Le droit à l’eau, défini comme un droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, s’impose progressivement à l’agenda des pays du Sud. Bien plus qu’une simple déclaration, sa reconnaissance a déjà permis des avancées concrètes pour de nombreuses populations.
Le droit à l’eau se définit comme le droit d’accès pour toutes et pour tous à l’eau potable et à l’assainissement. Apparu il y a une trentaine d’années, il fait partie du droit international au même titre que le droit à la nourriture ou le droit à la santé, et ce, même si certains États continuent de le contester. Preuve en est la multiplication des déclarations officielles favorables à ce droit.
Progrès sensibles
Le soutien au droit à l’eau est devenu très fort, même parmi les pays les plus en retard en matière d’accès à l’eau. 153 États ont ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui reconnaît « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant ». Comme il n’est pas possible d’atteindre un tel niveau de vie sans disposer d’eau potable, tous les experts s’accordent pour considérer que ce texte implique de fait le respect du droit à l’eau. L’Afrique et l’Amérique latine disposent déjà de traités régionaux instaurant le droit à l’eau en tant que droit de l’homme. 193 États ont ratifié la convention relative aux droits de l’enfant, qui oblige les États à fournir de l’eau potable aux enfants. Au plan politique, il existe de multiples déclarations de chefs d’État, de ministres ou de représentants officiels en faveur du droit à l’eau, y compris par la plupart des pays en développement qui sont loin de donner accès à l’eau potable pour tous.
Dans les pays en développement, le droit à l’eau et à l’assainissement est souvent un droit reconnu en théorie mais pas toujours dans les faits. Les déclarations politiques sont transcrites progressivement, elles influent sur les plans d’action des gouvernements, les dépenses publiques et aussi le contenu des lois. La traduction concrète de l’accès à l’eau et à l’assainissement varie en fonction du degré de développement du pays et du souci qu’il a de respecter ses engagements internationaux. L’insuffisance des investissements dans le secteur de l’eau potable et de l’assainissement constitue aussi un frein. Mais des progrès très sensibles sont accomplis dès lors que les autorités décident de s’en donner les moyens (plutôt que de développer les télécommunications). Ainsi, au Maroc, le monde rural a bénéficié d’un plan national d’accès à l’eau très ambitieux, soutenu par l’aide internationale. Les pays développés comme la France interviennent tant au niveau central qu’au niveau décentralisé pour contribuer à améliorer l’accès à l’eau dans de nombreux pays africains. En Amérique latine et en Asie, de grands progrès sont observés même s’il reste beaucoup à faire.
Dans les pays du Sud, malgré l’insuffisance des moyens financiers qui lui sont consacrés, on retrouve l’objectif de l’eau pour tous inscrit dans des constitutions ou des lois. C’est notamment le cas dans les constitutions d’Afrique du Sud, de Colombie, d’Équateur, d’Éthiopie, de Gambie, d’Ouganda, du Panama, des Philippines, d’Uruguay, du Venezuela et de Zambie. Dans d’autres pays, ce sont les lois qui prévoient le droit à l’eau : Algérie, Argentine, Burkina Faso, Indonésie, Mauritanie ou Nicaragua. De même que le droit au logement ou à la santé reste encore largement théorique dans ces pays, ce droit n’est pas immédiatement justiciable, mais sa reconnaissance permet de soutenir les actions des autorités publiques pour améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement, obtenir des crédits publics pour ces secteurs, et progresser vers la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement.
La fin des discours
La reconnaissance du droit à l’eau dans les pays en développement ayant un système judiciaire respecté et efficace a eu des effets importants. Ainsi, en Afrique du Sud, une municipalité a été condamnée à installer des points d’eau et des toilettes pour un bidonville auquel on refusait l’accès à ces facilités. En Argentine, les tribunaux ont condamné des sociétés de distribution d’eau pour insuffisance d’approvisionnement en eau de qualité.
Contrairement à une idée répandue, l’État qui respecte le droit à l’eau n’est pas tenu d’offrir de l’eau potable à tous, partout et tout le temps. Il doit en revanche mettre en œuvre ses obligations relatives à l’eau de façon non discriminatoire et s’intéresser aux régions où le manque d’accès à l’eau est le plus cruel (zones rurales ou grandes banlieues). Il ne peut plus tenir un discours théorique en faveur du droit à l’eau sans prendre des initiatives sur le terrain.
