La campagne d’« assainissement total » au Bangladesh

, par  Olivier Petitjean

Grâce à une approche innovante faisant la part belle à l’engagement des communautés concernées, une nouvelle campagne d’amélioration de l’accès à l’assainissement, lancée au Bangladesh depuis la fin des années 90, parvient à assurer des résultats durables là où les projets précédents avaient échoué.

La campagne d’« assainissement total » (ou, pour reprendre l’intitulé complet utilisé par son promoteur, l’assainissement total piloté par la communauté, community-led total sanitation ou CLTS) au Bangladesh est un exemple de démarche initiée à la base, par une ONG locale, peu à peu reprise par les autorités gouvernementales et les bailleurs de fonds internationaux, et étendue à d’autres pays.

Cette approche a été développée par Kamal Kar, un consultant basé à Kolkata (Calcutta), qui a commencé à la mettre en œuvre en 1999 avec l’aide de l’ONG internationale WaterAid et d’une organisation bangladeshi, VERC (Village Education Resources Centre). Cette approche est issue d’un constat d’échec : 30 années de solidarité internationale et de présence d’ONG dans le milieu rural n’avaient pas amené de résultats probants en matière d’extension de l’assainissement dans les zones rurales du Bangladesh. Même si le taux de couverture augmentait en apparence, la pratique de la défécation en plein air ne faiblissait pas pour autant, entraînant son lot de maladies et, en dernière instance, de décès. La notion d’assainissement total met l’accent avant tout sur la participation communautaire, comprise en un sens très vaste : il s’agit d’aider les villageois à identifier la défécation en plein air comme un problème et un comportement nuisible, et ce faisant de créer une « demande » pour des équipements d’assainissement adaptés.

Les fondements de la démarche : éducation et participation

Le point de départ de l’approche promue par Kamal Kar est d’agir sur les représentations culturelles et les comportements admis en s’engageant aux côtés des communautés pour les aider à comprendre les problèmes liés à la défécation en plein air. On propose ainsi aux villageois de quantifier la quantité d’excréments déposés dans le village ; on visite les zones les plus souillées ; on dresse une carte du village avec les chemins empruntés par les familles jusqu’aux lieux de défécation ; on retrace les voies de transmission des maladies depuis les excréments jusqu’aux aliments ingurgités par les villageois. Les communautés sont ainsi amenées à ouvrir les yeux sur leurs pratiques et à prendre conscience de leurs conséquences sanitaires. Cela a pour effet de mobiliser une partie des résidents, qui s’organisent en « groupes d’action sanitaire » pour sensibiliser leurs voisins et construire leurs propres équipements avec l’aide d’acteurs extérieurs. Il s’agit clairement d’encourager une forme de « pression sociale » sur les récalcitrants, qui conduise à un changement progressif des habitudes et des mentalités.

Ce processus fait naître une demande sociale jusqu’alors inexistante. L’approche de l’assainissement total, telle qu’elle a été conçue initialement, n’impliquait pas de proposer une solution technique particulière ni même éventail de solutions. Il s’agissait simplement d’inciter les familles à concevoir la solution la plus adaptée en fonction de leurs moyens, mais aussi d’identifier et encourager ceux des habitants qui se révélaient les plus inventifs dans ce domaine, pour qu’ils proposent ensuite leurs services à leurs voisins. Des échanges d’expérience ont ainsi été organisés au niveau national ou régional. L’expérience prouve en effet que les villageois sont capables de concevoir des solutions à des coûts très faibles en utilisant des matériaux locaux.

Généralisation

L’approche d’assainissement total a maintenant été reprise par de nombreuses grosses ONG locales ou occidentales opérant au Bangladesh. Cette extension s’est accompagnée de changements de pratiques et de méthodes qui semblent parfois aller à l’encontre de l’esprit initial de la démarche, mais qui l’ont sans doute rendue plus viable à grande échelle. Le développement d’un secteur de petites entreprises dédiées à la conception et à la construction de latrines à faible coût a ainsi été encouragé. Ces petites entreprises locales ont profité de la demande qui s’était faite jour un peu partout, et se comptent aujourd’hui par milliers. En conséquence, le prix des latrines n’a cessé de baisser. D’autre part, des structures spécifiques de microcrédit ont été créées pour permettre aux ménages de s’équiper.

Le gouvernement bangladeshi n’a pas été en reste, puisqu’il a lancé un programme ambitieux visant à parvenir à une couverture totale du pays en assainissement à l’horizon 2010. Ce programme repose sur les principes de l’assainissement total, c’est-à-dire qu’il accorde la priorité à la création de la demande à travers la sensibilisation, et met en place une série d’actions d’appui, de formation et de facilitation des partenariats entre communautés et petits entrepreneurs locaux. 600 ONG, avec l’UNICEF et les autorités locales, vantent aujourd’hui les vertus de l’assainissement dans les villages bangladeshi.

Cet effort des autorités se traduit par des résultats concrets, puisque le Bangladesh a maintenant dépassé son voisin indien en termes de taux d’accès à l’assainissement, alors même que les deux pays se situaient à un niveau identique il y a dix ans et que l’Inde a connu entre-temps une forte croissance économique. Cependant, certains problèmes se posent encore. Si le progrès de l’assainissement a été réel dans les zones rurales, il n’en a pas été de même dans les bidonvilles. Même en milieu rural, les autorités bangladeshi s’inquiètent de ce que les ménages les plus pauvres ne soient pas à même de financer des latrines même à bas prix, et ont mis en place un programme pour subventionner leur demande.

Maintenant largement reconnue comme une approche particulièrement efficace, l’assainissement total communautaire a été repris par de nombreuses ONG locales et internationales, voire par des gouvernements, dans d’autres pays, principalement en Asie et en Afrique.

SOURCES
 Page de l’Institute of Development Studies (UK) sur l’assainissement total : http://www.livelihoods.org/hot_topi...
 Rapport PNUD 2006 sur le développement humain et l’eau. http://hdr.undp.org/fr/rapports/mon...

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