La dépendance du secteur de l’énergie à l’égard de l’eau et les risques liés au changement climatique

, par  Olivier Petitjean

Le secteur de l’énergie utilise des quantités énormes d’eau, quelle que soit (ou presque) la source d’énergie en question. Il est donc potentiellement vulnérables aux effets du changement climatique sur les ressources disponibles. En retour, comme l’illustre le cas des biocarburants, toutes les propositions de réorientation des politiques énergétiques devraient prendre en compte l’impact potentiel (souvent non négligeable) de ces mesures sur les consommations d’eau.

Voir aussi la note de mise à jour (juillet 2015) en bas d’article.

Au-delà du cas évident de l’énergie hydroélectrique, plusieurs des principales filières de production d’énergie et d’électricité sont fortement consommatrices d’eau, que ce soit pour le nettoyage, le refroidissement ou (dans le cas de l’énergie issue de la biomasse) pour la génération même de la source d’énergie. Ces filières sont donc, potentiellement, vulnérables face aux effets du changement climatique et aux pénuries (ou surabondances) d’eau éventuelles que celui-ci pourrait entraîner. La production d’énergie globale pourrait ainsi se trouver affectée par différents biais. En retour, comme l’illustre le cas emblématique des biocarburants, la promotion de nouvelles politiques énergétiques et l’extension de certaines filières pourraient être nuisibles du point de vue des ressources en eau.

Conséquences potentielles du changement climatique sur le secteur de l’énergie

En théorie, la production hydroélectrique devrait s’accroître dans les régions où les précipitations et le débit des rivières sont appelés à augmenter. C’est le cas par exemple, selon les dernières projections des experts du GIEC, en Scandinavie et en Russie du Nord. À l’inverse, la production devrait décroître de 25 % en Europe du Sud (Portugal, Espagne, Bulgarie) du fait de la sécheresse. La production hydroélectrique européenne devrait globalement baisser. Il est également anticipé que la réduction des flux en provenance des Grands Lacs affecte significativement la production hydroélectrique canadienne à Niagara et sur le Saint-Laurent.

La production électrique dans les centrales thermiques et nucléaires requiert généralement de grandes quantités d’eau pour le refroidissement. Une étude australienne de 2006 a calculé que le fonctionnement d’une centrale nucléaire requiert l’équivalent de 5000 piscines olympiques par an, 25 % de plus que pour une centrale au charbon. On a estimé que la production d’énergie représente actuellement 20 % de la consommation d’eau non agricole aux États-Unis, et que ce chiffre pourrait grimper à 60 % à l’horizon 2030. D’autres avancent des chiffres plus élevés encore. Comme l’a montré la canicule de l’été 2003, des conditions de sécheresse anormales, entraînant une baisse du débit des cours d’eau et une hausse de leur température (conditions qui pourraient devenir plus fréquentes avec le changement climatique), peuvent entraver le fonctionnement de ces centrales et donc la production d’électricité.

L’extraction du charbon et de l’uranium nécessaires au fonctionnement de ces centrales entraîne également une grande consommation d’eau, ainsi que des problèmes importants de pollution dans de nombreux endroits de la planète. Une grande partie de la production mondiale d’aluminium s’est localisée en Islande précisément en raison de la disponibilité d’une grande quantité d’eau et d’énergie bon marché. Cela vaut également pour l’extraction d’hydrocarbures à partir de sables bitumeux, comme au Canada.

La production de biomasse souffrirait également, au même titre que l’agriculture, d’une augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses. Il est toutefois possible que dans certaines régions la hausse des températures, celle des précipitations ou encore la plus forte concentration de l’atmosphère en CO2 soit favorables à la production de biomasse.

Globalement, les risques accrus de pluies intenses, d’inondations et d’élévation du niveau de la mer pourraient entraîner des dégâts aux infrastructures de production et d’acheminement de l’énergie et de l’électricité, et donc là encore une baisse de la production.