Même si le droit à l’eau n’est pas mis en œuvre avec rigueur, il encourage les autorités à prendre des actions permettant un meilleur accès à l’eau. Faute de quoi, cet État montrera qu’il tient à l’extérieur un discours qui n’a pas d’effet au plan interne, et il sera critiqué au plan international pour le non-respect de dispositions essentielles pour la protection des droits de l’homme.
SOURCE
– Texte paru initialement dans Altermondes n°13, mars-mai 2008, p. 32.
Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)
Bien entendu, la problématique du droit à l’eau ne concerne pas que les pays du Sud. Il est théoriquement reconnu par le droit et les autorités françaises, mais son application concrète est plus problématique dans la mesure où le principe du droit à l’eau se heurte à celui du prix (d’ailleurs toujours croissant) appliqué à la consommation d’eau dès les premiers litres. La question du droit à l’eau est donc intimement liée à celle de son prix ou de sa gratuité (voir le texte L’eau doit-elle avoir un prix ?). En Afrique du Sud, l’eau est reconnue comme un droit, et les usagers bénéficient de 25 litres journaliers d’eau gratuite, ce qui correspond aux besoins fondamentaux. Ce pays est l’exemple le plus souvent cité de pays où la notion de droit constitutionnel à l’eau a permis des avancées significatives : la Cour suprême y a rendu plusieurs arrêts en ce sens, notamment en ce qui concerne la protection des usagers contre les coupures d’eau en cas d’impayés. De nombreux observateurs considèrent toutefois que le montant minimum alloué par famille n’est pas suffisant pour les familles très larges. L’effectivité du droit à l’eau est également limité par l’état des équipements. Une décision de la Cour constitutionnelle, rendue en octobre 2009 dans une affaire opposant des résidents de Soweto à la ville de Johannesburg et à son entreprise de l’eau, est venue consacrer ces limitations, en refusant de reconnaître les besoins des familles nombreuses, et en se contentant de dire que les autorités devaient "s’efforcer" d’assurer les besoins fondamentaux en eau aux habitants.
La nouvelle Constitution bolivienne approuvée début 2009 qualifie le droit à l’eau de « fondamentalissime ». En Uruguay, une campagne citoyenne est parvenu à faire inscrire le droit à l’eau dans la constitution du pays, mais la question de l’efficacité concrète à long terme de cette inscription reste posée.
La notion de droit à l’eau est portée par plusieurs instances des Nations Unies, dont le pouvoir réel est toutefois limité : Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Assemblée générale depuis qu’elle est présidée par Miguel d’Escoto, Organisation mondiale de la santé. Malheureusement, ce n’est pas à ce niveau que sont fixés les grands principes relatifs à la gouvernance de l’eau au niveau mondial (voir le texte Gouvernance de l’eau : l’évolution des modèles au niveau international) : une tentative, portée par plusieurs pays, de mentionner le droit à l’eau dans la déclaration finale du Forum mondial de l’eau d’Istanbul (février 2009) a ainsi fini par échouer.
Sur le mouvement pour le droit à l’eau au niveau mondial, et en particulier en Afrique du Sud et en Uruguay, lire (en anglais) : http://www.onthecommons.org/media/p... et Uruguay : direct democracy in defence of the right to water dans Reclaiming Public Water (disponible en plusieurs langues).
Sur la situation en France, voir :
http://blog.mondediplo.net/2007-10-....
L’UNESCO a également publié à l’automne 2009 une brochure sur le droit à l’eau, l’état des textes internationaux et quelques expériences de mise en œuvre de ce droit : http://unesdoc.unesco.org/images/00....
Voir aussi la brochure sur le droit à l’eau publiée par le CETIM.
2e post-scriptum (juillet 2015)
Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a fini par reconnaître, sur proposition de la Bolivie, le droit humain de l’eau, à travers une résolution de juillet 2010. Cette décision donne une plus grande légitimité à la notion de droit à l’eau, mais elle ne se traduit pas nécessairement par des avancées concrètes sur le terrain. En Équateur et en Bolivie, la reconnaissance officielle du droit à l’eau se trouve contredite ou mise à mal par les volontés gouvernementales de promouvoir de nouvelles activités minières. En Europe et ailleurs, la notion de droit à l’eau est mise en avant - souvent avec succès - pour combattre la privatisation de cette ressource. Ce fut encore le cas avec l’Initiative citoyenne européenne Right2Water. En France, récemment, l’invocation du droit à l’eau a mené à l’interdiction légale des coupures d’eau pour impayés dans les résidences principales - une mesure que les entreprises privées rechignent encore à mettre en oeuvre (voir ici).