La petite hydraulique dans le Sud-Est de la Tunisie Patrimoine technologique traditionnel au service du développement durable

L’occupation humaine de régions comme le Sud-est tunisien a dépendu historiquement de techniques traditionnelles de captation et de gestion des eaux dont l’un des meilleurs exemples est le système des Jessour.

L’occupation humaine du Sud-Est de la Tunisie est très ancienne, malgré les conditions défavorables du milieu naturel (le Jebel, qui correspond à un relief montagneux), le plateau du Dahar (drainé par des vallées qui sont le plus souvent à sec en raison des conditions climatiques actuelles). Des aménagements adaptés à la nature ont permis à l’Homme de s’imposer dans ce type de milieu.

On peut comprendre que le Sud-Est tunisien, caractérisé par un climat aride, des quantités de pluie ne dépassant que localement les 200 mm, dans les reliefs situés entre Matmata et Béni Khédache, pose un problème d’eau, d’autant plus délicat à résoudre que le Sud-Est ne dispose pas de source naturelle susceptible de fournir de l’eau en provenance des nappes profondes. De surcroît, les quelques sources existantes ont des débits très limités. En tout cas les populations ne peuvent nullement compter sur l’apport de ces sources pour faire face à la rareté de l’eau. Dans une telle situation de rareté des sources naturelles, les habitants de la région ont toujours combattu la pénurie de l’eau : ils ont construit des citernes pour la collecte d’eau de pluie, creusé des puits où existe une nappe phréatique, en vue de satisfaire leurs besoins domestiques. Autant dire que puits et citernes qui parsèment le plateau du Dahar, le Jebel Abiadh et les plaines de Jeffara et d’El Ouaara constituent des points d’eau d’un intérêt vital pour une population appelée à se déplacer, même temporairement (semi-nomadisme), avec ses troupeaux à la recherche de pâturages.

C’est ainsi qu’on peut apprécier les Jessour, un aménagement hydraulique traditionnel adapté aux conditions du milieu naturel. Aménagement d’autant plus nécessaire que les pluies sont souvent de type torrentiel et s’abattent sur la région sous la forme d’averses donnant lieu à des ruissellement violents. Les eaux de ruissellement se concentrent et s’écoulent dans les ravins, les vallées et les cuvettes, colmatées en plusieurs endroits par des sables argileux qui constituent les seuls bonnes terres de culture de la région. Le système de Jessour (Jesser au singulier), dénomination locale d’un système d’aménagement qualifié de petite hydraulique permet une maîtrise de l’eau de ruissellement tout à fait adapté aux conditions du milieu naturel. Il s’agit d’installer dans les ravins et les oueds des petits barrages destinés à retenir une partie de l’eau de ruissellement (référons-nous au cas de Naxos, en Grèce) et des sédiments. Un Jesser correspond à une petite élévation de terre dressée dans le lit de l’oued et également à la surface exploitable pour l’agriculture qui se situe à son amont. L’ouvrage est équipé d’un déversoir construit en pierres sèches ou placé sur la roche en place. De cette manière, chaque Jesser retient seulement une partie de l’eau de ruissellement et des sédiments fins qu’il reçoit et laisse passer à travers son déversoir le reste au profit des Jessour situés à son aval.

Les Jessour se succèdent d’amont en aval et constituent ainsi un paysage marqué par l’intervention humaine avec des jardins disposés en gradins faiblement inclinés. Ainsi le système des Jessour joue un rôle capital dans l’activité agricole du Jebel, en permettant, d’une part, la conservation des eaux et des sols et la réduction des effets de l’érosion, et, d’autre part, une très bonne gestion des ressources naturelles. Le système est conçu, réalisé et entretenu manuellement par les habitants du Jebel grâce à un savoir-faire empirique et traditionnel transmis de génération en génération depuis plusieurs siècles.

Le rétablissement du système des Jessour est aujourd’hui menacé d’abandon dans plusieurs régions du Sud-Est tunisien en raison des changements socio-économiques qui conduisent ce Sud-Est à un délaissement progressif des pratiques agricoles et des aménagements des petites hydrauliques et de nature à garantir un développement durable dans plusieurs régions du Sud-Est tunisien. Il s’agit de noter que ces aménagements de petite hydraulique pratiquée depuis plusieurs siècles représentent un patrimoine naturel et culturel pour la sauvegarde d’un environnement fragile à la porte du désert.

Commentaire

On aurait tort de faire l’impasse sur les traditions et les arts de faire si l’on veut garantir une qualité globale pour un développement durable partout à un niveau local. La survie ouvre sur des créativités qui sont inscrites aujourd’hui dans les technologies nouvelles. La mémoire collective, l’histoire et la culture, sont des facteurs principaux pour une gouvernance environnementale.

SOURCE
 Hédi Ben Ouezdou, PRELUDE, Les aménagements de petite hydraulique dans le Sud-Est de la Tunisie. Un savoir-faire traditionnel au service du développement durable, ICM, INP, PRELUDE, 2001 (Tunisie), p.251-259

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