Enfin, les changements de températures pourraient avoir pour conséquence de modifier substantiellement la saisonnalité de la demande d’électricité dans les pays du Nord. Avec le réchauffement, la demande serait moins forte en hiver pour le chauffage, mais plus forte en été pour la climatisation, au moment où certaines sources d’énergie sont les plus problématiques.

Les effets contre-productifs de nouvelles politiques énergétiques en ce qui concerne l’eau

Par choc en retour, les changements de politique énergétique et la promotion de nouvelles filières pourraient avoir des conséquences négatives sur les ressources en eau en général, comme sur d’autres facteurs. Une extension, là où c’est possible, de la production hydroélectrique à travers la construction de nouveaux barrages, outre ses nombreuses conséquences sociales et environnementales potentielles, aurait ainsi pour effet de modifier l’hydrographie de régions entières, d’entraîner des pertes d’eau par évaporation et d’aggraver des pénuries d’eau en aval. Aux États-Unis, l’extension des extractions de gaz naturel dans des réserves non-conventionnelles est encouragée par la hausse des prix des hydrocarbures et par la recherche d’une source d’énergie locale dont la teneur en carbone soit inférieure à celle du pétrole. Les technologies d’extraction utilisées pour atteindre ces réserves consistent à projeter des milliers de litres d’eau mêlée de substances chimiques à très haute pression pour fracturer la roche qui recèle les réserves de gaz. Une partie de cette eau contaminée resterait sous terre ; le reste est théoriquement récupéré, mais il arrive souvent qu’il soit purement et simplement réinjecté dans le sous-sol. L’évaluation de la pollution ainsi occasionnée, ainsi que les poursuites judiciaires auxquelles elle pourrait donner lieu, sont rendues plus difficile par le fait que les entreprises concernées refusent de dévoiler la composition chimique des fluides utilisés, sous prétexte de protection de leur propriété intellectuelle. L’approvisionnement de New York figure parmi les victimes potentielles de cette nouvelle technique, car un projet d’exploitation d’un gisement de gaz de ce type est annoncé dans les montagnes des Catskills, d’où la ville tire son eau. (Au cours de l’automne 2009, l’État de New York a édicté un certain nombre de conditions et de règles auxquelles devaient se soumettre les entreprises qui souhaitaient exploiter le gisement en question, parmi lesquelles figuraient l’obligation de rendre publique la formule chimique utilisée, ainsi que la mise en place d’un périmètre de sécurité autour de la zone de captage de New York. Bien que ces règles aient été jugées encore insuffisantes par de nombreux activistes et chercheurs, elles ont conduit la seule entreprise propriétaire de terrains dans la zone à déclarer qu’elle renonçait à les exploiter.)

De même, les programmes de "capture et séquestration du carbone dans le sol", présentés par certains comme la solution radicale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, n’est pas sans susciter des inquiétudes quant à de possibles contaminations des réserves d’eau souterraines à proximité des sites de séquestration. Le Département de l’énergie des États-Unis a également calculé que la généralisation des technologies du « charbon propre » (des centrales utilisant des technologies de séquestration) voulue par le président Obama entraînerait une augmentation de 90 % de la consommation d’eau des usines concernées.

La production d’énergie solaire elle-même entraîne une consommation importante d’eau (pour refroidir les installations), qui peut se révéler en contradiction avec l’état des ressources dans les régions sèches ou désertiques où les usines solaires s’installent de préférence. En conséquence, les services environnementaux et des Parcs nationaux ont fortement restreint les autorisations d’implantation de nouvelles installations dans le Nevada, ou les ont encouragé à recourir à des méthodes de refroidissement alternatives et plus coûteuses (refroidissement par l’air). En Arizona, les autorités ont mis en place un programme de conversion des champs de coton en centrales solaires, ces dernières consommant tout de même moins d’eau que le coton...

