La dégradation des cours d’eau et des zones humides du point de vue des pêcheurs artisanaux du Brésil

La pollution des eaux et les grands projets de barrages ou d’irrigation en amont ont des conséquences en aval sur les populations qui vivent dans les deltas ou les zones côtières et qui, dans bien des cas, dépendent de la pêche et donc de la bonne qualité des écosystèmes pour leur subsistance.

Au Brésil, les pêcheurs traditionnels sont aujourd’hui confrontés aux problèmes engendrés, entre autres, par la construction de grands barrages et autres projets de développement, la pollution de l’eau causée par les activités minières, l’invasion des lacs et des rivières par des bateaux de pêche industriels, et enfin par la création de parcs nationaux et de réserves.

Ils sont aussi menacés par des projets d’irrigation massive, tel que celui qui est programmé sur la plaine inondable du fleuve São Francisco à Marituba. Il s’agit d’une « várzea » (zone inondable proche de l’embouchure du fleuve) sur la plaine côtière de l’Alagoas et du Sergipe, dans le Nordeste du Brésil, une zone d’environ 200 kilomètres carrés.

Deux villages sont situés dans cette zone inondable – Marituba de Cima et Marituba do Peixe – dont les 1200 habitants vivent principalement de la pêche artisanale, de l’agriculture ou de l’artisanat. Une recherche de terrain entreprise sur place par l’Université fédérale de l’Alagoas a identifié plus de 48 espèces de poissons qui sont capturées, consommées et vendues par les pêcheurs locaux.

Ces pêcheurs ont une connaissance approfondie des différents habitats de la zone inondable et pêchent dans plus de 40 d’entre eux. Ils utilisent plus de 18 techniques différentes de pêche et de gestion des pêcheries, dont la mise en œuvre d’une période de repos au cours de laquelle aucune opération de pêche n’est entreprise dans les lacs.

Au cours des dernières décennies, la plaine inondable et ses habitants ont été affectés par plusieurs changements importants. La première vague de changements est intervenue dans les années 60, lorsque furent construits deux grands barrages hydroélectriques (Paulo Afonso et Sobradinho), plusieurs centaines de kilomètres en amont. Ces barrages régulaient le débit de la rivière, avec pour conséquence une réduction du nombre de poissons qui pénétraient dans les várzeas.

Une seconde vague de changements fut causée par l’expansion, soutenue par le gouvernement, des exploitations de canne à sucre durant les années 70. Ces plantations de canne à sucre encerclent maintenant les lacs de la várzea et l’usage intensif d’engrais et d’herbicides a négativement affecté les stocks de poissons.

La dernière, et aussi la plus importante des menaces qui pèsent sur la várzea émane de la CODEVASF, une agence gouvernementale de développement agricole qui projette de la transformer dans son intégralité en une immense rizière. Cette organisation a d’ores et déjà converti plusieurs marais du fleuve São Francisco en zones de riziculture. Ces projets ont entraîné une transformation complète des marais et du régime hydrologique de la várzea.

Le blocage des cours d’eau dans le cadre du projet Betume, par exemple, a entraîné la fin des migrations de poissons. En conséquence, les stocks ont diminué, affectant les moyens de subsistance des pêcheurs locaux.

Les impacts sociaux ont également été graves, puisque des gens se sont trouvés obligés d’abandonner leur terre et de déménager vers les marges de la zone du projet. Peu de monde a bénéficié d’un lot pour cultiver le riz dans la zone, si ce n’est les plus influents politiquement.

En ce qui concerne le marais de Marituba, l’Évaluation d’Impact Environnemental (EIE) commissionnée par la CODEVASF en 1985 a affirmé que le rendement des lots de riziculture irriguée serait plus élevé que celui des méthodes culturales traditionnelles, et que le revenu tiré de la culture du riz serait supérieur à celui issu de la pêche ou de l’artisanat. Toujours selon l’EIE, le projet devait entraîner la création d’un grand nombre d’emplois. Les auteurs du rapport prétendaient également que la zone n’abritait aucune espèce en danger, et concluaient que globalement le projet aurait un impact positif.

En 1988, l’Université de São Paulo, en coopération avec l’Université fédérale de l’Alagoas, initia un projet de recherche participatif et interdisciplinaire. Cette recherche démontra que la conservation de la zone inondable et sa valeur pour la subsistance des habitants était supérieure aux bénéfices attendus de sa transformation. Une autre conclusion était que tout le système hydrologique de la várzea serait négativement affecté, et que la pêche traditionnelle était promise dans ces conditions à la disparition, de même que les importantes espèces menacées identifiées durant la recherche.

Une alliance d’ONG environnementales, de scientifiques et de résidents de Marituba fut donc établie en février 1991, à l’occasion de l’audition publique organisée pour présenter l’EIE. Malheureusement, les forces politiques qui soutenaient le projet furent trop fortes, et les autorités publiques validèrent l’EIE, même si des compléments d’informations furent demandés.

Commentaire

Il est maintenant fréquent que soient conduites des EIE pour tous les projets de développement importants. Souvent, malheureusement, ce sont les développeurs eux-mêmes qui financent cette EIE, ce qui leur permet d’en influencer les conclusions, de sorte que les EIE tiennent comparativement peu compte des intérêts des populations dont la subsistance est affectée par les projets.
En outre, les outils économiques disponibles sont inadéquats. Ils ne sont pas capables de tenir compte, par exemple, de la vraie valeur environnementale et culturelle d’une ressource. De même, les critères d’identification des coûts et des bénéfices ne sont pas les mêmes pour les différents groupes sociaux concernés. Pour que les EIE soient plus fiables, il faudrait qu’elles soient entreprises par une autorité indépendante, qui consulte toutes les parties.

Note

Fiche originale en anglais : Environmental impact in Brazil. Traduction : Olivier Petitjean.

SOURCE
 DIEGUES, Antonio Carlos, "The view from the other side" in Samudra Report, 1996/11, 16.

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