Les discussions sur le droit à l’eau et le droit à l’assainissement aux Nations Unies ont réellement commencé avec l’adoption de l’observation générale sur le droit à l’eau par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (lire Le droit à l’eau (2)). Une année auparavant, le mandat du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, J. Ziegler, avait été étendu à la question de l’eau potable en relation avec le droit à l’alimentation [1], et dans les deux années suivantes, El Hadji Guissé, Rapporteur de la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, présentera son rapport final sur la promotion et la réalisation du droit à l’eau potable et à l’assainissement [2] et son projet de directives pour la réalisation du droit à l’eau potable et à l’assainissement qui a été adopté par la Sous-commission [3].
Entre 2001 et 2006, les États, les organisations internationales et la société civile se sont positionnés par rapport à ces travaux d’experts, et en particulier par rapport à l’Observation générale n°15 (1). Avec la création du Conseil des droits de l’homme en juin 2006, la position des divers acteurs sur le droit à l’eau et le droit à l’assainissement s’est cristallisée sur le mandat donné à la Haut-commissaire aux droits de l’homme en 2006 (2) puis sur la création d’un poste d’expert indépendant sur la question en 2008 (3).
a) La position des États, des organisations internationales et de la société civile sur le droit à l’eau et le droit à l’assainissement
En dehors des Nations Unies, les États, le secteur privé, les organisations internationales et certaines organisations de la société civile se réunissent sous l’égide du Conseil mondial de l’eau pour discuter de la promotion de l’accès à l’eau et à l’assainissement. Le Conseil mondial de l’eau a été créé en 1996 ; son principal mandat est d’organiser les éditions du Forum mondial de l’eau, qui ont eut lieu à Marrakech en 1997, à La Haye en 2000, à Tokyo en 2003, à Mexico en 2006 et à Istanbul en 2009, où plus de 30 000 personnes se sont réunies [4].
Malgré le fait que le Conseil mondial de l’eau ait publié un ouvrage sur le droit à l’eau en 2006 [5], le document le plus important du Forum mondial de l’eau – la Déclaration des Chefs d’Etat – n’a jamais reconnu l’accès à l’eau et à l’assainissement comme un droit de l’homme [6]. En désaccord, Cuba, le Venezuela, l’Uruguay et la Bolivie ont émis des déclarations conjointes dans lesquelles ils ont réaffirmés le droit humain à l’eau et à l’assainissement [7].
D’autres États annoncent que la promotion du droit à l’eau est une priorité de leur politique de développement. C’est le cas du Royaume-Uni par exemple, qui a déclaré qu’il allait réorienter son aide au développement pour appuyer la réalisation du droit à l’eau, et qui a proposé la création d’un plan d’action mondial pour le réaliser [8]. Curieusement, ce pays s’oppose au sein du CoDH à l’adoption de toute résolution mentionnant explicitement le droit à l’eau en tant que droit humain. Il en est de même pour le Canada.
Les organisations internationales, de leur côté, ont réagi extrêmement positivement à l’adoption de l’Observation générale n°15 par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. L’Organisation mondiale de la santé et le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies ont publié un manuel sur le droit à l’eau en 2003 [9], suivi par la Banque mondiale en 2004 [10]. Et l’appui le plus important pour la promotion du droit à l’eau a certainement été le fait du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui a intitulé son rapport mondial sur le développement humain 2006 Au-delà de la pénurie : Pouvoir, pauvreté et crise mondiale de l’eau. Dans ce rapport, le PNUD a identifié quatre piliers sur lesquels devraient reposer les réformes pour réaliser les Objectifs du Millénaire pour le Développement liés à l’accès à l’eau. Or le premier pilier identifié est la nécessité pour les États de reconnaître le droit à l’eau dans leur Constitution et leur législation nationale [11].
Les organisations de la société civile, dont plusieurs travaillaient déjà sur la promotion du droit à l’eau et du droit à l’assainissement avant 2003, ont également accueilli très positivement l’Observation générale n°15. Le Center on Housing Rights and Evictions (COHRE) a par exemple continué à promouvoir le droit à l’eau et le droit à l’assainissement à travers de nombreuses publications et formations [12]. L’organisation Bread for the World, qui a initié une campagne pour le droit à l’eau en 2003, est à l’origine de la création du réseau œcuménique de l’eau [13]. Il y a également de nombreux mouvements sociaux qui se mobilisent depuis des années au niveau national et international (en particulier à travers le Forum social mondial). Parmi ces mouvements, il convient de mentionner tout particulièrement le réseau ACME (Association pour le Contrat Mondial de l’Eau) qui, après être né en Italie à l’initiative du Professeur d’économie Riccardo Petrella, s’est étendu au Canada, en Belgique, en Suisse et au Maroc. ACME a organisé plusieurs forums alternatifs mondiaux de l’eau (FAME), avec pour objectif principal de promouvoir la reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement [14].
b) L’étude de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme 2006-2007
En 2006, sur l’initiative de l’Allemagne et de l’Espagne, le Conseil des droits de l’homme a demandé à la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU de lui présenter « une étude détaillée sur la portée et la teneur des obligations pertinentes en rapport avec les droits de l’homme qui concerne l’accès équitable à l’eau potable et à l’assainissement, contractées au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme » [15].