Le secteur qui pose le plus de souci quant au gaspillage des ressources en eau demeure toutefois celui des biocarburants. Les récentes législations européenne et états-unienne fixant des objectifs ambitieux d’usage des biocarburants se sont déjà retrouvées sous le feu des critiques pour avoir négligé les conséquences pour la sécurité alimentaire de la planète d’une conversion massive de terres agricoles vers des productions à usage énergétique. Une critique similaire peut être adressée en ce qui concerne l’eau. De nombreux pays, au premier rang desquels la Chine et l’Inde, ont annoncé ou préparent des plans de grande ampleur pour accroître leur production de biocarburants, ce qui aurait pour effet d’aggraver les pénuries d’eau que connaissent déjà ces pays. La qualité de l’eau pourrait également être affectée en raison d’un usage accru de pesticides et de nitrates, comme cela a déjà été observé aux États-Unis alors même que la production de biocarburants y demeure marginale.

En fonction de la région de production et du type de biocarburant, plusieurs milliers de litres d’eau peuvent être nécessaires pour produire un litre de biocarburant. Les bioéthanols à base de maïs (produits notamment aux États-Unis et dont l’expansion est projetée par les autorités chinoises, qui déclarent vouloir quadrupler leur production d’ici 2020) sont parmi les plus gourmands en eau. Les dernières études tendent à montrer que globalement (en incluant l’aspect du transport), l’éthanol de maïs émet à peine moins de gaz à effet de serre que les carburants à base de pétrole.

Toutes les cultures destinées à la production de biocarburants ne sont pas toutefois à mettre dans le même panier. Il existe des alternatives bien plus économes en eau et en produits chimiques que le bioéthanol de maïs promu par l’agrobusiness états-unien et subventionné par les autorités fédérales. Le bioéthanol à base de canne à sucre produit au Brésil – même s’il entraîne d’autres types de problèmes – a par exemple une consommation d’eau largement inférieure car il n’a pas besoin d’irrigation. En France, la production de biodiesel à base de colza ou de tournesol pourrait être positive en termes d’économies d’eau, tout comme celle de bioéthanol à base de sorgho. D’autres solutions seraient meilleures encore pour les ressources en eau : ainsi, des progrès sont régulièrement annoncés en matière de production de biodiesel grâce à des algues élevées dans les bassins des stations d’épuration.

Il y a donc de fortes raisons de craindre que les développements énergétiques entraînés par la prise de conscience du changement climatique n’aient, s’ils sont mis en œuvre de manière inconsidérée, un effet dramatique sur les consommations d’eau. Les projets annoncés par l’administration Obama, notamment, ont heureusement suscité une certaine prise de conscience du lien inextricable entre eau et énergie (le « nexus eau-énergie »), dont on espère qu’elle suffira à contrecarrer les intérêts industriels et les discours exclusivement focalisés sur les perspectives de profit liés à la lutte contre le changement climatique. Un projet de loi visant à une meilleure prise en compte de ce lien dans les décisions politiques et la gouvernance de l’énergie a d’ailleurs été annoncé début 2009 par des membres du Congrès. Les projets annoncés par l’administration états-unienne incluent également (pour l’instant du moins) une réorientation des investissements en faveur des biocarburants vers des cultures plus soutenables environnementalement que la production d’éthanol basé sur le maïs.

NOTE DE MISE À JOUR (juillet 2015)
Sur la question des besoins en eau du secteur énergétique, on lira ces articles plus récents :
 Le nucléaire et l’eau
 Le gaz de schiste et l’eau
 Le charbon, le climat et l’eau

SOURCES PRINCIPALES
 Rapport technique du GIEC/IPCC « Changement climatique et eau ». http://www.ipcc.ch/ipccreports/tp-c...
 « The Folly of Turning Water into Fuel », Stan Cox, AlterNet, 22 mars 2008. http://www.alternet.org/water/79957/
 Rapport INRA sur l’adaptation de l’agriculture à la sécheresse. http://www.inra.fr/l_institut/exper...
 Sur les forages de gaz et leurs conséquences sur l’eau, voir les références rassemblées dans la page suivante (en anglais) : http://www.alternet.org/water/13928...
 « Alternative Energy Projects Stumble on a Need for Water », Todd Woody, New York Times, 29 septembre 2009. http://www.nytimes.com/2009/09/30/b...

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