La pollution thermique, cette méconnue

, par  Larbi Bouguerra

La plupart des espèces aquatiques manifestent une faible tolérance thermique. A ce jour, l’impact des émissions thermiques sur l’évaluation du cycle de vie n’a guère été étudié. C’est la raison pour laquelle des chercheurs suisses, étasuniens et hollandais se sont intéressés à la caractérisation des effets du rejet des eaux de refroidissement de la centrale nucléaire de Muehleberg en Suisse sur les écosystèmes aquatiques du Rhin et de l’Aare. Cette centrale utilise un réacteur à eau bouillante (BWR : Boiling Water Reactor) et un système de refroidissement simple (once-through cooling system).

En effet, le réchauffement des lacs, des cours d’eau… provoqué par le rejet des eaux de refroidissement des activités industrielles et des centrales électriques nucléaires peut grandement impacter les environnements aquatiques et leur biodiversité (biote). Le régime thermique d’une masse d’eau (fleuve, rivière, lac, marais…) est un facteur très important de ce que les spécialistes appellent EQ, « Ecosystem Quality » (Qualité de l’Écosystème), du fait de la faible tolérance thermique de la plupart des êtres aquatiques. S’il est connu que la flore aquatique peut tolérer des températures passablement élevées, on sait par contre que la survie des organismes d’eau douce dépend, dans une large mesure, de la température du milieu, car celle-ci agit sur toutes les données biochimiques et toutes les fonctions physiologiques.

Les effets des températures élevées sur les espèces aquatiques couvrent, de fait, un vaste domaine de répercussions tant directes qu’indirectes allant de désagréments mineurs à la mort. Les effets directs comprennent notamment une activité accrue avec une digestion accélérée et donc une demande alimentaire plus forte, et une reproduction perturbée. Aux températures létales, la mort survient du fait de la dégradation des tissus sensibles du système nerveux. Quant aux effets indirects, ils sont généralement en relation avec l’altération de la disponibilité de la nourriture, de la prévalence des pathogènes, des processus chimiques (modification de la teneur en oxygène, augmentation des effets de certains polluants…) ainsi que de la compétition avec des espèces plus adaptées à l’élévation thermique. L’impact des émissions thermiques a été étudié dans un bassin artificiel d’une centrale nucléaire suédoise dans lequel des poissons ont été exposés à des températures élevées pendant plus de dix ans. On a ainsi relevé plusieurs anomalies et notamment une dégénération des ovocytes (ou oocytes : cellules de la lignée germinale femelle) dans plus de la moitié des femelles.

Cependant, à côté des émissions thermiques, les évaluations environnementales des écosystèmes aquatiques doivent tenir compte du fait que ces derniers font face à une large palette de menaces telles les impacts des substances chimiques ou radioactives en provenance des installations nucléaires. Pour apprécier les effets de ces menaces tant thermiques ou physiques que chimiques, les spécialistes utilisent des facteurs de caractérisation comme le devenir des émissions (qui reflète le temps de résidence environnemental soit, dans notre cas, le temps de résidence des émissions thermiques dans le cours d’eau) ou le facteur d’effet qui définit la perte de diversité des espèces par unité d’augmentation de température.

Les chercheurs ont traqué, dans ce travail, les effets thermiques induits par la centrale le long des cours d’eau jusqu’à l’estuaire en Mer du Nord et ils ont fait aussi des simulations du panache thermique sur 1320 km.

En conclusion, les auteurs affirment que les émissions d’eau de refroidissement ont un impact majeur sur les écosystèmes aquatiques d’eau douce et qu’en fonction des saisons, de la température initiale de l’eau, etc., ces émissions interviennent pour 3 à 90% dans la dégradation de la Qualité des Ecosystèmes (EQ ou Ecosystem Quality).

Commentaire

Avant de commenter cette recherche, il est important de souligner l’immense importance de l’eau pour les centrales nucléaires et l’impossibilité pour ces fleurons de l’industrie moderne de pointe de se passer de cet élément. Le cas de la France illustre parfaitement ce propos. Lorsqu’en la canicule de 2003 a frappé le pays, les centrales nucléaires ont du réduire la voilure car la température des émissions dans le milieu récepteur était supérieure aux normes édictées par la loi. Dans certains cas, les préfets ont du prendre des arrêtés de dérogation pour ne pas avoir à mettre à l’arrêt les installations. De même, la centrale nucléaire de Cruas dans l’Ardèche a pâti, en décembre 2003, des inondations car les branches et les débris végétaux divers charriés par l’eau risquaient d’endommager les tours de refroidissement. On peut en déduire sobrement que nos contemporains sont plus dépendants de l’eau que ne l’était l’homme de Cro Magnon qui pouvait, lui, déplacer ses pénates et changer de grottes quand l’eau vient à manquer ou qu’elle est surabondante. Esclaves de la « fée » électricité qui règne sur nos cuisinières, nos réfrigérateurs, nos ascenseurs, nos hôpitaux….nous ne pouvons quitter nos appartements aujourd’hui !

Pour en revenir au travail évoqué ci-dessus, force est de constater qu’il a le mérite de mettre l’accent sur un aspect peu (voire rarement) mis en avant, car invisible et difficile à mettre en évidence. Cette étude en souligne les ravages sur les écosystèmes et la biodiversité. Il faut espérer que les défenseurs de la Nature incluront à l’avenir ce facteur dans leur évaluation des centrales nucléaires qui, outre la production de déchets radioactifs dont la demi-vie est de l’ordre parfois de 10 000 ans voire bien plus comme le technétium, le césium 135, le thorium 230, le plomb 205, le radium 226… ont donc la capacité d’appauvrir voire d’annihiler pratiquement la biodiversité des cours d’eau.

Dépouillée de sa biodiversité, l’eau d’une rivière a vite fait de mourir : plus de joncs, plus de libellules ni de martin-pêcheur comme l’écrit Elisée Reclus dans sa remarquable Histoire d’un ruisseau : « À qui donc est ce ruisseau dont nous nous disons les propriétaires, comme si nous étions les seuls à en jouir ? N’appartient-il pas, aussi bien, et mieux encore, à tous les êtres qui le peuplent et qui en tirent leur substance et leur vie ? Il est aux poissons et aux nénuphars, aux moucherons qui volent en tourbillons au dessus des remous, aux grands arbres que l’eau et les alluvions du ruisseau gonflent de sève. » [1].

SOURCE
 Francesca Verones et al, « Characterization factors for thermal pollution in freshwater aquatic environments », Environmental Science and Technology, 11 novembre 2011.

[1Elisée Reclus, « Histoire d’un ruisseau », Actes Sud, Arles, 1995

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