Pour économiser l’eau utilisée dans l’agriculture, une solution est souvent de tirer parti de la biodiversité en recourant à des semences et des variétés plus adaptées, qui existaient traditionnellement mais qui ont parfois été oubliées dans l’élan de la modernisation. Les promesses des multinationales semencières quant à la création de nouvelles variétés génétiquement modifiées pour résister aux sécheresses apparaissent en revanche plus que problématiques.
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Le type de cultures et les variétés privilégiées dans les différentes zones agricoles apparaissent comme des facteurs clés qui déterminent les besoins en eau des paysans : telle plante cultivée à tel endroit aura besoin d’une quantité définie d’eau à différents moments de son cycle de croissance – et, le cas échéant, si le niveau des précipitations est insuffisant, pourra avoir besoin d’un apport d’eau supplémentaire et donc d’une irrigation. Le choix des plantes et des variétés cultivées constitue donc potentiellement un levier puissant pour diminuer l’utilisation de l’eau dans l’agriculture. Pour chaque plante cultivée, il existe, ou il a existé, des variétés plus ou moins gourmandes en eau, ou plus ou moins résistantes à la sécheresse. Traditionnellement, les paysans choisissaient des semences adaptées au climat local et aux possibilités d’irrigation. La « Révolution verte » a parfois inversé cette logique : les semences les plus performantes ont été privilégiées, ce qui a imposé des apports d’eau supplémentaires. Souvent, la richesse et la variété initiales des semences disponible a été perdue ou réduite au fil du temps, sous prétexte de modernisation ou d’adoption de variétés plus « productives » mais plus consommatrices d’eau.
Face à la menace d’une réduction de l’eau disponible pour l’agriculture, une solution serait donc de retrouver les semences d’hier plus robustes : avant la colonisation, le Tchad avait une cinquantaine de variétés d’orge et de blé ; l’une résistait bien à la sécheresse, l’autre aux criquets, et une troisième supportait bien le vent chaud du « khamsin » venant du Soudan. Les anciens se réunissaient chaque année pour décider, en fonction des circonstances, laquelle serait utilisée pour la récolte à venir. Les variétés commerciales et industrielles ont eu raison de ce capital séculaire. De même, en Tunisie, il existait plusieurs dizaines de variétés de melons. Un blé tunisien résistant aux champignons fait actuellement la fortune de la céréaliculture australienne… En ressuscitant toutes ces variétés, et en identifiant celles qui sont les plus adaptées à chaque contexte, on ferait des économies d’une eau rare et précieuse.
Un autre facteur important dans le choix des types de cultures et des variétés est en effet leur adaptation à chaque lieu. L’Espagne irrigue l’olivier en Andalousie alors qu’il est traditionnellement cultivé en sec au Maghreb, et fait par ailleurs pression auprès de l’Union européenne pour limiter l’entrée des produits agricoles d’Afrique du Nord qui lui font concurrence. De même, la culture de l’orange aux États-Unis requiert d’énormes quantités d’eau, bien davantage que pour cette même culture au Brésil, par exemple.
Complémentarité des cultures : le modèle de l’oasis nord-africain
Une autre manière de tirer parti de la biodiversité pour économiser l’eau est de marier des cultures et des variétés dont il est possible d’exploiter la complémentarité. Le modèle des oasis d’Afrique du Nord illustre parfaitement la manière dont il est possible de mettre à profit de manière optimale la moindre goutte d’eau. Dans les description de La France coloniale (1886), on peut lire au sujet de la région des oasis du Sud de la Tunisie qu’elle est constituée d’un « sol sablonneux, mais, partout où l’on peut l’arroser, d’une fertilité surprenante. Les palmiers surtout y prospèrent, mais avec eux et en dessous d’eux tout un monde de végétaux moindres. La voûte gigantesque que forment les éventails des palmes de dattiers couvre une forêt de pistachiers, de grenadiers, d’orangers et de citronniers qui protège elle-même un fourré d’arbrisseaux, dont les fruits mûrissent encore sous ce double abri. » Dix-huit siècles, plus tôt, l’auteur latin Pline le jeune décrivait le même système : « Là, sous un palmier très élevé croît un olivier. Sous l’olivier, un figuier. Sous le figuier, un grenadier. Sous le grenadier, la vigne. Sous la vigne, on sème le blé, puis les légumes, puis les herbes potagères. Tous dans la même année, tous s’élevant à l’ombre les uns des autres. »
Les espèces animales élevées ont également leur importance. Dans les oasis, les caprins sont particulièrement appréciés, et ce pour une raison simple : une chèvre n’a besoin de boire que deux fois par semaine et fournit en revanche du lait, un peu de fumure pour les cultures vivrières, de la viande pour les fêtes et sa peau sert à la confection d’outres d’eau particulièrement solides et rafraîchissantes. Le chameau joue un rôle primordial dans l’alimentation en eau : il fait tourner la noria pour d’abord monter l’eau du puits, puis l’envoyer dans les canaux d’irrigation. En outre, la tradition veut aussi que lorsque la caravane se perd dans les ergs du Sahara et ne parvient pas à rejoindre le plan d’eau, le sacrifice du chameau sauve la vie des hommes en leur rendant un ultime service : étancher leur soif grâce à l’eau qu’il emmagasine dans son estomac, puisqu’il peut se passer de boire pendant quatre à six semaines.
