui a été décidé, marquant la victoire du collectif et des usagers.
Enjeux
L’enjeu est d’articuler le droit et la lutte, d’établir un rapport de force permettant d’obtenir reconnaissance et jurisprudences, de réequilibrer l’arbitrage entre autorités publiques et usagers. Il s’agit, pour les citoyens, de reprendre contrôle sur les orientations politiques qui les concernent. Le mérite de l’association Eau Secours est d’avoir su opposer le prix du service au prix virtuel imposé par la logique économique ; cette victoire a permis de creuser une faille dans le processus de libérisation des services publics. Cette bataille a pu inspirer et redonner du souffle à toutes celles qui sont menées en Bolivie, au Québec, en Argentine...
La vigilance des citoyens peut être payante.
Quelques dates
1989 : Cessation de la régie directe du traitement de l’eau en gestion déléguée à la COGESE (100% Lyonnaise des Eaux).
Juillet 1994 : Mise en place de l’association "Eau Secours".
1994 : Opération "facture eau" menée par Eau Secours pour dénoncer la méthode de facturation rétroactive.
Septembre 1996 : Mise en place d’un comité d’usagers.
Mai 1996 : La SEG remplace la COGESE.
1997 : Pression de Eau Secours pour que l’eau revienne en régie. Opération "facture eau", création d’un bulletin d’information et distribution de tracts.
1999 : Condamnation de la facturation rétroactive opérée par la SEG et remboursement des usagers.
2000 : Retour en régie.
SOURCE
– Entretien avec l’association Eau Secours !
Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)
Après avoir atteint ses objectifs initiaux à Grenoble, l’association Eau Secours ! a étendu ses actions au niveau régional, sur un périmètre qui correspond à l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée. L’association s’est notament a tivement opposée à un projet de doublement de la conduite d’eau du Grésivaudan. Eau Secours ! participe à la Coordination nationale des Associations de Consommateurs d’Eau (CACE). La « remunicipalisation » du service de l’eau à Grenoble a inspiré de nombreuses autres villes et activistes en France (lire France : de la gestion privée à la remunicipalisation de l’eau ?). Voir aussi : http://eausecours.free.fr et http://www.cace.fr.
A noter que la Coalition québecoise pour une gestion responsable de l’eau porte le même nom que l’association grenobloise, cf. http://www.eausecours.org.