Cette initiative visait à contrebalancer la position des experts de l’ONU en matière de droits humains sur le droit à l’eau. Cependant, l’étude préparée par la Haut-commissaire, que l’on peut critiquer à certains égards, contient des éléments intéressants [16]. En effet, dans son étude, la Haut-commissaire a identifié les instruments internationaux qui protègent directement et indirectement le droit à l’eau potable et le droit à l’assainissement [17] et elle a proposé une définition de ces droits et des obligations corrélatives des États [18]. Elle a également identifié sept questions à approfondir, parmi lesquelles la question du droit à l’eau et du droit à l’assainissement comme droits autonomes, et la question de la hiérarchie des différentes utilisations de l’eau [19].
Tout en soulignant la nécessité de développer certains aspects des obligations qui concernent le droit à l’eau potable et à l’assainissement, notamment le contenu normatif des obligations corrélatives au droit à l’assainissement [20], la Haut-Commissaire a conclu que « le moment est venu de considérer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit de l’homme, défini comme le droit à un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable en eau salubre de qualité acceptable, pour les usages personnels et domestiques (boisson, propreté, lavage du linge, cuisine, hygiène personnelle et domestique) et les nécessités de la vie et de la santé. Les États doivent donner la priorité aux utilisations personnelles et domestiques sur les autres et faire en sorte qu’un approvisionnement suffisant, de bonne qualité et d’un prix abordable pour tous soit fourni à distance raisonnable de leurs foyers » [21].
La Haut-Commissaire a également souligné le manque de capacité des procédures spéciales existantes pour contrôler le respect des obligations corrélatives au droit à l’eau et à l’assainissement [22], ce qui a ouvert la voie à la création d’une procédure spéciale sur cette question au Conseil des droits de l’homme.
c) Le mandat et le travail de l’experte indépendante 2008-2009
Le Conseil des droits de l’homme a décidé à l’unanimité, dans sa résolution 7/22 du 28 mars 2008, de « nommer pour trois ans un expert indépendant chargé d’examiner la question des obligations en rapport avec les droits de l’homme qui concernent l’accès à l’eau potable et à l’assainissement ».
Parmi les tâches confiées par Conseil des droits de l’homme à l’expert indépendant, on peut mentionner la clarification de « la teneur des obligations relatives aux droits de l’homme, y compris en matière de non-discrimination, qui concernent l’accès à l’eau potable et à l’assainissement ». On relèvera que la résolution précitée ne fait pas référence explicitement au droit à l’eau et à l’assainissement mais à « l’accès à l’eau... ». On relèvera également que la résolution 7/22 exclut explicitement la question du partage des eaux entre les États du mandat de l’experte indépendante, en affirmant « qu’il faut privilégier une démarche locale et nationale dans l’examen d’un tel enjeu, en faisant abstraction des questions relevant du droit applicable aux cours d’eau internationaux et de tous les problèmes liés aux eaux transfrontalières ».
L’experte indépendante pourrait passer à côté de questions essentielles pour la réalisation du droit à l’eau et du droit à l’assainissement si elle ne peut pas prendre position sur ce droit et sur le partage des eaux transfrontalières. En Égypte, où elle s’est rendue en mission, et au Bangladesh, où elle se rendra bientôt, ces questions sont par exemple essentielles [23]. Et il en est de même le long des 250 cours d’eau internationaux répondant aux besoins de 40% de la population mondiale.
Conclusion
Le droit à l’eau et le droit à l’assainissement ont été consacrés dans plusieurs traités internationaux et régionaux et dans le droit interne de certains États. Ils ont également été reconnus comme des droits fondamentaux par le CODESC et par de nombreux experts des Nations Unies. Pourtant, il existe encore des résistances importantes de la part de certains États, quant à l’opportunité de reconnaître explicitement le droit à l’eau et le droit à l’assainissement au sein du Conseil des droits de l’homme. Cette résistance est contrebalancée par la volonté d’autres États de reconnaître le droit à l’eau et le droit à l’assainissement, et par les positions fermes défendues par les organes de l’ONU en matière de droits humains, les organisations internationales et les mouvements sociaux.
Dans le futur, il serait souhaitable que le CODESC rédige une observation générale sur le droit à l’assainissement, pour compléter son observation générale sur le droit à l’eau et le travail de l’experte indépendante du Conseil des droits de l’homme. Il serait également souhaitable que le Conseil des droits de l’homme permette à cette dernière de formuler des recommandations sur l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers pour satisfaire les besoins essentiels des populations qui en dépendent, et qui représentent 40% de la population mondiale. La prise en compte de ces deux éléments contribuera à coup sûr à la réalisation du droit à l’eau potable et du droit à l’assainissement.
SOURCE
– CETIM, Le droit à l’eau. Version intégrale et annexes (sélection de textes internationaux) disponibles sur http://cetim.ch/fr/publications_cah...