L’amélioration génétique et la résistance à la sécheresse
À ce modèle de la diversité génétique naturelle s’oppose celui mis en avant par les partisans des biotechnologies. Les multinationales semencières utilisent désormais volontiers l’argument de la rareté de l’eau pour promouvoir les organismes génétiquement modifiés et prétendre faire la démonstration leur utilité sociale. Tout comme elles promettaient déjà, grâce aux biotechnologies, de résoudre le problème de la faim dans le monde, elles annoncent désormais le développement futur de variétés agricoles économes en eau ou résistantes aux pressions du climat (inondations, salinisation).
Selon en rapport publié en mai 2008 par les chercheurs indépendants d’ETC Group (Action Group on Erosion, Technology and Concentration), basés à Ottawa (Canada), les grandes firmes semencières telles que Monsanto, Bayer, BASF et Syngenta ont ainsi déposé pas moins de 532 brevets sur des séquences génétiques favorisant l’adaptation au changement climatique, c’est-à-dire essentiellement visant à développer des variétés résistantes à la sécheresse. Ces multinationales visent donc avant tout à s’approprier des positions commerciales qui se révéleront particulièrement profitables dans l’hypothèse d’une multiplication des pénuries d’eau, tout en perpétuant un modèle agricole industriel plaçant les paysans sous dépendance des semenciers.
Loin d’apporter une solution miracle aux futures crises de l’eau, les développements biotechnologiques tels qu’ils sont promus par ces multinationales risquent donc de perpétuer la même logique qui a déjà conduit à l’appauvrissement de la biodiversité et à la disparition virtuelle de variétés plus économes en eau. D’autre part, le développement de nouvelles variétés génétiquement modifiées économes en eau comporte les mêmes risques que pour tous les autres OGM : les gènes introduits pourraient commander d’autres caractéristiques de la plante que la seule capacité à résister au manque d’eau. De plus, là aussi, il faut prendre en compte les interactions complexes de la plante avec son environnement. Introduire un gène de résistance à certains insectes ou à certains produits chimiques insecticides est en soi une opération relativement simple, dont les conséquences potentielles (sur la plante, sur le milieu, sur le consommateur) sont pourtant marquées par une grande incertitude, quoiqu’en disent les promoteurs des biotechnologies. Que dire alors d’une modification génétique visant à modifier la quantité et la qualité de l’eau dont a besoin une plante, ce qui implique une modification autrement plus profonde de son métabolisme ? Contrairement à ce que présupposent les modèles utilisés par les ingénieurs généticiens, la croissance d’une plante n’est pas réductible à une problématique purement quantitative de volume d’eau nécessaire. L’eau apportée est plus ou moins cruciale selon l’étape du développement de chaque plante ; d’autre part, chaque « sécheresse » est différente en termes de calendrier, de conditions environnementales et sociales, etc., de sorte que chaque modification génétique apportée pourra être positive dans un scénario de sécheresse, mais négative dans un autre scénario. Le déterminisme génétique simpliste sur lequel reposent les promesses de l’industrie des biotechnologies semble là encore particulièrement inadapté. En regard toutes ces incertitudes, il faut rappeler que la recherche agronomique traditionnelle est parfaitement capable de développer des variétés plus résistantes, sur la base d’une recherche davantage liée aux conditions du terrain.
NOTE DE MISE À JOUR (juillet 2015)
Pour quelques éléments complémentaires sur l’évolution de la situation et notamment les OGM résistants à la sécheresse, lire sur ce site L’agriculture face au dérèglement climatique et à la rareté de l’eau : le risque d’une fuite en avant technologique.
SOURCES
– Larbi Bouguerra, Les batailles de l’eau : pour un bien commun de l’humanité, Enjeux Planète, 2003 (source partiellement reprise).
– « Les grands semenciers brevètent les gènes d’adaptation au changement climatique », Hervé Kempf, Le Monde, 10 juin 2008.
– « Drought Resistance is the Goal, but Methods Differ », New York Times, 23 octobre 2008. http://www.nytimes.com/2008/10/23/b...
– Rapport INRA de 2008 sur l’adaptation de l’agriculture à la sécheresse. http://www.inra.fr/l_institut/exper...
– « GM crops and the Gene Giants : Bad news for farmers », Kathy Jo Wetter et Hope Shand (ETC Group), 15 April 2009. http://www.scidev.net/en/opinions/g...